Karos vs Klaxit : le match du covoiturage courte distance

Karos vs Klaxit : le match du covoiturage courte distance En concurrence pour le leadership du marché, les deux start-up parisiennes proposent des covoiturages domicile-travail en mettant l'accent sur les offres aux entreprises et aux collectivités.

Olivier Binet et Julien Honnart ont de quoi sourire. Respectivement cofondateurs de Karos et Klaxit (ex-WayzUp), deux applications de covoiturage courte distance, leurs entreprises bénéficient d'un climat idéal pour se développer. Depuis le 1er janvier, les plans de mobilités obligatoires en entreprises poussent de plus en plus de sociétés à proposer de nouvelles solutions de transport à leurs employés, comme le covoiturage. La grève SNCF accélère ce mouvement des entreprises et fait découvrir l'application au grand public. Plusieurs collectivités ont décidé de subventionner ces trajets. Et pour couronner le tout, les deux start-up ont récemment sécurisé des financements: 3 millions d'euros pour Klaxit en février et 4,2 millions d'euros en faveur de Karos au mois d'avril.

Une situation qui ne doit pas faire oublier la compétition féroce qui se joue sur ce jeune marché encore déficitaire : pas moins de 17 entreprises proposent des services de covoiturage courte distance en Ile-de-France, où se situe le gros du marché hexagonal. Karos et Klaxit revendiquent toutes deux le leadership. Difficile de dire qui a raison, en l'absence de données publiques sur le sujet. La réponse se trouve chez Ile-de-France Mobilités, qui gère la subvention des covoiturages dans la Région, et connaît donc les parts de marchés. L'autorité des transports franciliens a refusé de communiquer ces informations au JDN, arguant qu'elle est tenue par un accord de confidentialité avec chaque entreprise. Quoiqu'il en soit, Karos et Klaxit sont les deux sociétés les mieux financées du marché et celles qui se développent le plus vite. Avec des modèles économiques similaires, mais des choix stratégiques différents.

Mélange B2B-B2C

Pour Klaxit comme pour Karos, le cœur de l'activité  du covoiturage courte distance consiste à mettre en relation des conducteurs et des passagers qui se rendent au travail en semaine, en début et fin de journée. Conséquence de cette typologie d'utilisateurs, les deux sociétés misent sur le B2B, qui représente la majorité de leur chiffre d'affaires. Leur stratégie : signer des contrats directement avec les entreprises, qui vont ensuite proposer le service à leurs employés. Les sociétés clientes accèdent alors à une appli personnalisée, une solution informatique permettant d'analyser l'usage ainsi qu'a des outils de communication interne aidant à promouvoir la pratique auprès des employés. Les deux start-up commencent à convaincre les grands groupes d'adopter leurs solutions sur certains de leurs sites. Par exemple Unibail-Rodamco ou AccorHotels pour Karos, Renault et Valéo chez Klaxit.

La force des deux applications est que leurs offres entreprises et grand public ne sont pas cloisonnées : un passager utilisant la solution entreprise peut tout à fait se retrouver avec d'autres utilisateurs grand public qui paient eux-mêmes leur covoiturage. Un paramètre crucial pour constituer un réseau dense et atteindre la masse critique permettant de garantir à la plupart des passagers qu'ils trouveront un covoiturage, explique le président de Klaxit Julien Honnart. "L'entreprise nous permet de créer la colonne vertébrale du réseau. Ensuite nous pouvons aller chercher plus de covoitureurs. Sans cela, l'acquisition du grand public se fait de manière trop éparse pour que le service fonctionne correctement". Le dirigeant de Karos Olivier Binet pense l'inverse : "C'est plutôt le b2c qui sert à générer une masse critique. Nous pouvons ensuite monétiser ce vaste réseau de mobilités que nous avons créé auprès des entreprises qui en profitent."

