Avec l'open finance, place à la personnalisation

Avec l'open finance, place à la personnalisation Passer d'une banque pour tous à une banque pour chacun, c'est la course à laquelle se livrent néo-banques et institutions traditionnelles. L'heure est au sprint final.

Le passage à la DSP2 a donné un coup de pied dans la fourmilière bancaire. "Jusqu'en 2018, les banques n'avaient jamais ouvert leurs bases de données pour des raisons de méfiance et car cela coûte cher. Il aura fallu attendre cette obligation réglementaire pour les y forcer", rappelle Julien Maldonato, conseiller financier au cabinet Deloitte. Cependant, tout le monde n'est pas autorisé à pénétrer la brèche. La DSP2 a créé les statuts d'agrégateurs d'informations sur données de paiement (AISP) et les prestataires d'initiation de services de paiement (PISP). Le premier permet de réunir les informations de paiement de nombreux comptes pouvant servir des offres de comptabilité, de gestion ou de nouveaux produits, le second de simplifier l'acte d'achat et d'optimiser les flux financiers. " La DSP2 nous apprend que l'émergence de nouveaux modèles d'affaires découle en grande partie de la création de nouveaux statuts, Ce sera à la Commission européenne de déterminer si de nouveaux statuts seront nécessaires", affirme Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France. 

De l'open banking à l'open finance  

Malgré son nom, l'open banking désigne en fait l'open payment. L'information et l'initiation de paiement sont à la base d'un basculement systémique de la banque baptisé open finance. "L'open finance va élargir le champ du partage des données à celles liées aux produits d'épargne et d'assurance", avance Denis Beau. "Jusqu'il n'y a pas si longtemps, ce qu'on attendait de son banquier c'était un service de coffre-fort, aujourd'hui la banque a vocation à être au cœur du quotidien", abonde Hervé Manceron, CEO de la société de core banking Skaleet . Pour y parvenir, priorité est donnée au développement de nouveaux usages. Comme souvent, l'innovation devance la réglementation et plusieurs cas d'usage sont déjà testés.

Pour le scoring credit

Plusieurs acteurs du crédit, dont Meilleurtaux, proposent à leurs usagers d'accéder à leurs données bancaires dans le but de mieux cerner leur capacité de crédit et surtout de balayer tout risque de défaut de paiement. Un cas d'usage qui a de l'avenir du côté des courtiers notamment. Il est aujourd'hui possible d'utiliser des algorithmes d'IA pour déterminer des schémas types d'habitudes de consommation, de défaut de paiement ou d'insolvabilité à telle ou telle période du mois. "C'est protéger le consommateur que de lui montrer ses mauvaises habitudes", justifie Julien Maldonato.

Pour la gestion de patrimoine

Toujours en 2018, l'éditeur de solutions digitales Français, Harvest a développé une solution permettant aux compagnies d'assurance de réaliser le bilan patrimonial de leurs clients plus simplement et rapidement. Après l'obtention de son agrément de prestataire de service d'information, Harvest a commencé à distribuer sa solution dotée d'un module DSP2 qui permet aux courtiers d'accéder directement aux données bancaires de leurs clients, sous réserve de leur accord. L'idée derrière ce cas d'usage est de mieux cerner le patrimoine et la gestion des clients dans le but de leur prodiguer des conseils personnalisés et adaptés à leurs habitudes et besoins propres.

Pour anticiper les changements

Et si la combinaison d'algorithmes et de données permettait de prévoir la vie des clients ? C'est en tout cas ce qu'a voulu démontrer le cabinet Deloitte qui a travaillé sur ce projet en sandbox auprès de plusieurs banques françaises. Le cas d'usage est atypique mais ses dérivés sont infinis. Deloitte a mis au point des algorithmes permettant de détecter qu'un client d'une banque se met à réserver des nuits d'hôtel dans sa propre ville. "Ce genre de données permettent à la banque de prédire avec un taux de corrélation élevé qu'elle recevra une demande de séparation du compte joint dans les prochains mois", explique Julien Maldonato. La solution n'a pas encore été déployée par peur d'un scénario à l'américaine. Il convient de se remémorer le scandale des supermarchés Target en 2015 qui avaient averti les parents d'une mineure de la grossesse de leur fille après que celle-ci ait changé ses habitudes de consommation au profit de produits propres à la grossesse. Les futurs grands-parents ont ensuite porté plainte contre l'enseigne. L'enjeu maintenant est de déterminer le bon degré d'intrusion pour éviter de répliquer cette regrettable prouesse en Europe.

D'une banque pour tous à une banque pour chacun

L'une des caractéristiques propres à la banque en France, c'est la relation client. A la différence des pays anglo-saxons où les réseaux d'agences sont majoritairement franchisés, les agences bancaires appartiennent intégralement à leurs maisons mères et c'est en partie ce qui explique qu'elles aient du mal à passer à un modèle de gestion et de conseil 100% digital. "Les banques françaises n'investissent pas sur la personnalisation algorithmique des notifications, alertes et autres messages car cela risque de mettre en porte à faux le conseiller en agence", explique Julien Maldonato. Là encore, la tendance évolue et les réseaux traditionnels pourraient bien s'appuyer sur un système hybride et pousser des conseils et contenus personnalisés directement aux conseiller afin qu'ils les prodiguent ou non aux clients. De leur côté, les néo-banques ont fait de la personnalisation de la relation client un axe majeur de développement. Leur force ? Le développement des API. "Là où les Stripe, N26 et Revolut se sont bâtis dans les nuages, la création d'une API du côté des banques nécessite en moyenne deux ans de boulot", observe Hervé Manceron

Quel cadre pour la personnalisation ?  

La personnalisation est à l'étude auprès de la Commission européenne et prépare le terrain à l'accélération de l'open finance… La DSP3 comporte un double enjeu, simplifier l'accès aux données et protéger les consommateurs. Une fois n'est pas coutume, les règles sont plus difficiles à écrire qu'à appliquer et la DSP2 en a servi de rappel selon Julien Maldonato. "L'authentification forte amenée par la DSP2 a donné lieu à de nombreux décrochages au moment du règlement des achats, certains commerçants ont vu leur CA diminuer de 30 ou 40%", se souvient il. Pour la personnalisation des offres et produits bancaires, le nerf de la guerre se trouve dans la data et là encore la DSP3 entend bien fixer des règles, car l'objectif est également de garder de contrôle. "Il y a un risque que l'élargissement de l'accès aux données  favorise les géants du numérique qui disposent déjà d'un pouvoir important dans les domaines du cloud computing, du paiement mobile et de l'identification numérique", prévient Denis Beau. "Knowledge is power", c'est avec cet axiome en tête que l'Europe doit garder (ou regagner) son indépendance vis-à-vis des géants numériques, majoritairement extra européens. Mais comment favoriser l'ouverture du marché à de nouveaux acteurs sans risquer une surconcentration, tout en restant souverain de sa donnée ? Pour y répondre, trois pistes sont avancées par la Commission européenne :

  • Encadrer le partage de données via une compensation financière en contrepartie afin de garantir une concurrence équilibrée
  • Développer des API standardisées permettant l'accès aux données bancaires
  • Donner davantage de contrôle au consommateur sur l'utilisation de sa donnée en lui permettant de cesser le partage à tout moment