Comment changer l'activité d'un bail commercial?

Le commerçant n'est pas autorisé à exercer n'importe quelle activité dans un bail commercial : il doit respecter la destination du contrat. Il est toutefois possible de changer d'activité en cours d'exécution du bail commercial.

Qu'est-ce que la déspécialisation du bail commercial?

Le contrat de bail commercial est celui par lequel le propriétaire d’un local, le bailleur, donne en location à un commerçant immatriculé au registre du commerce et des sociétés, le preneur, un local afin qu’il y exploite son fonds de commerce (art. L. 145-1 C. com). 

Par le contrat de bail, les locaux sont destinés à l’exercice de l’activité dont il est fait mention ; il incombe au preneur de respecter cette destination (art. 1728 C. civ). La clause de spécialisation s’applique normalement jusqu’à la fin du bail.

Pour autant, la destination des lieux figurant au contrat n’est pas intangible, et les parties peuvent décider de la modifier. Ce changement, appelé déspécialisation du bail commercial, figure aux articles. L. 145-47 à L. 145-55 du Code de commerce. La déspécialisation peut prendre deux formes : soit elle est partielle, soit elle est plénière. À titre subsidiaire, une troisième hypothèse peut être envisagée : la cession-déspécialisation. 

Dans tous les cas, la déspécialisation emporte un certain nombre de conséquences juridiques pour le preneur (indemnité de déspécialisation, risque d'augmentation du loyer notamment). Il est ainsi vivement conseillé aux parties de prendre conseil auprès d'un avocat spécialisé en bail commercial pour procéder à une déspécialisation. 

Qu'est-ce que la déspécialisation partielle du bail commercial ?

La déspécialisation partielle emporte un changement accessoire de l'activité prévue au bail commercial. L’article L. 145-47 du Code de commerce dispose que "le locataire peut adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires". La notion d’activité connexe ou complémentaire n’est pas définie par le Code de commerce, elle relève de l’appréciation souveraine des juges du fond en fonction de la nature des produits ou services vendus, ou des similitudes entre la clientèle de l’activité principale et celle de l’activité envisagée.

Pour adjoindre une activité connexe ou complémentaire à son activité principale, le preneur doit notifier le bailleur par acte extrajudiciaire ou par LRAR, et indiquer l’activité nouvelle qu’il entend exercer (art. L. 145-47 al. 2 C. com). Il ne s’agit pas de demander l’autorisation au bailleur, mais simplement de l’informer ; et le défaut de notification rend la déspécialisation irrégulière.

 Le bailleur dispose de deux mois pour répondre à la notification du preneur. Soit le bailleur ne conteste pas le caractère connexe ou complémentaire de l’activité adjointe et la déspécialisation est admise.

Soit le bailleur conteste le caractère connexe ou complémentaire de l’activité adjointe à l’activité principale, et le litige est porté devant le tribunal judiciaire, qui devra se prononcer au regard des pratiques commerciales en cause. Pour rappel, les juges du fonds disposent d’un pouvoir d’appréciation souverain. S’ils refusent de reconnaître le caractère connexe ou complémentaire, alors l’activité seconde ne pourra pas être adjointe à l’activité principale. À l’inverse, la déspécialisation sera admise.

Enfin, si le bailleur ne répond pas à la notification du preneur dans le délai de deux mois, il perdra le droit de contester le caractère connexe ou complémentaire de l’activité adjointe, et la déspécialisation sera admise.

Quelles sont les conséquences d'une déspécialisation partielle du bail commercial?

Si la procédure de déspécialisation n’est pas respectée, que le bailleur n’est pas informé de l’adjonction d’une activité seconde à la principale, alors la déspécialisation sera jugée irrégulière.

Une déspécialisation irrégulière est sanctionnée par le versement de dommages-intérêts au bailleur, qui pourra également refuser de renouveler le bail, ou demander la résiliation judiciaire, ou conventionnelle si une clause résolutoire le prévoit.

À l’inverse, si la procédure est respectée, la déspécialisation est régulière. Le bailleur peut ainsi, lors de la première révision triennale suivant la notification, réviser le loyer pour que celui-ci corresponde à la nouvelle valeur locative des lieux loués, augmentée par l’adjonction d’une activité connexe ou complémentaire (art. L. 145-47 al. 3 C. com).

La déspécialisation permet de faire échec à la clause d’exclusivité et à la clause de non-concurrence dont le bailleur pourrait être débiteur à l’égard d’un preneur tiers.

En effet, dans l’hypothèse où le bailleur aurait consenti à un preneur tiers à la déspécialisation une clause d’exclusivité – clause par laquelle le bailleur s’engage à ne pas conclure de contrat de bail commercial avec un preneur ayant la même activité que celle du bénéficiaire de cette clause – il n’engagerait pas sa responsabilité contractuelle quand bien même l’activité adjointe serait identique à celle protégée par la clause, à supposer que le bailleur n’ait pas commis de faute – Civ. 3ème, 24 octobre 1984, n°83-11.433.

L’articulation de la déspécialisation partielle et de la clause de non-concurrence est la même : le bailleur qui consent une telle clause, à un preneur tiers, ne voit pas sa responsabilité contractuelle engagée à l’occasion d’une déspécialisation partielle acquise par l’auteur de l’adjonction de l’activité faisant l’objet de la clause de non-concurrence, à moins qu’il ait commis une faute – Civ. 3ème, 15 février 2012, n°11-17.213.

