Qu'apportera (réellement) la 6G ?
Cela fait à peine quatre ans que la 5G est commercialisée en France et déjà se profile la sixième génération de communications mobiles. La 1G (1986) a permis de passer des appels téléphoniques en situation de mobilité, la 2G (1991) d'envoyer des SMS, la 3G (2004) de surfer sur le web avec son smartphone, la 4G (2011) de s'initier aux joies streaming dans les transports. La 5G a surtout renforcé les capacités réseaux en voie de saturation et trouvé sa pertinence en entreprise en répondant aux besoins d'applications critiques.
Qu'apportera la 6G ? Attendue au mieux à horizon 2030, le prochain standard devrait affoler les compteurs avec un débit théorique jusqu'à cent fois supérieur à celui de la 5G, soit 1 To/s, et une latence ramenée en deçà de la milliseconde (ms). Pour obtenir de telles performances, la 6G montera dans le haut du spectre électromagnétique. Alors que la bande cœur de la 5G se situe entre 3,4 et 3,8 GHz, la future norme devrait approcher le térahertz (THz), tout en reprenant les fréquences existantes.
Selon les propriétés physiques de propagation des ondes radio, plus une fréquence est basse et plus le signal porte loin, ce qui fait mécaniquement baisser son débit. A contrario, les fréquences en haut du spectre offrent une portée limitée mais d'excellentes performances. "En associant l'ultra haut débit à une très faible latence, la 6G ouvre la voie à des cas d'usages nécessitant une approche quasi temps réel comme la chirurgie à distance ou la robotique connectée", estime Hakima Chaouchi, pilote de la mission France 6G à l'Institut Mines-Télécom , lancée en 2023 dans le cadre du programme de recherche (PEPR) Réseaux du Futur.
L'omni-connectivité apportée par la 6G permettra, selon elle, d'"assurer la continuité des communications qu'elles soient terrestres, maritimes et même spatiales dans le cadre de cas d'usage civils ou militaires". La 6G est, de fait, appelée à être embarqué dans des satellites en orbite basse pour développer des réseaux non terrestres (ou NTN, non-terrestrial networks). En février, la Chine a mis sur orbite son premier satellite 6G.
Véhicules autonomes et jumeaux numériques
En densifiant les capacités réseaux, la 6G connectera un grand nombre d'objets intelligents simultanément. Un élément clé qui conditionne l'essor des véhicules autonomes dans le monde de l'automobile ou de l'aéronautique. "Une voiture autonome ne 'voit' qu'à travers ses caméras", constate Christian Leon, PDG d'Ericsson France. "En traversant un carrefour, elle a besoin de savoir ce qui se passe tout autour en prenant l'information auprès des équipements urbains connectés."
"Nous participerons peut-être à des réunions immersives par avatars 3D interposés et un son spatialisé".
En proposant ce que Huawei appelle la connectivité extrême, la 6G réconciliera le monde physique et le monde virtuel. Directeur du domaine de recherche réseaux et infrastructures chez Orange, Eric Hardouin croit beaucoup au développement des jumeaux numériques. "Soit la représentation numérique d'un objet, d'un bâtiment qui évolue avec son double physique", argue-t-il.
Cette représentation digitale du monde physique ouvre également la voie aux communications holographiques. Dans les années 2030, nous participerons peut-être à des réunions immersives par avatars 3D interposés et un son spatialisé. "Il sera possible d'avoir des conversations réalistes avec des personnes situées à des milliers de kilomètres, comme si elles se trouvaient juste en face de nous", se réjouit Hakima Chaouchi.
Au- delà de l'image et du son, la 6G pourrait concrétiser, selon Christian Leon, la notion d'Internet of Senses (IoS), soit la capacité à reproduire tous les sens humains y compris le goût, l'odeur et le toucher.
Halte à la course aux performances
Pour l'heure, ces cas d'usage ne sont que des hypothèses. "Quelqu'un qui explique aujourd'hui ce que sera la 6G demain n'est pas crédible", tacle Eric Hardouin qui fait observer que le cycle de standardisation ne fait que commencer. L'organisme de normalisation correspondant, le 3GPP, a lancé que cet été le premier groupe de travail dédié aux exigences de services de la 6G (SA1).
