De chauffeur à livreur, le véhicule autonome s'adapte au coronavirus

De chauffeur à livreur, le véhicule autonome s'adapte au coronavirus Les applications de livraison par véhicule autonome ont connu un regain d'intérêt pendant le confinement. Tour d'horizon des acteurs et enjeux de ce segment naissant.

Alors que la plupart des tests de véhicules autonomes ont été stoppés (et le sont encore en partie) pour limiter la propagation du coronavirus, plusieurs entreprises du secteur ont tenté de réadapter leurs produits pour en faire des solutions de livraison de produits de première nécessité comme des médicaments et de la nourriture, ou encore pour désinfecter les rues. "C'est un peu de la com' pour l'instant, mais nous constatons un intérêt réel et croissant chez nos clients pour les solutions de livraison par véhicule autonome", assure Benoît Perrin, directeur général de la start-up de navettes autonomes EazyMile. L'entreprise française planche sur une déclinaison de sa navette dédiée aux applications de livraison, ainsi qu'une autre capable de combiner livraison et transport de personnes.  

En plus de start-up spécialisées dans les véhicules autonomes de livraison telles que l'américain Nuro ou le chinois Neolix, des mastodontes entrent dans la course. Ainsi, Waymo, la filiale de véhicule autonome de Google (Alphabet), a lancé en mars Waymo Via, sa division dédiée à la livraison, aussi bien par voiture que par camion autonome. De son côté, Amazon a racheté la start-up de véhicules autonomes américaine Zoox pour 1,2 milliard de dollars en juin. Elle travaillait plutôt sur des applications de transport de personnes et Amazon a affirmé soutenir cette vision. Mais il est difficile de croire que Jeff Bezos ne lui réserve pas un rôle dans sa quête d'une plateforme logistique mondiale toujours plus efficace.  

Camions, voitures, robots...

Si le segment du véhicule autonome de transport est clairement défini, avec principalement une division entre navettes et voitures sans chauffeurs, celui de la livraison autonome recouvre davantage de modes de transport qui peuvent être complémentaires ou en concurrence. D'abord les camions, qui devraient être parmi les premières applications à arriver à maturité. "Le transport de marchandises sur autoroute est celui qui réunit les conditions les plus favorables. Son autorisation de mise sur le marché peut donc arriver plus rapidement qu'en ville dans de nombreux pays", estime Franck Cazenave, directeur mobilités et smart city France de Bosch, producteur de capteurs et technologies pour véhicules autonomes. Outre cette typologie de trajet simple à gérer pour un véhicule autonome, il rappelle que le besoin s'en fait ressentir. "Les entreprises ont de plus en plus de mal à trouver des chauffeurs qualifiés car le métier n'attire plus. Par ailleurs, il sera possible de générer de forts gains de productivité, car les chauffeurs doivent légalement observer plusieurs pauses dans la journée et bien sûr dormir la nuit". 

En revanche, sur le dernier kilomètre en ville, les véhicules autonomes de livraison sont soumis aux mêmes contraintes techniques que ceux qui transportent des personnes : réussir à créer un système de conduite quasi infaillible qui prenne en compte les complexes règles de circulation et les nombreux obstacles urbains sur sa route. A la différence près qu'ils pourraient être régulés de manière moins stricte que le transport des personnes. Il faudra toutefois réussir à régler un certain nombre d'autres problèmes, notamment comment organiser l'attente et le contact avec le client si aucun humain ne peut se déplacer pour aller sonner chez lui.

Amortir les investissements 

Autre approche sur le dernier kilomètre, les robots de livraison autonomes circulant sur le trottoir et munis de coffres sécurisés permettant au client de récupérer ses courses ou son colis via un code. Un mode de livraison expérimenté par des start-up comme Nuro, Starship Technologies et Postmates (acquise par Uber en 2020) ou encore des géants tels qu'Amazon et Yandex (le "Google russe"). Ce segment a déjà généré plus d'un milliard de dollars d'investissements en capital-risque aux Etats-Unis, selon Wired.

"Ce sont des technologies de véhicules autonomes, mais pour rouler entre 5 et 7 kilomètres par heure. Puisque les risques d'accident sont limités et la vitesse moindre, il suffit de placer des capteurs ultrasons et radar, voire d'y ajouter un lidar", détaille Franck Cazenave. Pas besoin de coupler caméras, lidar et radars ni d'y ajouter des redondances, c'est à dire de doubler tout le dispositif de capteurs pour prévenir d'une défaillance comme sur une voiture autonome. Ce qui réduit énormément le coût de production de ces appareils, d'autant qu'ils ont besoin d'une puissance de calcul beaucoup plus faible en raison de leur faible vitesse. Mais ces appareils non plus n'échappent pas à certains écueils. D'abord les incivilités (ils sont faciles à renverser) et puis le risque de leur succès : s'ils venaient à pulluler sur les trottoirs tels des trottinettes en 2019, les régulateurs seraient forcés d'intervenir.  

Malgré ces difficultés, et même si la plupart des gros acteurs continuent à donner la priorité au transport de personnes, la livraison autonome est de plus en plus prise au sérieux. "Les Américains regardent le sujet de très près. J'ai également l'impression que les Allemands sont en avance, notamment avec la poste allemande et sa filiale DHL. En France, on constate un intérêt des pouvoirs publics, mais il est encore difficile de mobiliser la chaîne logistique", résume Benoît Perrin. "C'est aussi un nouveau débouché pour amortir les investissements dans les technologies de véhicule autonome", ajoute Franck Cazenave. Et vu les coûts faramineux de développement des voitures sans chauffeur, toute diversification est bonne à prendre.