Navette autonome : l'audacieuse offensive de l'autocariste Bertolami

Navette autonome : l'audacieuse offensive de l'autocariste Bertolami Bertolami, un opérateur local de transport, a amorcé en 2018 une stratégie de croissance basée sur l'exploitation de navettes autonomes dans les zones touristiques et rurales.

Les véhicules rétrécissent mais les ambitions grandissent. Vieux de soixante-dix ans, l'opérateur de transport Bertolami est en pleine transformation. Cette entreprise familiale qui opère des autocars uniquement dans la Drôme ambitionne désormais de proposer des lignes de navettes autonomes aux collectivités et entreprises dans toute la France. Elle a signé des contrats d'expérimentations avec 3 collectivités ainsi qu'un parc logistique, et discute avec 34 autres collectivités afin d'y déployer ses navettes en 2019 et 2020.

Une transformation amorcée en 2018 lorsque les frères Bertolami, Fabien et Yannick, rachètent l'entreprise et en prennent la direction, raconte Benjamin Beaudet, directeur de l'innovation de l'entreprise. "Nous comptons sur les navettes autonomes pour assurer notre croissance. Notre objectif est qu'elles représentent 20% de notre chiffre d'affaires dans trois ans pour faire descendre l'activité autocar de 85% de notre CA aujourd'hui à 60%."

Plage, montagne, campagne

Pour y arriver, la stratégie de Bertolami est de se concentrer sur trois cibles qui ont des besoins de mobilités propres ou autonomes, mais sur lesquelles les grands opérateurs de transports comme Transdev ou Keolis, qui testent eux-aussi des navettes, n'iront pas. D'abord les stations touristiques, à la montagne comme en bord de mer. Les premières font face à d'énormes problèmes de pollution et cherchent à réduire les émissions de C02 en incitant les vacanciers à ne plus utiliser leurs voitures pour se déplacer dans la station. Bertolami a déployé une  expérimentation de navette l'hiver dernier à Vol Thorens, qui sera reconduite cet été et l'hiver prochain. "Nous sommes sur le point de finaliser des projets avec quatre autres stations", affirme Benjamin Beaudet.

Les stations balnéaires aussi cherchent à éviter les déplacements automobiles, notamment près du littoral pour prévenir l'érosion des sols. C'est le cas de Lacanau. La commune girondine testera entre juillet et septembre une ligne de navette autonome de 2,4 kilomètres qui effectuera un rabattement des trois parkings situés dans les terres vers le littoral. Autres clients, les communes rurales, avec une première expérimentation subventionnée par l'Union européenne qui démarrera cet automne et reliera les communes de la communauté du Val de Drôme. Dernière cible : les sites privés, dont le premier est l'immense parc logisitique E-valley (320 hectares) près de Cambrai, où quatre navettes participent au plan de mobilité interne depuis fin mai.

Une navette, trois clients

Côté techno, Bertolami s'est rapproché du constructeur de navettes autonomes Navya. Ils ont travaillé ensemble sur les besoins spécifiques de ces terrains d'expérimentation, par exemple les routes escarpées et enneigées des stations de montagne. L'opérateur développe aussi sa propre brique technologique, qui vise à maintenir un humain à bord de chaque navette, même lorsque la loi ne l'exigera plus. Bertolami travaille sur des interfaces qui permettront à cette personne de présenter facilement des informations aux usagers pendant leurs voyages, selon le lieu : touristiques en montagne et en bord de mer, citoyennes et administratives dans les communes rurales, mais aussi événementielles.

Côté modèle économique, l'entreprise ne vend pas les navettes de Navya aux collectivités, elle les possède et signe avec les villes des contrats d'exploitation sur trois ou quatre mois de l'année. L'entreprise espère ainsi créer un cercle vertueux dans lequel une même navette peut être utilisée par ses différents types de clients tout au long de l'année. "Par exemple, dans une zone industrielle ou logistique, l'activité est en baisse de 60% en juillet-août. Les navettes ne sont alors pas forcément adaptées et utiles. Nous pourrions donc leur trouver un usage en stations balnéaires durant l'été."

"Nous devrons sans doute passer par une levée de fonds"

Si l'on peut imaginer que des villes touristiques fortunées ou des sites industriels auront les moyens de se payer ces services, le modèle économique semble plus incertain pour des communes rurales. Comment Bertolami compte-t-il amortir ses navettes, qui coûtent plus de 250 000 euros l'unité, sans compter les capteurs en bord de route et la connectivité nécessaires, dans des zones qui généreront peu de volumes de trajets ? Et comment ces communes rurales financeront-elles ces services en l'absence de subventions ? "A terme, la supervision des navettes sera déportée et portera sur plusieurs appareils à la fois, ce qui réduira les coûts et permettra une meilleure amplitude horaire. Par ailleurs, les navettes de seconde génération seront 30% moins chères", répond assure Benjamin Beaudet.

Pour réaliser ces ambitions, le groupe Bertolami a créé une filiale dédiée aux navettes autonomes, baptisée Berto, et qui fonctionne indépendamment du reste de l'entreprise. Elle doit développer des compétences dans les interfaces logicielles, l'ingénierie et l'exploitation des appareils. Aujourd'hui composée de six personnes, l'équipe doublera avant la fin de l'année. Une montée en compétences qui nécessite des investissements, pour l'instant assurés par la maison-mère mais qui seront insuffisants. "Nous devrons sans doute passer par une levée de fonds", confie Benjamin Beaudet.