Cashback : beaucoup d'innovation, peu d'engouement

Cashback : beaucoup d'innovation, peu d'engouement Le système n'est toujours pas devenu une habitude culturelle des Français. Mais les commerçants semblent y trouver leur compte et les innovations foisonnent.

"C'est comme si nous courrions avec un panier percé", résume Matthias Lesterlin, CEO d'iGraal, pour imputer aux trop grosses contraintes réglementaires liées au RGPD le manque d'engouement des Français pour le cashback. Cette technique marketing visant à reverser une partie de la somme payée au consommateur, introduite dès les débuts du e-commerce, n'est toujours pas à la mode en France, de l'aveu même de ses promoteurs, qui évoquent également un "problème culturel" des Français. Cela malgré l'ingéniosité et le potentiel d'un système où tout le monde serait gagnant.

Alors, comment, enfin, booster le cashback ? Les start-up et autres acteurs institutionnels ne manquent pas d'imagination.

Les consommateurs peu emballés

Deux grands types de cashback cohabitent : un système où les banques reversent un pourcentage des transactions aux clients et un autre où les commerçants financent la ristourne. Sur ce premier mode de cashback, le marché européen a toujours été moins incitatif que les Etats-Unis du fait de son système bancaire. Les banques américaines ont davantage l'habitude de reverser de l'argent à leurs clients, peu importe la transaction effectuée par carte. "En France, on ne fait pas de cashback sur les transactions proprement bancaires, parce que les commissions d'interchange européennes sont trop faibles : 0,2%, alors que dans le monde anglo-saxon, les banques touchent 3%", précise Xavier Starkloff, CEO de l'application de cashback Joko. Le cashback a donc grandi naturellement outre-Atlantique. "Le seul acteur qui peut faire des rétrocommissions en Europe, c'est American Express car ils ne sont pas soumis aux 0,2%", abonde Pierre Lahbabi, CEO de la société de conseil Galitt, spécialisée dans les moyens de paiement.

"Beaucoup d'acteurs proposent le cashback, mais ça ne décolle pas vraiment"

En France, c'est bien le cashback en provenance des commerçants qui attire tous les regards. Pourtant, peu d'études de marché ont été réalisées. La dernière en date a été commandée par le Syndicat national du marketing à la performance (SNMP) à Xerfi. 60% des Français avaient déjà entendu parler du cashback en 2019, mais seulement 36% en comprenaient le fonctionnement. Un point sur lequel les plateformes n'ont pas réussi leur mission de démocratisation. Capital Koala, eBuyClub, iGraal, Poulpeo… Il ne manque pas d'offre sur le marché. "Beaucoup d'acteurs proposent le cashback, mais ça ne décolle pas vraiment. Le marché français est encore loin par rapport à d'autres", explique Marine Bauchère, consultante dans le secteur des services financiers chez Deloitte.

Plusieurs embuches parsèment le marché français. A commencer par l'essentiel du système cashback : l'intérêt du consommateur. Quelques centimes d'euros seulement dans sa cagnotte ? Les bénéfices peuvent parfois paraître bien maigres : "La valeur perçue n'est pas suffisante pour attirer les Français." Le plus étonnant est sans doute qu'ils restent hésitants face à ces solutions, alors qu'ils plébiscitent les bonnes affaires. 

A la tête d'iGraal, une des plus grosses plateformes de cashback en France, Matthias Lesterlin voit le problème d'un autre œil en considérant que son offre est déjà visible : "En France, on a huit millions d'inscrits, donc il y a de fortes chances que quelqu'un connaisse iGraal dans la rue." Son groupe n'a pas voulu communiquer le nombre d'utilisateur réellement actifs, mais le point de blocage se trouverait davantage du côté de la réglementation à l'écouter. "Le problème principal vient des règles de la Cnil sur le tracking et les cookies : pas de tracking veut dire pas de cashback. Une commande sur dix ne marche pas et c'est de pire en pire", soupire le dirigeant. Or ces dysfonctionnements ne facilitent pas le bouche à oreille, qui fait vivre l'entreprise. "Le programme de parrainage, c'est notre premier attracteur de clients. Si ça ne marche pas, les gens n'en parlent pas à leurs amis", déplore-t-il.

Un levier d'acheteurs qualifiés

Selon l'étude de Xerfi sur le marché français en 2019, 71% des commerçants considéraient que le cashback est un outil performant pour acquérir et fidéliser les clients. Cette année-là, le volume des ventes généré pour les e-commerçants français grâce au cashback s'élevait même à 690 millions d'euros, soit 1,5 fois plus qu'en 2016.

C'est tout le paradoxe du cashback. Boudé des consommateurs, mais adulé des services marketing chez les enseignes. "Il y a un intérêt pour le commerçant qui est budgétaire", avance Marine Bauchère. Acquérir des clients en faisant de la publicité en ligne peut être très coûteux et peu performant : une campagne sur Google ne garantit pas la conversion vers l'achat. L'avantage du cashback réside bien à ce niveau. La plateforme n'est rémunérée que s'il y a une vente. "Même si on vent de la visibilité, 95% de nos revenus sont basés sur la performance. Faire la même chose sur Google Ads coûte plus cher", assure le dirigeant d'iGraal.

