Véhicule autonome : en 2020, la France veut enlever les petites roues

Véhicule autonome : en 2020, la France veut enlever les petites roues Si la réglementation française doit évoluer en 2020 pour autoriser des déploiements commerciaux de véhicules autonomes, l'industrie locale n'est pas encore prête.

La loi mobilités désormais adoptée, le dossier du véhicule autonome en France va pouvoir avancer. Parmi les dizaines d'articles de ce texte, l'un concerne la libéralisation du transport autonome, mais tient en quelques lignes, puisqu'il ne contient aucune mesure concrète. L'article 12 autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance pendant deux ans après la promulgation de la loi pour adapter la législation et le code de la route aux véhicules autonomes. Les années 2020 et 2021 seront donc charnières dans le développement de ces services en France.

La priorité pour le gouvernement : sortir en 2020 une ordonnance dédiée aux navettes autonomes qui autorisera leur exploitation commerciale par des opérateurs de transport public. Elle permettra aussi la conduite déportée. C'est-à-dire qu'il ne sera plus obligatoire d'avoir un opérateur de sécurité à bord de chaque véhicule, comme c'est le cas aujourd'hui dans toutes les expérimentations menées en France. A la place, des opérateurs de sécurité surveilleront à distance, depuis des centres de contrôle, les trajets de plusieurs navettes à la fois. Ils pourront les arrêter et les rediriger en cas de problème.

Plus d'humains à bord

Cette possibilité de retirer les opérateurs de sécurité est cruciale pour trouver un modèle économique aux opérations de navettes autonomes. Elle est très attendue par EasyMile et Navya, qui estiment qu'elle permettra de déclencher des usages plus ambitieux et massifs. Cependant, les deux entreprises françaises reconnaissent que leurs technologies ne sont pas encore prêtes à se passer d'un opérateur de sécurité. Elles évoquent un horizon 2020-2021 pour être opérationnelles. Les opérateurs de transport comme Keolis, RATP et Transdev, qui préparent des briques technologiques de contrôle à distance des navettes, ne sont pas mûrs non plus pour la conduite déportée.

Ensuite, le gouvernement publiera des ordonnances qui concernent les véhicules connectés et véhicules autonomes, autorisées par l'article 13 de la Lom dans un délai d'un an après sa promulgation. Elles viendront apporter des garanties sécuritaires et juridiques aux opérations commerciales de véhicules autonomes. Notamment en établissant où se situent les responsabilités en cas d'accident. Une identification des responsabilités qui sera facilitée par une autre disposition de la Lom obligeant les constructeurs et opérateurs à partager leurs données avec la police, les gestionnaires d'infrastructures ou encore les assureurs.

Autre chantier d'ampleur qui débordera sur 2021, le développement de services commerciaux privés de véhicules autonomes (hors des réseaux de transport publics), dont il faudra définir les régulations et imaginer le modèle économique. Un an après la promulgation de la Lom, un rapport sera livré au gouvernement et proposera des solutions en ce sens. Parmi les scénarios à l'étude, mais pas encore actés, la mise en place d'un système de licences nationales, mis en avant par la start-up Goggo Network, qui a l'oreille du gouvernement dans la préparation de ces réformes. Elle discute actuellement avec la filière française pour la structurer et la convaincre de se tourner vers ce modèle de licences. Elle pourrait en effet en profiter un jour en tant qu'opérateur de services de véhicules autonome.

"Notre idée : réguler les véhicules autonomes comme les télécoms avec trois licences nationales"

"Notre idée est de réguler les véhicules autonomes comme les télécoms, en accordant trois licences au niveau national à des entreprises regroupées en consortiums réunissant différentes parties de la chaîne de valeur", détaille Yasmine Fage, cofondatrice et directrice opérationnelle de Goggo Network. Ces licences offriraient un droit exclusif d'opérer des véhicules autonomes dans le pays pour dix ans. Bien que les transports soient organisés en France au niveau des collectivités locales, la start-up argue que ce système national est rendu nécessaire par les investissements colossaux (R&D, infrastructure, supervision…) que requièrent les véhicules autonomes. L'échelle nationale permettrait ainsi de rentabiliser plus facilement ces investissements, mais aussi de forcer les opérateurs à ne pas seulement desservir les marchés les plus attractifs. Du côté des villes, notamment Paris, on milite plutôt pour un système de licence locales qui offrirait un maximum de contrôle, à la manière des appels d'offre que permet la loi mobilités pour les trottinettes en libre-service.

Quel que soit le modèle choisi, la filière française est en tout cas loin d'être prête techniquement à passer à des opérations commerciales. De nouvelles expérimentations soutenues par le gouvernement et annoncées en avril 2019 n'ont pas encore commencé. Elles doivent durer deux à trois ans et nourrir les réflexions du gouvernement en matière d'homologation.

Il faudra également réussir à réformer la convention de Vienne, dépendante de l'ONU, et qui empêche la plupart des pays (à l'exception notable des Etats-Unis et de la Chine) d'opérer commercialement des véhicules autonomes au-delà du niveau 3 (conduite semi-autonome, le conducteur doit rester attentif et être capable de reprendre le contrôle). Plusieurs pays européens, notamment l'Allemagne et les Pays-Bas, ont commencé à faire une interprétation de plus en plus souple de la convention de Vienne. Pas encore la France, qui espère toujours qu'une réforme internationale intervienne en 2020.

Attirer les investissements

Toutes ces réformes permettraient d'apporter de la certitude aux entreprises, qui ne savent pour l'instant pas quel genre de régulations les pays européens vont adopter en la matière, ni si les villes accepteront ce genre de transports. En l'absence de visibilité, nombre d'entre elles préfèrent mener leur R&D et leurs expérimentations aux Etats-Unis et dans certains pays d'Asie, où les régulations sont très souples voire inexistantes.

C'est par exemple le cas de Daimler, maison-mère de Mercedes, qui a commencé à tester en décembre un service de robo-taxis en Californie (San Jose). "Pour faire des investissements massifs et réaliser des déploiements qui ont un véritable impact, il sera difficile de nous baser sur des interprétations qui peuvent changer du jour au lendemain. Cela explique en partie nos investissements aux Etats-Unis plutôt qu'en Europe", confirme Adela Spulber, directrice du développement business et des relations avec les villes pour les services autonomes de Daimler. Inversement, cela pourrait convaincre les entreprises américaines de venir en Europe, alors qu'elles se focalisent pour l'instant sur leur territoire. A défaut, d'avoir des entreprises locales en avance, la France peut ainsi espérer attirer celles qui le sont.