Contrat et subventions des collectivités

Avec les entreprises, les collectivités sont l'autre grand axe de développement pour les deux start-up. Disponibles dans toute la France, Karos et Klaxit se concentrent chacune sur une dizaine de territoires prioritaires, dans lesquels elles démarchent activement pouvoirs publics et entreprises pour faire grossir leur réseau. La stratégie adoptée dépend de la collectivité. Dans certaines, comme la Région Ile-de-France, la collectivité subventionne les covoiturages domicile-travail, rendant les trajets sur certaines distances gratuits. Ailleurs, la collectivité a signé un contrat avec une start-up et la rémunère pour son service, en plus de subventionner les covoiturages. Et dans les zones qui intéressent Klaxit ou Karos, mais où ni contrat ni subventions n'existent, les start-up financent la gratuité des trajets sur fonds propres afin de faire croître l'usage et de montrer aux collectivités ce qu'elles ont à y gagner.

"Klaxit veut devenir l'acteur de référence qui sera intégré aux offres 'mobility as a service' des opérateurs de transports"

La différence majeure entre Karos et Klaxit se situe dans leurs choix stratégiques pour préparer l'avenir. D'abord en termes d'investisseurs. Karos s'est entouré de fonds d'investissement (Aster, Aglae Ventures) et de business angels (notamment Xavier Niel). Un choix qui vise à maintenir l'indépendance de la société par rapport à ses potentiels clients (grands groupes, opérateurs de transport), assure Olivier Binet.  Tandis que Klaxit a plutôt choisi, lors de son dernier tour de table, de se rapprocher d'entreprises avec lesquelles développer des synergies, en particulier la RATP et Sodexo. "Travailler avec la RATP donne des armes", justifie Julien Honnart. "Avec sa filiale RATP Dev, le groupe connaît bien les collectivités et va nous aider à remporter un maximum d'appels d'offres." Le président de Klaxit précise que l'entreprise pourra toujours participer à des appels d'offres sans la RATP, même avec ses concurrents comme Transdev et Kéolis. Klaxit va également bénéficier d'un gain de visibilité: le service sera bientôt intégré en exclusivité à l'application RATP et proposé lors des calculs d'itinéraires. Quant à Sodexo, il va permettre à Klaxit d'accélérer son expansion française et européenne (pas encore amorcée) en s'intégrant à l'éventail de services d'entreprise proposés par le groupe français, surtout connu pour la restauration.

"Karos combine le covoiturage et le transport collectif pour trouver les meilleurs trajets possibles"

 Derrière ces différents choix d'actionnaires, une divergence profonde existe entre les deux sociétés quant à la manière d'accéder à leur service. "Klaxit veut devenir l'acteur de référence qui sera intégré aux offres 'mobility as a service' des opérateurs de transports" comme la RATP, explique Julien Honnart. Au contraire, Karos souhaite organiser l'intermodalité au sein de sa propre application. "Notre appli combine le covoiturage et le transport collectif pour trouver les meilleurs trajets possibles", rappelle Olivier Binet. "Car vous pouvez habiter à côté d'une station de RER, mais je peux vous trouver un covoiturage qui vous emmènera sur une ligne plus adaptée à votre trajet et permettra d'aller plus vite qu'avec un covoiturage de bout en bout ou du transport en commun de bout en bout. 20% de nos trajets combinent ces deux moyens de transport."

En quête de rentabilité

Quels que soient leurs choix stratégiques, les deux start-up devront  trouver une manière d'atteindre la rentabilité, alors que les volumes de trajets sont encore faibles. Il leur faudra réussir à convaincre les grands groupes qui ont commencé à adopter leurs solutions de les généraliser à tous leurs sites en France, mais aussi poursuivre leur rapprochement avec les collectivités. Et pour Olivier Binet, un changement de mentalités doit également s'opérer pour que le covoiturage domicile-travail soit pris au sérieux. "Il faut industrialiser ce qui a fonctionné jusqu'ici. Cela passe par une prise de conscience chez les décideurs et des ajustements législatifs dans la loi mobilités pour que les autorités de transport s'approprient pleinement ces nouveaux usages. Nous sommes des entreprises, avec des produits professionnels. Nous souhaitons que notre métier soit traité de manière aussi professionnelle que les opérateurs de transport comme Transdev ou Keolis."