Les banques face à l'open banking : vers la stratégie Apple, la démarche Google ou l'approche Amazon ?

Laurent Darmon Directeur général La Fabrique by CA

Les premiers vainqueurs du net sont arrivés avec une offre plus pertinente que leurs concurrents : dans le soft, c’est l’exemple de Google qui a détrôné tous ses prédécesseurs alors qu’Apple s’est imposé dans le hard en réinventant le walkman. Amazon s’occupait de l'univers physique en proposant tous les livres du monde accessibles en un clic. Il fallait alors tout inventer et donc d’importants capitaux pour imposer leurs solutions. De fait, il y a eu peu de vainqueurs de cette dynamique du début des années 2000. Ceux qui s’en sont sortis ont écrasé les autres en imposant des investissements que les plus faibles ne pouvaient suivre.

Parallèlement, l’univers bancaire est resté à l’écart de cette première révolution de l’internet en conservant un modèle historiquement totalement intégré, imposé par la maîtrise de la relation client dans le monde physique et une réglementation rigoureuse tant en matière de fonds propres que de sécurité informatique. Mais le monde financier n’a pas été oublié dans l’évolution technologique des écosystèmes qui a suivi.

Un monde en écosystème

L’une des conséquences de la seconde révolution digitale a été de faire tomber les frontières entre les secteurs. Si vous structurez une app avec la technologie GPS, un réseau de taxi et l’intégration du paiement par carte, vous obtenez Uber. Il en est de même avec AirB&B ou Netflix. La disparition des frontières entre les secteurs permet de redéfinir une filière autour de la satisfaction d’un besoin client. Avec cette redéfinition des secteurs en lego, vous n’avez plus besoin de tout posséder : vous pouvez vous constituer en écosystème. Les plateformes sont nées de ce mouvement. Ainsi, la révolution des API a permis à des startups d’attaquer avec peu de moyens des secteurs historiquement dominés par des groupes puissants grâce à des solutions particulièrement pertinentes.

Cette économie en kit se distingue de la précédente par la plus faible intensité capitalistique exigée au démarrage. En utilisant les actifs d’autres entreprises, on peut inventer un produit totalement différent. Il en ressort une baisse drastique des capitaux nécessaires à la création expliquant comment seulement quelques centaines de milliers d’euros ont été nécessaires pour créer Blablacar ou Tripadvisor. Et avec des capitaux réduits, il devient possible d’adresser des secteurs de niche, autrement peu adressables dans l’économie classique, puis de grossir. Les besoins massifs de capitaux n’arrivent que dans un second temps pour prendre position mondialement dans une logique de the winner takes all.

A titre d’illustration, le premier séisme de cette nouvelle économie dans le monde bancaire a été le succès étonnant de Revolut et N26 qui se sont adressés initialement à une clientèle très spécifique : les millennials voyageurs. Les deux néobanques ont eu besoin de moins d’un million d’euros pour aller sur le marché chercher leurs premiers clients en s’appuyant sur des partenaires (Mastercard, Barclays pour l’anglaise et Mambu et Wirecard pour l’allemande). On voit désormais fleurir des banques pour les autoentrepreneurs (Shine), d’autres pour les ados (Xaalys) ou encore les grands voyageurs (Ditto). Il s’agit toujours de s’appuyer sur un écosystème pour débuter en construisant une proposition de valeur innovante.

L’univers bancaire est particulièrement concerné par ce phénomène car les exigences (sécurité, capitaux propres et conformité) ont longtemps protégé le secteur autour d’un oligopole aux offres assez monolithiques malgré le souci d’une segmentation produit. Deux phénomènes changent particulièrement la donne. D’une part, l’open banking devient une obligation de place via la réglementation européenne (DSP2) qui pourrait ouvrir l’innovation sur le secteur comme ce fut le cas de la DSP1 dix ans plus tôt qui a vu naître quelques géants du secteur (Adyen, Wirecard …). Les banques doivent permettre aux clients de transmettre leurs données de compte et d’initier des paiements à partir de plateformes tierces. Elles mettent donc en place des portails d'accès à des API réglementaires au profit des développeurs externes (comme ici pour le Crédit Agricole). D’autre part, des orchestrateurs facilitent la mise à disposition de processus bancaires à la demande : soit les données (API management de type Particeep ou Synapse), soit des process (Core SI agile comme Bankable ou Mambu) ou des bouts de banque intégrant l’agrément (Bank-as-a-service à l’image de Treezor ou Solaris).

Trois modèles pour un client

Quelle stratégie pour les acteurs historiques dans ce contexte? Dans l’univers digital, il y a aujourd’hui deux grandes stratégies opposées : celle d’Apple et celle de Google.

La première consiste à offrir le meilleur produit et le plus complet. Apple n’a qu’un iPhone à proposer, mais c’est « le meilleur smartphone », donc il est adapté à tout le monde. Tout d’abord parce qu’il est simple et complet et tout le monde veut de la simplicité : elle est universelle. Complet car la logique de l’app store permet à chacun de personnaliser son téléphone pour que le vôtre soit totalement différent du mien. Qui voudrait d’autre chose (s’il peut se le payer) ?

