Dans la fintech, la bataille du compte pro se durcit

Dans la fintech, la bataille du compte pro se durcit De nombreuses raisons expliquent cette compétition autour du compte pro, un produit qui incarne la convergence entre néobanques et comptatech tout en contribuant à accélérer ce rapprochement.

Avec l'émergence de la super-app, les frontières entre néobanques et comptatech deviennent de plus en plus floues. Les premières n'hésitent pas à empiéter sur le terrain des secondes et inversement. Un produit en particulier illustre cette grande convergence : le compte pro. Ces derniers mois, de nombreux spécialistes de la gestion financière et/ou comptables ont multiplié les annonces pour attirer les PME et les indépendants vers leur compte bancaire professionnel.

Allons-y pêle-mêle. Fin septembre, Qonto a annoncé rémunérer les dépôts de ses clients. Une offre déjà proposée par Memo Bank depuis 2024. D'autres ont fait le choix de proposer un compte pro gratuit comme Shine ou Indy tandis que Pennylane ne surfacture pas ce service. Ces deux derniers sont à l'origine des spécialistes de la comptabilité. Le compte pro n'est tellement plus la chasse gardée des néobanques que même les legaltech s'y mettent, puisque LegalStart et LegalPlace en proposent toutes les deux, tout comme le spécialiste du financement BtoB Hero. Et comme si cela ne suffisait pas, le Britannique Tide a investi le marché français en septembre dernier et promet le lancement imminent de son compte pro. Pour faire simple, Spendesk demeure l'un des seuls poids lourds du secteur à ne pas proposer ce service.

Produit d'appel vs produit phare

Mais pourquoi le compte pro est-il devenu un si gros enjeu pour tous ces acteurs ? Selon la nature de ces derniers, les réponses varient. Pour les comptatech, il s'agit avant tout de centraliser sur une unique plateforme tous les services nécessaires à leurs clients. "Il y a des ponts naturels entre le compte bancaire, la facturation et la comptabilité. Les indépendants veulent tout au même endroit", explique Côme Fouques, CEO d'Indy. Pour ces acteurs, le compte pro est avant tout perçu comme un produit d'appel : "Chez nous, il est gratuit donc c'est clairement une porte d'entrée vers nos autres services", poursuit le dirigeant. "Quand on a ajouté le compte pro, l'objectif principal était d'améliorer l'expérience utilisateur de nos clients. Ce n'était pas pour une logique de revenus car le service n'est pas surfacturé et on ne pratique aucun frais bancaire. Les revenus bancaires représentent moins de 10% de nos revenus totaux", confie Arthur Waller, CEO de Pennylane.

En revanche, pour les néobanques, le compte pro n'est pas un produit d'appel mais un produit phare et une source importante de revenus. "C'est un service rémunérateur. Avec la hausse des taux d'intérêt, la rémunération des dépôts a augmenté", indique Bernard-Louis Roques, cofondateur de Truffle Capital, un fonds d'investissement spécialisé dans la fintech. Enfin, pour les legaltech, le compte pro et les autres services financiers permettent de générer des revenus récurrents (grâce à un abonnement) en complément de leurs revenus transactionnels (liés à la création d'entreprise).

Réforme de la facturation électronique

Il existe aussi des raisons communes à tous ces acteurs. "Le compte pro est également un point d'ancrage qui permet souvent de conserver un client sur une longue période et donc d'accroître sa lifetime value", ajoute Bernard-Louis Roques. Enfin, la réforme de la facturation électronique explique aussi le phénomène compte pro. La grande majorité des fintech qui ont multiplié les annonces sur ce service se sont déclarées plateforme de dématérialisation partenaire (PDP). Dans ce contexte, le compte pro sera un atout précieux pour capter la plus grosse part du gâteau possible.

"De nouvelles entreprises vont devoir choisir une PDP dans les prochains mois. A partir du moment où elles s'équiperont d'un logiciel de facturation, elles voudront sans doute une plateforme qui propose plusieurs services dont le compte pro", anticipe Côme Fouques. "Sans compte pro intégré, il y aura pour les entreprises un risque de désynchronisation entre la facture envoyée à Bercy et celle enregistrée par le comptable", prévient Arthur Waller. "Avant, le compte pro était un plus. Avec la réforme, il devient indispensable".

Au final, la bataille du compte pro incarne la convergence entre néobanques et comptatech, tout en contribuant à l’accélérer. "Pendant des années, on a conclu des partenariats les uns avec les autres. Par exemple, on collaborait avec Shine pour proposer un compte pro. Quand on a lancé le nôtre, on est passé de partenaire à concurrent", raconte Côme Fouques. Reste la question de l’ampleur du mouvement sur le long terme. "Il est très probable que certaines comptatech deviennent elles-mêmes des néobanques et demandent leur propre agrément, afin de ne plus partager les revenus du compte avec un partenaire BaaS. Nous assisterons à une transition du BaaS vers des licences bancaires", conclut Bernard-Louis Roques.