Baisse des collectes et faillites à la pelle : pourquoi le crowdfunding déchante ?

Baisse des collectes et faillites à la pelle : pourquoi le crowdfunding déchante ? Miné par un contexte politique et macroéconomique défavorable, le financement participatif traverse une période très délicate.

Après l'euphorie, place à la gueule de bois. Popularisé en France au début des années 2010, le financement participatif connait de sérieuses difficultés ces derniers mois. Selon les chiffres de Forvis Mazars et de France FinTech, les montants collectés par les plateformes de crowdfunding ont baissé de 17% en 2024. En 2023, ils avaient déjà diminué de 11%...

A ces chiffres inquiétants s'ajoutent les difficultés de célèbres acteurs du milieu. Le dernier en date concerné ? La plateforme de crowdfunding immobilier Koregraf qui a annoncé cesser son activité début avril. Avant elle, October, WeShareBonds, Wiseed ou encore Utip avaient également connu de sérieux déboires. De son côté, La Banque Postale s'est séparée de Lendopolis en novembre. "Les grosses gamelles ne font pas du bien à notre écosystème. Elles entrainent une perte de confiance du côté des investisseurs", se désole Benjamin Wattinne, CEO et cofondateur de la plateforme de crowdfunding Sowefund.

Le crowdfunding immobilier très touché

Mais ce dernier estime qu'il ne faut pas tout mélanger : "Il faut bien distinguer l'immobilier du reste". En effet, si l'ensemble du financement participatif souffre, le crowdfunding immobilier est particulièrement touché. Le secteur a subi la remontée des taux d'intérêt et, toujours selon les chiffres de Forvis Mazars et de France FinTech, a enregistré une baisse de 25% des montants collectés en 2024.

Et pour l'immobilier comme pour les autres secteurs, souligne Maxime Galland, avocat et spécialiste juridique des services financiers pour KPMG, le contexte politique et macroéconomique n'a pas aidé : "Entre les conflits dans le monde, l'inflation persistante et l'instabilité parlementaire, un climat d'incertitude s'est installé et la confiance des particuliers s'est érodée".

"Les élections législatives de 2024 ont constitué un vrai coup d'arrêt"

"Les élections législatives de 2024 ont constitué un vrai coup d'arrêt", confirme Benjamin Wattinne. "Pourtant, mieux vaut investir dans le creux de la vague car les valorisations sont moins élevées. Mais cela n'est pas évident à comprendre pour le grand public". Ce dernier a également pu être refroidi par le nombre record de défaillances de start-up en 2024 (64 selon ScaleX Invest !). Un record qui n'envoie pas un bon signal…

La raréfaction du financement des start-up françaises peut aussi être vu comme un facteur pénalisant : "Dans l'ensemble, il y a moins d'argent investi. L'activité a ralenti donc c'est logique que le crowdfunding soit touché", rappelle Benjamin Wattinne. Mais paradoxalement, le ralentissement du private equity peut aussi constituer une opportunité : "Quand le financement traditionnel se porte moins bien, les start-up cherchent des financements alternatifs". "Comme les investisseurs classiques, les spécialistes du crowdfunding peuvent jouer un rôle d'accompagnement auprès des start-up car ils ont une excellente vision de l'écosystème", ajoute Maxime Galland.

Consolidation en vue ?

Autre éléments à souligner dans cette période difficile, un règlement européen sur le financement participatif entré en vigueur fin 2023 fixe à cinq millions d'euros le plafond de collecte autorisé par projet. Ce même règlement a obligé tous les acteurs du crowdfunding à s'enregistrer auprès du régulateur de leur pays (l'AMF pour les plateformes françaises) comme prestataire de services de financement participatif. "Pour les plateformes, ce fut un gros chantier", souffle Maxime Galland. "Cette règlementation a été à la fois un poids mais aussi une chance". Une "chance" parce qu'elle a professionnalisé le secteur et qu'elle pourrait, à terme, permettre de restaurer la confiance des particuliers envers les plateformes.

Comme le fait remarquer François Assada, associé KMPG et responsable du marché fintech, cette règlementation "permet aux acteurs du crowdfunding d'opérer dans les autres pays européens". Un changement d'échelle qui pourrait ouvrir la voie à une phase de consolidation du secteur. Certaines plateformes, dans l'optique d'assurer leur survie, "étudient sérieusement la possibilité de se rapprocher avec d'autres acteurs, qu'ils soient spécialistes du crowdfunding ou non", confie Maxime Galland. A titre d'exemple, le fonds d'investissement Founders Future a acquis Sowefund fin 2023, qui est parvenu à doubler les montants collectés sur sa plateforme en 2024.

Les mois qui arrivent montreront si le salut du crowdfunding passera par la consolidation du secteur. En attendant, les idées pour stimuler l'activité se multiplient : "On a diversifié notre offre en proposant à notre communauté d'investisseurs des prêts sous forme d'obligations convertibles", indique Benjamin Wattinne. "Depuis plusieurs mois, dans le milieu, beaucoup estiment qu'insuffler plus de blockchain et de tokenisation dans le crowdfunding pourrait redynamiser le secteur", ajoute Maxime Galland. A ce stade, toute initiative pour relancer la machine semble plus que bienvenue.