Une frontière coupe leur maison en deux : faut-il un passeport pour aller des toilettes à la chambre ?
Située à une heure et demie de Bruxelles, Baarle se distingue par son incroyable découpage territorial. Dans ce village, la Belgique (Baerle-Duc) et les Pays-Bas (Baarle-Nassau) s'imbriquent dans un enchevêtrement d'enclaves sans équivalent dans le monde. Baarle compte vingt-deux enclaves belges en territoire néerlandais et sept enclaves néerlandaises à l'intérieur de celles-ci, héritées de partages féodaux du Moyen Âge. Ces enclaves, certaines de la taille d'un jardin, ont pour effet que la frontière traverse des maisons, des commerces, et même parfois des portes d'entrée.
L'origine de cette frontière chaotique remonte au XIIe siècle. A cette époque, les seigneurs locaux se partagent les terres selon des critères parfois arbitraires, souvent motivés par la fiscalité ou la fertilité du sol. Malgré de nombreuses tentatives de simplification, aucune réforme n'a réussi à effacer cet héritage féodal. Même les occupations ou les négociations internationales n'ont apporté que des ajustements marginaux, le dernier en date ayant eu lieu en 1995. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les autorités allemandes avaient brièvement tenté de rattacher Baerle-Duc aux Pays-Bas, mais la situation d'avant-guerre a été rapidement rétablie dès la Libération.
Dans ce labyrinthe administratif, la nationalité d'une maison dépend de l'emplacement de sa porte d'entrée. Si elle donne côté néerlandais, l'habitation est considérée comme néerlandaise, même si la cuisine ou la chambre se trouvent en Belgique. Ce principe a poussé certains habitants à déplacer leur porte d'entrée pour changer de pays et profiter d'avantages fiscaux ou administratifs. Il existe même à Loveren une maison dont la porte traverse la frontière, attribuant deux adresses et deux sonnettes à la même habitation.

Un couple de retraités habite une maison coupée en deux. L'été, ils prennent leurs repas dans le jardin en Belgique. Mais, quand ils se réchauffent dans leur salon l'hiver, ils vivent aux Pays-Bas. Les services publics aussi s'adaptent à cette mosaïque. Deux services de police existent. Toutefois, les pompiers sont partagés entre les deux communes. Les commerces jouent de cette ambiguïté : un café peut servir ses clients à la fois en Belgique et aux Pays-Bas.
Un supermarché traversé par la frontière applique la législation du pays où se trouve sa porte d'entrée, ce qui permet à des jeunes néerlandais d'acheter de l'alcool dès leur 16 ans. L'essence, le tabac et la bière, moins chers côté belge, attirent une clientèle venue d'en face. Enfin, la coexistence de deux fiscalités entraîne, pour certains propriétaires, la réception de deux avis d'imposition distincts pour un même logement partagé par la frontière.