"Le vrai coup d'envoi sera donné mars 2025 avec le lancement des études de faisabilité technique", estime Eric Hardouin. "Les premières spécifications techniques devraient, elles, intervenir au plus tôt en mars 2029. Et sachant qu'il faut compter 18 mois pour développer les équipements, les réseaux commerciaux devraient être ouverts fin 2030 et, plus vraisemblablement, en 2031."
"Il s'agit non seulement de jouer sur la consommation énergétique des réseaux mais aussi sur l'éco-conception logicielle ou la composition des matériaux"
Plus globalement, Orange estime, dans un livre blanc consacré aux communications mobiles de 2030 et au-delà, que le principe même de nouvelle génération, qui revient toute les décennie en moyenne, ne fait plus sens. Alors que la 5G n'a pas encore délivrée tous ses promesses et s'enrichit continuellement (la 5G Advanced apportera tout une série d'améliorations en termes de débit, de couverture ou de sécurité), l'opérateur historique invite l'industrie des télécoms à réévaluer la pertinence des futures évolutions technologiques.
"Qu'est-ce qu'attendent nos clients des réseaux du futur ?", interroge Eric Hardouin. "Avoir un débit d'1 To/s sur son smartphone ne changera rien à l'expérience utilisateur si ce n'est de pouvoir charger un film en une fraction de seconde. Du côté des entreprises, il existe très peu de cas d'usages nécessitant une latence de l'ordre de la milliseconde." De même, il estime qu'aller vers la fréquence du THz n'a pas de sens économique. "Elle offre une portée tellement réduite que cela obligerait à densifier le réseau. Les bandes comprises entre 6 et 15 GHz offrent un meilleur compromis", estime-t-il.
A cette course aux performances, Orange oppose les notions d'inclusion numérique, de confiance et de durabilité. Mouvement déjà initié avec la 5G, la 6G doit à la fois accroitre la sécurité des réseaux mobiles tout en réduisant leur impact environnemental. "La 6G se fixe comme objectif de réduire son empreinte environnementale à tous les niveaux qu'il s'agisse des protocoles de communication ou de la gestion des services", complète Hakima Chaouchi. "Il s'agit non seulement de jouer sur la consommation énergétique des réseaux mais aussi sur l'éco-conception logicielle ou la composition des matériaux qui entrent dans la fabrication des antennes ou des batteries."
Intégrée nativement à l'architecture 6G, l'IA pourrait participer à cet effort en configurant automatiquement les réseaux afin d'optimiser leur consommation énergétique en fonction du cas d'usage. Cet enjeu de décarbonation est clé avec l'explosion des usages mobiles. Selon une récente étude de l'Arcep, le trafic de données sur les réseaux mobiles a bondi, en France, de 20% environ en 2023 pour s'élever à 13,3 exaoctets. "La 6G doit permettre d'augmenter les capacité réseaux avec un coût et une empreinte environnementale les moins élevés possibles", en conclut Eric Hardouin.
L'Europe à la traîne
Pour sa part, Christian Leon craint un décrochage de l'Europe par rapport aux Etats-Unis et la Chine. "Au regard de leur santé financière, les acteurs télécoms européens n'ont pas aujourd'hui les capacités d'investir dans de nouvelles fréquences et de déployer de nouvelles infrastructures", souligne-t-il. Dans ce contexte, le dirigeant d'Ericsson France voit d'un bon œil les conclusions du rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l'UE. L'ancien président de la BCE évalue entre 750 et 800 milliards d'euros par an les besoins en investissements supplémentaires pour préserver la souveraineté technologique du Vieux Continent, notamment sur le volet télécoms.
Pour supporter les coûts de R&D, les opérateurs et équipements doivent, en revanche, raisonner au niveau mondial. Or, Christian Leon pointe le risque futur, avec la fragmentation géopolitique actuelle, que le futur standard ne soit pas harmonisé au niveau mondial et qu'il y ait une 6G américaine, une 6G européenne ou une 6G chinoise. Un risque réel si l'on se souvient des précédents de la 2G et la 3G dont les standards différaient selon les plaques géographiques.