La guerre du MaaS

Pourquoi des entreprises comme Uber, Freenow ou encore Lyft souhaitent contrôler l'ensemble de la mobilité publique et privée ? Qu'est-ce que cela peut leur (r)apporter ?

L’exploitation du Maas

En anglais et en langage technique cela s’appelle le « walled garden », le jardin clos en français. Plus en détails, cela signifie que les informations mises à disposition sur une plateforme sont limitées. La majorité du temps, les utilisateurs ne s’en rendent pas compte. Certaines informations sont mises en avant dans un but financier par la plateforme. Le vocabulaire utilisé est également biaisé ; lorsque vous arrivez sur la plateforme cela peut se traduire par des «suggestions de choix», des «propositions» ou des incitations comme «cela pourrait vous plaire»... Plusieurs plateformes utilisent ce type de procédé : Amazon Kindle, App store, Facebook…

L’application RATP « Bonjour RATP » disponible depuis la mi-juin est un excellent exemple de l’exploitation du MaaS (Mobility As A service) d’un acteur public dans le secteur de la mobilité. Cet été, la RATP a racheté le géant Mappy et souhaite concurrencer City Mapper ou encore Maps en proposant plusieurs types de transports: des VTC avec Marcel, des trottinettes avec Tiers Mobility et des vélos avec Vélib’. Lime avec ses vélos et ses trottinettes doivent rejoindre « Bonjour RATP » d’ici le printemps 2022. D’ailleurs, Hiba Farès, Directrice en charge de l’Expérience Clients, des Services et du Marketing au sein du groupe RATP a déclaré : « Ensemble, nous œuvrons pour une meilleure qualité de ville. Une ville où le développement d’une mobilité urbaine durable et écologique est favorisé. Une ville où gagner du temps est simple comme bonjour. »

Uber exploite différents « filons » du MaaS. Ce géant américain n’hésite pas à directement racheter certaines entreprises de la mobilité douce pour les proposer via son application ; nous pouvons citer Jump (vélo) ou encore Lime (trottinettes). En Île-De-France, il n’a pas racheté City Scoot, en revanche il a réussi à l'intégrer totalement de l'inscription jusqu'au paiement dans son application. Les utilisateurs existants doivent simplement connecter leurs comptes Uber et Cityscoot. Mais pour les nouveaux usagers, aucune création de compte n’est nécessaire. Toutes les informations sur ces nouveaux clients restent donc chez Uber, qui ne partage d'ailleurs avec Cityscoot aucune donnée sur l'usage de ses scooters au sein de son application.

Les conséquences de cette monopolisation

Cette exploitation a des conséquences bien réelles sur les utilisateurs et les citoyens. Tout d’abord, ces entreprises ne partagent pas leurs données avec les villes et les collectivités locales. Bien au contraire, elles les conservent et les exploitent à des fins commerciales ; et cela empêche les collectivités locales de voir les failles des transports en communs et de les corriger. En effet, Uber à travers différents partenariats stratégiques exploite déjà ses failles avec Citymapper, Getaround, Masabi…

Par exemple, avec Citymapper, (application dont le service permet de calculer en temps réel les différents itinéraires possibles, leur coût et leur durée, pour un déplacement donné) cela permet à Uber de compléter les transports en commun sur le premier ou le dernier kilomètre.

Avec Getaround (plateforme d’autopartage de voiture en location de particuliers) Uber propose à ses utilisateurs de louer une voiture individuelle depuis une de leurs applications mobiles pour se déplacer dans des zones moins bien desservies par les transports en commun. Il faut noter qu’à chaque réservation de ses services via l’application Uber touche une commission.

Il faut également noter que les données des utilisateurs - qui valent de l’or - lors de leur inscription sur ces applications privées sont aux mains de ces entreprises qui peuvent les revendre à des fins commerciales.

Les conséquences sociétales

Avec l’application « Bonjour RATP » présentée ci-dessus, nous nous posons la question sur les conséquences en termes sociétales que ce type d’exploitation de MaaS peut engendrer. Ici, la RATP ne se place plus comme un SIM (Système Informations multimodale) en donnant toutes les informations concernant un trajet d’un point A à un point B mais comme un MaaS car elle met à disposition de l’utilisateur différentes solutions pour se déplacer avec un système de paiement intégré à l’application.

En sélectionnant et en proposant uniquement certains acteurs de la mobilité, elle promeut certaines entreprises au détriment d’autres à travers son application – pour rappel la RATP est une entreprise publique- et cela soulève la problématique de la concurrence déloyale.

En Finlande, où l’application WHIM a été développée (elle regroupe à elle toute seule une douzaine d’applications pour se déplacer) les opérateurs de transport, quels qu’ils soient, doivent obligatoirement partager leurs données, utiliser des interfaces logicielles ouvertes et donner accès à leur billetterie. Ceci est une avancée importante car les gros opérateurs sont souvent très réticents à partager leurs précieuses datas.

Gabriel Plassat, ingénieur à l'Ademe (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) qui a fondé l’association « La Fabrique des mobilités » dans le but d’encourager cette mise en commun de ressources ouvertes s’exprime sur le sujet : « C’est plus difficile pour des entreprises de rang mondial, engagées dans une concurrence globale, de livrer leurs données et de coopérer sur des sujets innovants s’il n’y a pas un tiers de confiance pour donner un cadre à ce partage ».

La Finlande est un excellent exemple pour la France, il faut tout de même noter qu’il faut que les transports en commun restent la colonne vertébrale de la mobilité urbaine en France. Cela éviterait que certaines applications dans la mobilité favorisent la concurrence déloyale et deviennent une sorte de « App store bis ».

Dans le secteur de la mobilité, les décisions autours du MaaS vont être décisives pour le futur des villes. Le partage des données afin d’éviter la concurrence déloyale et la monopolisation des datas de la part des acteurs privés est primordiale. De plus en plus, l’organisation et l’évolution des villes vont dépendre des datas collectées.