Dans l’univers bancaire, les banques universelles privilégient la première option en maîtrisant la relation client en hybridant l’univers digital et l’expertise humaine afin de proposer la meilleure expérience bancaire pour le client. Leurs forces vives sont orientées vers leur modèle central qui doit enrichir le modèle relationnel et satisfaire leurs clients. La maîtrise de l'ensemble de la chaîne s'est construite autour du conseiller de clientèle qui assurait la cohérence globale de l'expérience client et l'intégration de la variété des métiers de la banque universelle. Le digital a vocation à proposer un "conseiller augmenté" et une expérience sans couture y compris pour le client en autonomie. Les banques peuvent étendre leur proposition de valeur en opérant elles-mêmes des plateformes de services sur des univers où elles sont légitimes et peuvent y intégrer leurs offres dans des parcours guidés par le besoin client. Ainsi le Crédit Agricole s’appuie-t-il notamment sur son écosystème d'open API et son fintech startup studio pour créer des nouvelles entreprises développant des solutions à des points de douleur particuliers.

Côté Fintech, un N26 s'inscrit dans la même stratégie d'offrir une expérience maîtrisée de bout en bout. Mais là où les banques classiques, à l'image d'un Apple, contrôlent l'ensemble des éléments de leur chaîne de valeur, la Néobanque s'appuie sur des partenaires externes qu'elle a scrupuleusement sélectionnés. Et les retours des clients sont très bons avec des indices de satisfaction client élevés. Ce n'est donc pas le fait-maison qui est central dans cette stratégie, mais la qualité des parcours pour proposer la meilleure expérience client.

La seconde stratégie consiste à offrir une infrastructure à disposition d’entreprises tierces qui cherchent chacune à proposer le meilleur produit à leurs clients. C’est le modèle défendu par Google. Devenir l’équipementier du monde digital en proposant l’OS au cœur des produits du plus grand nombre d’industriels revendeurs. Ainsi, ce n’est pas Google qui a besoin de chercher à plaire à tous les clients finaux, mais l’ensemble des fabricants de smartphones – à l’exception notable d’Apple - qui se chargent chacun d’adresser une cible particulière avec un produit spécifique. Si certains échouent, ce n’est pas le problème de Google tant qu’il y a suffisamment d’acteurs pour couvrir l’ensemble du marché. C’est ainsi que Google adresse 80% du marché des smartphones avec une gamme extrêmement large.

Parmi les banques historiques, Arkéa oriente de plus en plus sa croissance vers le deuxième modèle : « proposer à d’autres réseaux ses produits et services financiers en marque blanche ». Il loue aussi bien un système d’information bancaire que des modules de paiement. Pour les établissements qui choisissent cette option, la bank-as-a-service apparaît alors comme un moyen pour les banques de monétiser la démarche d’open banking imposée par la DSP2. Côté Fintech, Amelist a pivoté pour offrir son infrastructure en location et devenir Treezor, désormais propriété de la Société Générale. L'open banking offre des perspectives nouvelles à cette approche en permettant aux banques de proposer leurs actifs à des plateformes matures ou naissantes opérées par des tiers. C'est une façon d'être utile et présente même hors de chez elles, en allant là où sont les clients et où ils ont besoin d'elles.

Chacun de ces modèles a ses propres défis pour se maintenir :

- Proposer la meilleure expérience client comme Apple impose des investissements importants pour rester le meilleur sur l’ensemble de la chaîne et expose à rater un virage stratégique. Les marges colossales de la marque à la pomme l’ont jusqu’à maintenant protégée tandis que Microsoft a raté le virage du smartphone pour conserver son hégémonie sur les systèmes d’exploitation.

- Être le fournisseur référent comme Google fonctionne tant qu’on peut l’imposer avec un modèle gagnant grâce à un avantage concurrentiel. Google utilise la gratuité pour maintenir son hégémonie dans le monde des OS mobiles mais il existe d’autres puissants leviers concurrentiels comme l’effet de réseau (utilisé par Facebook) ou une innovation (comme le moteur de recherche de … Google).

Lorsque l’on est suffisamment puissant, on peut combiner les deux dans un troisième modèle. C’est le cas d’Amazon. En cherchant à proposer la meilleure expérience client, la société de Seattle a transformé sa plateforme de e-commerce en Place de marché pour satisfaire toutes les demandes même quand elle n’a pas le produit elle-même au meilleur prix. Le message est clair : inutile d'aller ailleurs puisque tout est ici quelle que soit votre attente. Une réinvention modernisée de la stratégie du One-stop shop. Parallèlement, Amazon a proposé son service d’hébergement aux commerçants de sa marketplace, devenant progressivement le leader incontesté de l’hébergement informatique via Amazon Web services (12% de son chiffre d’affaires mais 63% de son bénéfice).

Bien que constituant un modèle différent, Amazon est bien une hybridation des deux premiers proposés par Apple et Google. Comme Apple, il s’agit toujours de proposer soi-même le meilleur produit, mais plus de le fabriquer soi-même. Comme pour Google, il s’agit toujours d’équiper des partenaires en proposant son infrastructure (vitrine, paiement, logistique) pour laisser le client choisir lui-même quel est le meilleur produit pour lui.

Le monde bancaire traditionnel français n’a pas (encore ?) ce type d’acteur constitué en marketplace, mais des fintechs internationales à succès comme eToro (pour trouver son analyste boursier) ou Raisin (pour placer son argent) prouvent que le secteur peut se prêter aussi à la place de marché sur des usages précis.

Alors entre Apple, Google et Amazon, les GAFA ont montré qu’aucune approche ne dominait l’autre, mais ils prouvent aussi la puissance de ces stratégies vis-à-vis des clients. Car l’enjeu reste toujours le même peu importe le chemin : que le client soit satisfait en trouvant la meilleure solution pour lui. Les banques qui ne parviendront pas à être à la hauteur de cette promesse risque de souffrir bien plus que les autres.


Laurent Darmon
Directeur général La Fabrique by CA