Un deuxième hiver pour les opérateurs de free floating

Un deuxième hiver pour les opérateurs de free floating Le secteur des vélos, trottinettes et scooters en libre-service voit son chiffre d'affaires réduit à néant par les mesures de confinement, alors que les beaux jours arrivent et sont censés lui fournir le gros des revenus annuels.

2020 aurait dû être une excellente année pour les opérateurs de free-floating. Après un très bon début en janvier grâce aux grèves en France, ainsi que des efforts plus globaux pour rationaliser leur logistique et maîtriser leurs coûts, certains se prenaient même à espérer devenir rentables cette année. Mais depuis, la France, comme nombre d'autres marchés sur lesquels ils opèrent, s'est claquemurée pour une durée indéterminée.  

Les opérateurs d'engins en libre-service se préparent ainsi à vivre un deuxième hiver. Ils vont rater une partie plus ou moins longue du printemps, voire de l'été, périodes durant lesquelles nombre d'entre eux réalisent la grande majorité de leur chiffre d'affaires. L'absence de touristes, qui sera probablement plus longue encore que le confinement, leur fera également perdre une partie non négligeable de leurs clients. Chez Jump (Uber), ils représentent par exemple un tiers des utilisateurs de trottinettes, et un quart des cyclistes.  Lors d'une conférence vidéo organisée par Mobility Makers réunissant des professionnels du secteur le 1er avril, le président de Lime Joe Kraus a estimé qu'il faudrait "entre 8 et 16 semaines avant qu'une demande significative ne revienne sur le marché".  

Licenciements et dévalorisations

Des difficultés qui ont déjà des conséquences brutales sur les deux leaders des trottinettes en libre-service, les Américains Bird et Lime. Bird, qui promettait en juillet dernier d'embaucher 1 000 personnes rien qu'à Paris, a licencié 30% de ses 1 400 salariés fin mars. Tandis que son rival Lime, à la recherche de fonds, a accepté de voir s'effondrer sa valorisation de 80%, passant de 2,4 milliards à 400 millions de dollars, selon The Information, qui précise que la start-up n'a plus que quelques mois de cash devant elle. L'entreprise avait déjà licencié 14% de ses employés en janvier.  

Lime et Bird ont décliné les propositions d'interview du JDN. Lime nous a tout de même transmis une déclaration. "De nombreuses entreprises cherchent à renforcer leur bilan en période d'incertitude, Lime ne fait pas exception. Les valorisations sur tous les marchés, publics et privés, ont été durement touchées. ll y a quelques semaines à peine, Lime était en bonne voie pour atteindre son objectif de rentabilité 2020". L'entreprise se dit toute fois confiante dans son avenir, estimant que ses fondamentaux et les opportunités à long terme de la micro-mobilité "restent inchangés". 

Face à l'effondrement de leur chiffre d'affaires du jour au lendemain après l'entrée en vigueur de mesures de confinement, la plupart des entreprises de free-floating ont mis en pause leur service et activé les différents mécanismes d'aide proposés par l'Etat (chômage partiel, avances de trésorerie etc.) Mais quelques-unes, notamment Zoov (vélos), Dott (trottinettes) et Cityscoot (scooters) poursuivent leur activité en France.  

Coûts fixes brûleurs de cash

Interrogées, ces trois entreprises assurent avoir pris leur décision en accord avec les autorités, qui les ont incitées à continuer. Elles mettent en avant les besoins des professionnels qui ne peuvent télétravailler, notamment les soignants auxquels elles proposent des offres spéciales allant jusqu'aux trajets gratuits. Les trois entreprises voient aussi dans leur service une manière plus sécurisée de se déplacer que les transports en commun, puisque moins massive et confinée. Mais les volumes ainsi générés sont bien trop faibles pour engranger des profits. "C'est pire qu'un double hiver, c'est quasiment comme si nous étions fermés. Nous avons perdu 90% de notre activité depuis la mise en place du confinement", déplore Bertrand Fleurose, fondateur de Cityscoot. Dott évoque de son côté une activité en baisse de 80%, Zoov de 70%.  

Qu'ils arrêtent ou continuent leurs opérations au ralenti, les opérateurs vont de toute manière brûler du cash. Car leur business implique une part importante de coûts fixes difficiles à couper. "Nous avons 20% de frais nos liés à la location des entrepôts, l'électricité, Internet... et 20% pour la location de vans électriques en leasing", illustre Amira Haberah, cofondatrice de Zoov. Mais tous ne sont pas égaux sur ce point, fait remarquer Stéphane McMillan, ancien directeur de l'opérateur Circ en France. "Ce qui est triste, c'est que la situation actuelle favorise les moins-disant sociaux : si vous ne faites appel qu'à des indépendants et que vous avez sous-traité la gestion des entrepôts et de la logistique, vous pouvez quasiment tout couper". En pratique, la plupart des opérateurs louent au moins leurs entrepôts, un coût fixe majeur. 

"Quiconque pense que sa valorisation est la même qu'avant la crise se voile la face"

Le secteur montre en tout cas sa fragilité en cette période difficile, estime Bertrand Fleurose. "La micromobilité est l'un des secteurs les plus affectés par la crise et les plus à risque : il n'y a quasiment que des start-up, elles n'ont pas de trésor de guerre, pas d'actifs, et des bilans négatifs", dépeint-il. "Plus elles sont grosses, plus elles sont en danger." Chez Dott, on abonde. "Certains comptaient sur l'activité du printemps pour justifier leurs valorisations, cela va être compliqué pour eux à présent", tacle Henri Moissinac, cofondateur de la start-up. Pour Joe Kraus le président de Lime, c'est tout le secteur qui est touché. "Quiconque dans la micromobilité pense que sa valorisation est la même qu'avant la crise se voile la face", a-t-il asséné lors de la discussion organisée par Mobility Makers.  

Alors que cet hiver a déjà fait son lot de victimes (B Mobility, Circ, Coop), le deuxième hiver qui vient sera un test pour la confiance des investisseurs, qui devront refinancer ces start-up plus tôt que prévu. Certains, comme Cityscoot ou Voi ont la chance d'avoir levé des fonds récemment. Alors que d'autres, comme Zoov, sont victimes du calendrier et arrivent au bout de leur cycle de financement. "Il va falloir tenir un peu plus longtemps avec l'argent qu'on a", reconnaît Amira Haberah. Avec l'arrivée d'appels d'offres en France et en Europe (ils seront probablement repoussés), le marché promettait de ne plus faire du capital le seul déterminant des vainqueurs. La compétition reprend désormais la direction d'une course aux fonds. Pas pour la captation de parts de marché, mais pour la survie.