Qu'est-ce qu'une déspécialisation plénière du bail commercial? 

L’article  L. 145-48 du Code de commerce dispose que le locataire peut, sur sa demande, être autorisé à exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues dans le bail.

La déspécialisation plénière doit répondre à deux exigences : elle doit être commandée par la conjoncture économique et les nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution ; et elle doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble ou de l’ensemble immobilier.

La conjoncture économique fait référence à la rentabilité. Ainsi, le preneur peut écarter l’activité peu rentable pour en exercer une autre qui lui sera plus profitable.

L’organisation rationnelle de la distribution impose que la nouvelle activité soit cohérente avec les commerces exploités à proximité. Elle suppose donc d’analyser le secteur afin de vérifier la cohérence de l’activité envisagée avec son environnement.

Pour formuler une demande de déspécialisation plénière, l’exploitant doit notifier le bailleur et les créanciers inscrits sur le fonds de commerce, par acte extrajudiciaire ou par LRAR, et indiquer l’activité nouvelle qu’il entend exercer (art. L. 145-47 al. 2 C. com). Le locataire dispose d’un droit de repentir lui permettant de renoncer à la déspécialisation à tout instant (art. L. 145-55 C. com).

Lorsque la déspécialisation entre en opposition avec une clause d’exclusivité consentie par le bailleur à un preneur tiers, le bailleur dispose d’un mois à compter de la notification pour informer ce preneur, qui dispose également d’un mois pour faire connaître sa position (art. L. 145-49 C. com).

Aux termes de l’article L. 145-49 du Code de commerce, le bailleur dispose d’un délai de trois mois pour répondre au preneur. Soit il accepte la demande. Soit il l’accepte sous conditions : la notification des créanciers inscrits sur le fonds de commerce prend tout son sens ici. Assortir l’acceptation de conditions permet de sauvegarder leurs intérêts. Le bailleur peut également s’opposer à la demande pour motif grave et légitime, ce que le preneur pourra contester devant le tribunal judiciaire (art. L. 145-52 C. com). Enfin, si le bailleur ne répond pas dans le délai imparti, il sera réputé ne pas s’être opposé à la demande.

Quelles sont les conséquences d'une déspécialisation plénière du bail commercial?

Si la procédure de déspécialisation n’est pas respectée, le preneur sera privé de son droit au renouvellement du bail pour motif grave et légitime et le contrat de bail commercial pourra être résilié soit par résiliation judiciaire, soit par l’application d’une clause résolutoire qui l’aurait prévu.

Il est possible que la déspécialisation préjudicie le bailleur, il pourra alors demander au preneur une indemnité de déspécialisation (art. 145-50 C. com). Comme pour la déspécialisation partielle, la déspécialisation plénière peut entraîner une augmentation du loyer eu égard à l’augmentation de la valeur locative des locaux, mais cette augmentation de loyer peut être immédiate : elle n’est pas soumise aux conditions de la révision du loyer de l’article L. 145-50 du Code de commerce.

Qu'est-ce que la cession-déspécialisation ?

La cession-déspécialisation (art. L. 145-51 C. com) est la possibilité donnée au preneur ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou bénéficiant effectivement d’une pension d’invalidité, de céder son contrat de bail commercial à un preneur qui exerce une autre activité commerciale que la sienne. Ce dispositif est disponible pour l’associé unique de l’EURL et le gérant majoritaire depuis au moins deux ans de la SARL, lorsque celle-ci est titulaire du bail. Il faut, comme pour la déspécialisation plénière, que l’activité envisagée soit compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.

Le preneur doit signifier au bailleur et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce son intention de céder, la nature de l’activité envisagée et le prix de cession du contrat de bail. Cette notification vaut comme une offre, sur laquelle le bailleur dispose d’une priorité durant deux mois.

Le bailleur peut exercer son droit de priorité dans le délai de deux mois, mais il peut également s’opposer à la cession-déspécialisation en saisissant le tribunal judiciaire et en arguant du défaut de comptabilité entre l’activité envisagée et la destination, les caractères et la situation de l’immeuble. Enfin, comme pour la déspécialisation partielle et plénière, le silence du bailleur équivaut à un accord pour la cession-déspécialisation.

Qu'est-ce qu'une activité implicitement incluse?

La déspécialisation n’est pas la seule façon de changer d’activité. Il existe, à titre d’exception, une construction jurisprudentielle permettant d’exercer une activité qui n’est pas définie dans le contrat de bail, mais qui, eu égard à la situation particulière, est implicitement incluse dans la destination contractuelle des locaux. Cela fait figure d’exception, car aucune procédure d’information du bailleur n’est exigée.

Illustration : un bar-restaurant situé au château de Versailles décide de vendre des tickets pour le visiter, motif que le bailleur estime suffisant pour demander la résiliation du bail et l’expulsion du preneur. La Cour de cassation tranche : "la vente de billets d’accès au château de Versailles était un service offert à leur clientèle par l’ensemble des bars restaurants situés à proximité et cette activité offrait un service de proximité correspondant à l’évolution des usages locaux et commerciaux aux abords du château" – Civ. 3ème, 16 septembre 2015, n° 14-18.708.