Tester des véhicules autonomes en France, un parcours du combattant

Tester des véhicules autonomes en France, un parcours du combattant Les entreprises qui testent des appareils sans chauffeur doivent en demander l'autorisation à l'Etat. Un processus lourd et complexe, mais qui laisse encore de la place à l'innovation.

Depuis 2016, constructeurs auto et opérateurs de transports peuvent tester des voitures et navettes autonomes en France. D'abord via des dérogations, et depuis cette année avec un cadre légal autorisant les expérimentations. Cela ne veut pas dire pour autant que les entreprises sont libres de tester des véhicules comme bon leur semble : elles sont toujours soumises à un régime d'autorisations auprès de l'Etat. La plupart des lois et décrets encadrant ces pratiques sont assez floues sur les conditions que doivent remplir les entreprises pour être autorisées à réaliser ces tests, qui sont laissées à l'appréciation de l'Etat. Alors, comment se déroulent ces demandes en coulisses ? Le JDN a consulté un constructeur automobile et un opérateur de transport impliqués dans ces tractations ainsi que le ministère chargé des Transports pour retracer le processus.

Deux décrets parus en mars et avril 2018 donnent les grandes règles, jusqu'alors officieuses, comme la nécessité de la présence d'un conducteur humain à bord ou à l'extérieur du véhicule et l'installation d'une boîte noire. La documentation s'est également officialisée. Les entreprises doivent remplir un dossier remis à la ministre chargée des Transports et au ministre de l'Intérieur via les adresses mails vdptc@developpement-durable.gouv.fr et vdptc@interieur.gouv.fr. Il comporte un long questionnaire permettant de définir le type d'expérimentation et de véhicule, l'impact sur la voirie et la circulation ou encore les mesures prises en matière de sécurité routière et cyber. A cela viennent s'ajouter deux autres gros dossiers et la foule de documents qui vont avec : une présentation technique du véhicule ainsi qu'une explication détaillée de l'expérimentation.

La tournée des ministères

Après la paperasse, l'attente. Une demande d'autorisation met en moyenne trois mois à être traitée. Le délai peut varier selon la nature du test. Une demande de renouvellement d'expérimentation dans les mêmes conditions, ou l'utilisation d'un véhicule déjà testé à maintes reprises, peuvent accélérer le processus. Facteur de ralentissement, la demande d'autorisation est examinée par les services de trois ministères (Ecologie, Transports, Intérieur), ainsi que par l'ANSSI, le gendarme français de la cybersécurité. Le ministère de l'Economie est également tenu informé, mais n'a pas son mot à dire. Sur la plupart des dossiers, ces différentes entités demandent des compléments et explications aux entreprises, ce qui ralentit la réponse.

Comment le sérieux de chaque projet est-il évalué ? L'administration ne possède pas d'experts du véhicule autonome à proprement parler. Même si le ministère des Transports assure que les instructeurs des demandes d'autorisation ont acquis au fil des années "des compétences spécifiques aux véhicules autonomes", il continue de consulter des experts externes, comme ceux du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), un établissement public administratif.

Aucune normes technologiques

On pourrait penser que le cadre des expérimentations était très strict au début des expérimentations, puis s'est assoupli en même temps que les capacités des véhicules autonomes progressaient. C'est pourtant le contraire qui s'est produit : les exigences grandissent à mesure que l'on s'approche de véhicules et services commerciaux. Le nouveau dossier de demande d'autorisation marque le renforcement de la vigilance de l'Etat en matière de cybersécurité, un sujet particulièrement sensible alors qu'il a été prouvé que des hackers pouvaient pirater et contrôler à distance un véhicule, autonome ou non, en pleine course.

Les exigences de l'Etat grandissent à mesure que l'on s'approche de véhicules et services commerciaux

Bien conscient qu'il s'agit d'une industrie naissante, en pleine phase de R&D, et dont les bonnes pratiques restent à définir, l'Etat laisse encore de nombreuses marges de manœuvre aux entreprises. Par exemple, les ministères n'imposent aucune norme technologique ni configuration minimale en termes de nombre ou de types de capteurs (lidar, radar, laser…), de technologies de freinage d'urgence ou de logiciel de conduite autonome. Ces choix technologiques sont laissés à l'appréciation de l'entreprise : elle n'a pas besoin de justifier que la configuration choisie est pertinente, mais s'engage sur le bon fonctionnement de l'expérimentation et sur sa capacité à reprendre le contrôle du véhicule en cas de défaillance. L'art de contrôler sans s'immiscer dans la R&D.