Voitures électriques : comment réimaginer une industrie centenaire ?

Dans les dix prochaines années, les constructeurs automobiles prévoient de convertir leurs flottes à l'électrique. Cela implique une évolution radicale de l'écosystème et pose des défis de taille.

Avant la pandémie, la France ne semblait pas prête à s’engager sur la voie des voitures électriques : le manque d’infrastructure de recharge et des prix trop élevés semblaient nourrir la frilosité des prospects. Pour inverser cette tendance, le gouvernement français a engagé un ensemble de mesures incitatives pour les consommateurs et a versé des aides considérables aux constructeurs automobiles. Enfin, la décision du Parlement européen de mettre fin à la vente de voitures à moteurs thermiques en 2035 a joué un rôle majeur dans l’adoption du véhicule électrique : une augmentation de 394% des nouvelles immatriculations a été recensée en France depuis 2020. La tendance devrait s'accélérer rapidement au cours de la prochaine décennie, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), une organisation basée à Paris qui observe le secteur de l'énergie à l'échelle mondiale.

Au cours des dix prochaines années, de nombreux constructeurs automobiles prévoient de convertir leurs flottes à l'énergie électrique. Stellantis veut par exemple que 100% de sa flotte en Europe soit électrique d’ici 2030, alors même que le constructeur ne faisait pas de voiture électrique il y a encore quelques années. Les constructeurs automobiles doivent ainsi concevoir et fabriquer rapidement des produits qui répondent à des normes industrielles en constante évolution en matière de sécurité, de tests d'émissions et d'efficacité énergétique. Cette transformation implique une évolution radicale de la manière de penser et de fonctionner de l’écosystème et pose plusieurs défis de taille. Parmi ces défis, le plus important est celui de la demande croissante en batteries.

Montée en cadence de la production de batteries

En Europe, la question de la production de batteries de voitures électriques est capitale et de nombreux projets de méga-usines voient le jour pour répondre à la demande. En relocalisant la production de batteries, les pays européens souhaitent limiter leur dépendance à la production chinoise. C’est pourquoi, en 2021, on recensait pas moins de 38 projets de méga-usines en France (notamment dans le Nord du pays) et en Europe. La récente décision du Parlement Européen a eu pour conséquence de faire exploser la demande et le phénomène a pris une telle ampleur que les plans élaborés par les fabricants il y a moins de deux ans doivent déjà être actualisés. La montée en charge et la montée en cadence de la production de batteries est d’ores et déjà un défi considérable pour des fabricants. Les fabricants sont confrontés à un autre défi de taille, celui de la différenciation. Les fabricants asiatiques, en plus de fournir la majeure partie de la production, offrent des batteries à des tarifs plus attractifs qu’en Europe. C’est pourquoi, la durabilité des batteries est considérée comme le principal facteur de différenciation pour les fabricants européens.

Évolution des matériaux et de la fabrication

La production de véhicules électriques requiert de grandes quantités d’éléments, comme le nickel, le manganèse, le carbone et le lithium (pour les batteries). Ces matériaux sont présents en quantité limitée, tant en raison des problèmes liés à chaîne d'approvisionnement mondiale que de la rareté de ces ressources dans la nature pour soutenir un secteur aussi important que celui de l'industrie automobile. Des mines vont ainsi être ouvertes en Europe (il existe d’ailleurs des gisements de lithium-batterie dans le Massif Central et dans les Vosges) afin de garantir la souveraineté et un accès constant aux ressources. Par ailleurs, les consommateurs européens sont conscients des conditions dans lesquelles des matières premières sont extraites dans certains pays. Ils pourraient donc rapidement exprimer une préférence pour les batteries contenant peu ou pas de matières premières issues de pays où le coût humain de l’extraction est élevé. 