"Un panier en moyenne 15% plus cher que la plupart des consommateurs"

Le cashback est donc un levier pour attirer des consommateurs amateurs de bonnes affaires et autres fans de classeurs remplis de coupons. Lorsqu'il dresse un portrait-robot de ses clients, Matthieu Lesterlin est clair : "Une jeune femme active de 35 ans, responsable du foyer et mère de famille pour qui iGraal est le moyen de faire une économie supplémentaire." Un profil qui a longtemps plu à l'ancien actionnaire majoritaire de la plateforme : le groupe M6, qui cible le même public avec ses émissions.

Les habitués du cashback sont souvent des hyperconsommateurs. C'est l'argument massue pour faire craquer les enseignes. "Leur intérêt, c'est d'accéder à une communauté d'acheteuses qualifiées, qui achètent pour un panier en moyenne 15% plus cher que la plupart des consommateurs", précise-t-il. Pour Pierre Lahbabi, cette raison explique pourquoi les banques traditionnelles ont toujours eu du mal à propulser le cashback : "Elles ont l'avantage d'avoir une grosse base de clients, mais ils sont moins dynamiques. Là où des nouveaux acteurs comme Joko ou iGraal en ont moins, mais leurs clients sont plus jeunes et engagés, ils font la démarche de chercher des bonnes affaires." Selon lui, si le cashback prend du temps à décoller, mais il se démocratisera à long terme grâce au bouche à oreille et l'émergence de ces jeunes plateformes à la clientèle active. 

La donnée bancaire pour se relever

Pour rendre leur produit attractif et attirer davantage de clients, les sites français de cashback voient l'open-banking comme une nouvelle opportunité. Deux avantages majeurs sont exploités : accéder au compte bancaire des clients pour mieux comprendre leurs habitudes de consommation et valider leurs transactions éligibles au cashback de manière automatique. Ou pour reprendre les éléments de langage de Joko, permettre un parcours client "smooth". Son dirigeant a vu en l'open-banking le moyen de faire du cashback à tous les niveaux, y compris en dehors des achats en ligne. "On fait aussi du cashback en magasin. L'utilisateur connecte notre application avec sa banque, ensuite il a juste à payer avec sa carte pour recevoir sa commission quand il achète dans des enseignes avec lesquelles on est partenaire", détaille Xavier Starkloff. Plus besoin d'installer une extension dans son navigateur ou de faire confiance aux cookies, l'utilisateur n'a aucune action à faire. En contrepartie, il accorde à l'entreprise un droit de regard sur son compte courant.

Pour Matthias Lesterlin, l'utilisation de la data bancaire est une réponse aux problématiques de son activité : "Tout ce qui est lié aux données bancaires va nous permettre d'avoir une croissance pour pallier à la fuite de nos utilisateurs." Sa société iGraal n'a pourtant toujours pas franchi le pas, contrairement à Joko. Une décision justifiée par un manque d'efficacité de l'open-banking. "Le problème, c'est que les transactions ne sont pas instantanées en France, le cashback n'apparaît que dans les 24 à 48 heures", affirme-t-il. Il est vrai que contrairement aux néobanques où chaque transaction apparaît immédiatement sur le solde du compte, il faut attendre un certain délai chez les banques traditionnelles, qui est encore plus long hors jours ouvrés. 

"On veut entrer dans le monde des fintech l'année prochaine et concurrencer des acteurs néobanque ou paiement différé"

Cette ouverture des données bancaires à des entreprises de cashback ouvre bien d'autres possibilités, selon Marine Bauchère du cabinet Deloitte : "Avec l'open-finance, on pourrait agréger tout le patrimoine du client pour comprendre ses problématiques financières et lui proposer les bonnes offres de cashback au bon moment." Traduction : les algorithmes de machine-learning des plateformes permettront aux commerçants de comprendre plus finement encore le comportement de leurs consommateurs. "On peut imaginer du cashback contextualisé. Si on se rend compte que les clients sont souvent intéressés par le jardinage au mois de mai, on peut faire un partenariat avec Truffaut par exemple", illustre la consultante.

Les ambitions bancaires des sites de cashback sont un secret de polichinelle, qu'eux-mêmes gardent difficilement. "On veut entrer dans le monde des fintech l'année prochaine et concurrencer des néobanques ou des acteurs du paiement différé", lâche Matthias Lesterlin. "On a de quoi être un gros acteur en Europe, mais on ne veut pas être en concurrence frontale. Ça ne coute pas si cher que ça d'être une banque aujourd'hui", termine l'entrepreneur. iGraal proposera-t-il une carte bancaire spéciale pour le cashback et ainsi pallier aux délais des banques traditionnelles, comme le souhaite le suédois Klarna dans le paiement fractionné ? "On voit pas mal de parallèles avec Klarna et on ne se ferme pas de portes. Si ça peut simplifier la vie du consommateur, pourquoi pas", répond plus timidement le cofondateur de Joko. "Pour les banques qui proposent du cashback associé à leur carte, ça donne de la valeur ajoutée par rapport aux concurrents : fidéliser et inciter à payer avec cette carte", analyse Marine Bauchère. Mais il faudra toujours convaincre d'abord les consommateurs français.