Benoit Sineau (OuiCar) "OuiCar est repassé en croissance annuelle depuis le déconfinement"

Le PDG de la plateforme de locations de voitures entre particuliers se dit confiant dans les capacités de l'autopartage à profiter de la reprise, qui favorise selon lui les transports individuels.

JDN. OuiCar a continué à fonctionner durant le confinement. Avez-vous pu maintenir un semblant d'activité ?

Benoit Sineau est le PDG de OuiCar. © OuiCar

Benoit Sineau. Notre activité s'est presque totalement arrêtée en 48 heures. Nos services ont été maintenus pour quelques cas exceptionnels, mais qui ne représentaient que 0,5% des volumes normaux. Nous avons donc coupé tous nos budgets marketing et mis la plupart des équipes au chômage partiel

Quelles mesures avez-vous prises pour continuer à opérer ? Avez-vous des obligations légales particulières, comme les taxis ou les VTC ?

Nous n'avons pas d'obligations légales sur les locations de véhicules, outre l'accompagnement et l'information des propriétaires et des utilisateurs. Nous conseillons aux particuliers qui mettent leurs véhicules en location sur notre plateforme de les désinfecter après chaque location et d'y mettre du gel hydroalcoolique à disposition, ainsi que de respecter les mesures barrières lors de la remise des clés. Les propriétaires y sont attentifs, car ils veulent eux-aussi que l'activité redémarre. Elle représente pour certains un complément de revenu important qu'ils ont perdu pendant le confinement. Par ailleurs, si on nous remonte que le propriétaire ou l'utilisateur d'un véhicule a eu le coronavirus ou a été en contact avec un malade, nous désactivons le véhicule de la plateforme pendant 5 jours. 

Voyez-vous de premiers signes de reprise depuis le 11 mai ?

Nous avons commencé à voir quelques soubresauts dès fin avril, avec l'annonce d'un déconfinement potentiellement le 11 mai (la date n'était alors pas encore certaine, ndlr). Nous avons commencé à enregistrer de premières locations de personnes qui se projetaient dans l'après-11 mai pour de longs weekends. A partir du 11 mai, ça a vraiment explosé. Depuis, nous sommes à nouveau en croissance par rapport à la même période l'année dernière, alors que nous n'avons pas encore réactivé notre marketing payant, qui génère chez nous entre 30 et 35% des locations. Nous attendons que la tendance se confirme avant de redémarrer nos investissements dans ce domaine.

Comment voyez-vous l'autopartage se positionner parmi les moyens de transports du déconfinement ?

"Il y aura un report vers les moyens de mobilité qui permettent de rester confiné"

Il y a deux grandes catégories de mobilités qui vont vivre le déconfinement différemment : les transports en commun et les transports individuels. Les seconds, dont fait partie l'autopartage, permettent d'être dans un contexte de respect complet des mesures sanitaires. Par contre, le train, le bus ou même les covoiturages impliquent de mettre ensemble des gens qui ne se connaissent pas dans un espace exigu. Je pense donc qu'il y aura un report vers ces moyens de mobilité qui permettent de rester confiné. Et sur la moyenne et longue distance, à part la voiture, il n'y a pas grand-chose d'autre que l'automobile. Pour ces raisons, je pense donc que la voiture individuelle et l'autopartage seront privilégiés. 

La crise actuelle ne renforce-t-elle pas la nécessité de s'appuyer sur des véhicules de location connectés, très peu présents sur OuiCar, et qui permettent d'éviter tout contact lors de la remise des clés (déverrouillage par smartphone) ?

En effet, les véhicules connectés sont très marginaux sur OuiCar et le resteront. Les semaines qui viennent de s'écouler nous ont montré que nous avions raison. D'abord, nous restons convaincus que les modèles 100% free floating ne sont pas viables économiquement. Car lorsque vous mettez une voiture dans la rue sans contrôle, la sinistralité augmente. Même chose pour les mesures sanitaires : si je loue une voiture connectée en libre-service, je n'ai aucun moyen de savoir si elle a été désinfectée, je ne peux pas le vérifier auprès du propriétaire, ni lui demander du gel hydroalcoolique si je n'en vois pas. Nous proposons donc des locations connectées uniquement lorsque le point de contrôle est proche des véhicules. Par exemple, un petit garagiste dans Paris qui loue quelques véhicules inutilisés et peut aller vérifier leur état entre deux locations. 

Deux échéances importantes attendaient OuiCar en 2020 : un premier lancement international en Espagne et une première ouverture du capital depuis le rachat par la SNCF en 2015. Sont-elles retardées ?

"Nous commencerons notre levée de fonds fin 2020"

C'est quand même cocasse. Nous devions appuyer sur le bouton du lancement en Espagne le 16 mars, le jour où le confinement a été annoncé en France ! Ce lancement est plus que d'actualité car tout est prêt. Nous sommes en train de voir si nous démarrerons avant ou après l'été, selon l'évolution des situations sanitaires et économiques en Espagne, qui ne sont pas excellentes pour le moment. Cela dépendra aussi du retour des touristes, car le marché de la location de voitures dans le pays est composé à 60% d'étrangers, contrairement à la France, où les nationaux réalisent 80% des locations. En revanche, nous nous lancerons de manière plus légère que prévue et davantage centralisée depuis la France, alors que nous devions ouvrir un bureau à Madrid.

Quant à notre capital, nous devions réaliser une levée de fonds au début de cette année, mais elle sera retardée. Nous commencerons l'opération fin 2020, avec pour objectif de la boucler au premier semestre 2021. Le problème durant le confinement n'était pas que nous n'avions plus de cash, mais que nous n'avions plus de business. Heureusement, c'est reparti, et la ligne de financement de notre dernière levée de fonds avec la SNCF n'est pas encore épuisée. Nous n'avons donc pas de problème de financement à court terme. Notre but avec cette prochaine opération est de trouver des investisseurs qui ont le profil pour nous aider à nous étendre à l'international. 

Sur quelles améliorations du service travaillez-vous ?

Nous avons travaillé sur plusieurs fonctionnalités stratégiques durant le confinement. D'abord, un nouveau modèle de gestion des prix pour les propriétaires, qui permet désormais de proposer des prix dynamiques. Par exemple pour faire payer plus cher le weekend qu'en semaine, ou pendant les vacances qu'hors saison. Chaque jour de l'année peut avoir un prix différent. Nous sommes aussi en train de développer une fonctionnalité de location rapide, qui sortira dans les prochaines semaines. L'objectif pour nos utilisateurs réguliers est qu'ils n'aient même plus besoin de lancer une recherche de véhicule : vous avez déjà loué plusieurs véhicules qui vous ont plu dans une certaine zone et pour un certain type de trajet, votre carte est déjà enregistrée, il vous suffit d'un clic pour louer. Cette expérience sans couture doit permettre de générer une utilisation de plus en plus quotidienne de OuiCar, alors que la plupart de nos locations se font aujourd'hui le weekend et pendant les vacances.

Benoît Sineau a rejoint OuiCar en 2013, d'abord comme directeur général puis PDG, succédant à la fondatrice de la start-up, Marion Carrette.  Avant cela, il a cofondé en 2007 la plateforme de réservation de loisirs Happytime.com, après avoir occupé des postes de direction chez Smartbox et Dell et exercé six ans dans le cabinet de conseil A.T. Kearney.

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