Au-delà des matières premières et des procédés de fabrication, les batteries de voiture elles-mêmes sont au cœur de l'évolution de la fabrication et des matériaux. Les cellules de batterie représentent environ 30 % du coût d'un véhicule électrique et présentent un niveau de complexité généralement inconnu de la plupart des fabricants en termes de tests, de mesure des cellules et d'autres facteurs. Des innovations considérables sont encore à faire dans le domaine de la performance des batteries qui, en plus de faire fonctionner le véhicule électrique, doit éviter de devenir un fléau pour l’environnement. Les batteries des voitures doivent rester sûres au moment de leur utilisation, mais aussi dans les 30 années à suivre, notamment si l’on considère la possibilité de reconditionner les véhicules. Cela nécessite encore plus de tests, de mesures, de normalisation, de données et d'analyses pour perfectionner ces technologies.

L’importance des tests

Si l’on regarde brièvement dans le rétroviseur, les batteries de voiture au lithium-ion ont donné de meilleurs résultats que ce que les experts avaient prévu à l'origine. Les premiers tests avaient d’ailleurs fait fuir de nombreux fabricants qui pensaient que cette technologie ne serait pas viable. A l'époque, certaines entreprises, comme Tesla, avaient pris une avance considérable dans ce domaine tandis que beaucoup de constructeurs doivent à présent rattraper leur retard au plus vite et déployer des efforts considérables en matière de R&D.

Le passage aux VE représente également pour les constructeurs l’opportunité de ne pas retomber dans certains travers qui avaient donné lieu au DieselGate : les constructeurs doivent être transparents sur les performances réelles des VE, que ce soit en matière d’autonomie, de temps de recharge ou de durée de vie. 

Ainsi, l'objectif des fabricants de VE et de batteries n’est pas seulement de retirer de la circulation les véhicules émettant des gaz polluants, c’est aussi d’améliorer les processus de fabrication pour créer un produit durable et écologique.

Développer des pratiques standard pour le réseau électrique

L’essor des VE nous oblige à penser la voiture comme un composant du réseau électrique plutôt que comme un élément externe. Il est nécessaire de créer des normes permettant aux véhicules électriques de participer activement à la santé du réseau électrique au lieu d'être une charge inutile. Cette forme de relation entre le réseau et les véhicules électriques peut être obtenue par le transfert d'énergie du véhicule au réseau (V2G).  Les nouvelles technologies de conversion intelligente de l'énergie et les capacités de communication avec les services publics intégrées aux VE et aux stations de recharge permettent de réaliser le transfert d'énergie entre véhicules et réseau et de contribuer à la stabilisation du réseau électrique en utilisant la batterie embarquée du VE comme système de stockage d'énergie relié au réseau. Cependant, des obstacles réglementaires entravent actuellement le V2G. Les VE et les stations de recharge devront en fin de compte satisfaire à des normes nouvelles et évolutives en matière d'interconnexion et d'interopérabilité des ERD avec le réseau électrique.  Ainsi, les opérateurs de services publics disposeront des outils dont ils ont besoin dans les systèmes de recharge pour gérer la prolifération des VE, en les utilisant comme une ressource pour répondre à la diversité du bouquet énergétique et aux demandes changeantes du réseau électrique moderne. Ils pourraient recharger les véhicules mais aussi renvoyer l'énergie excédentaire au réseau, ce qui améliorerait la résilience globale.

La voie à suivre

Si le fordisme avait profondément changé les processus de fabrication industriels,  les véhicules électriques offrent quant à eux une formidable opportunité de remodeler le transport et de réduire l'impact de l'industrie automobile sur la planète. C’est particulièrement vrai en Europe où, après plusieurs décennies de désindustrialisation, certains pays vont devoir atteindre des niveaux de production considérables, dans des délais courts. Pour cela, les parties prenantes devront continuer à trouver des solutions innovantes pour résoudre les nombreux défis annexes qui accompagnent l'arrivée des véhicules électriques sur le marché. Cela passe notamment par des investissements importants en R&D et une collaboration étroite avec les experts de la mesure pour accélérer l’innovation.