10 conseils pour devenir une véritable entreprise sociale
Devenir une entreprise sociale n'est pas seulement une affaire d'investissement dans les technologies de communication. C'est une entreprise qui intègre les valeurs durables dans son système de gouvernance, dans sa culture et dans sa définition interne du leadership.
La transformation sociale dont on nous parle sans cesse me
paraît présenter quelques problèmes qui m'inquiètent.
Tout d'abord, ce que nous entendons collectivement par
entreprise sociale doit être redéfini. Qu'est-ce que cela signifie ?
Ensuite, si nous continuons à agir au niveau social sans informations ni
inspiration, certaines de nos entreprises sociales toutes neuves risquent de
subir le sort qui a été fatal à de nombreuses e-entreprises au début de ce
siècle.
Il faut donc commencer par définir ce qu'est une
« entreprise sociale ». La sagesse traditionnelle nous souffle qu'il
suffit d'appuyer sur un interrupteur (c'est-à-dire mettre en place des outils
de médias sociaux) pour que notre personnel se mette comme par magie à
collaborer et à innover de façon utile et rentable, cependant que notre réseau
mondial de parties prenantes ne cessera de se développer.
Or, ce n'est pas le cas.
Nous ne pouvons pas faire automatiquement interagir nos
employés de façon profonde et durable en appuyant sur un bouton, en créant une
page Facebook, en lançant des solutions de communication sociale internes ou
des plates-formes de retour d'information en temps réel sur nos performances,
ni même en remplaçant nos adresses e-mail par des hashtags, pas plus que nous
ne pouvons créer de la valeur à long terme pour nos actionnaires en accolant un
« e » au nom de l'entreprise.
Nous ne pouvons pas exiger d'un employé
qu'il ait soudain une idée géniale ni décréter l'apparition de collaborations
intenses et créatives, de même qu'il est impossible d'exiger d'un médecin qu'il
devienne plus humain ou d'un professeur qu'il soit plus inspiré dans sa façon
d'enseigner.
Lors d'un dîner auquel je participais récemment, j'ai
entendu un excellent orateur évoquer ce fameux interrupteur censé mettre sur
orbite les entreprises sociales. Lorsque mes voisins de table m'ont demandé ce
que je pensais de cette transformation, j'ai répondu que nous serions bien
avisés d'être attentifs à nos comportements plutôt qu'à nos nouvelles
technologies. Si l'un de nous envoyait un tweet pour vanter la qualité du steak
que nous avions dans nos assiettes, par exemple, il risquerait de choquer
certains membres de nos réseaux pour qui les vaches sont des animaux sacrés.
Entendons-nous bien, les technologies et les entreprises
sociales peuvent effectivement apporter beaucoup de choses au monde et aux
individus, comme nous en avons récemment eu la preuve. Lorsque je participerai
le mois prochain à SXSW
Interactive, une conférence renommée qui explore l'avenir des innovations
technologiques, je suis persuadé que la dimension sociale y sera un thème
dominant. La technologie continuera à nous révéler et à nous connecter de façon
encore inimaginable, avec des implications que nous ne comprendrons pleinement
que plus tard, cela est inévitable.
J'adhère à cette « méga
tendance » et je me réjouis d'une de ses implications indéniables :
la plus grande démocratisation des entreprises et la participation plus étroite
des individus à leurs modes de direction, de gouvernement et de
fonctionnement.
Mais je tiens aussi à ce que notre discours sur
l'entreprise sociale et notre vision soient les plus complets possibles. Les
entreprises qui prospèreront et qui réussiront en tant qu'entreprises sociales
sont celles qui sauront tirer le meilleur parti de leurs connexions sociales.
Réussir dans cet environnement exige plus qu'une nouvelle technologie.
Voici
10 façons d'exploiter réellement la dimension sociale dans un monde qui
n'est plus simplement connecté, mais interconnecté et interdépendant.
1) En finir avec les conversations
unidirectionnelles. L'époque où l'on pouvait diriger un pays ou une
entreprise à coups de conversations unidirectionnelles est révolue. Plusieurs
exemples l'ont récemment démontré, comme Netflix engageant ce type de
conversation avec ses clients sur les tarifs, la Bank of America faisant de
même sur les frais des comptes débiteurs et Verizon à propos d'une surcharge
d'e-facturation.
Si les entreprises doivent devenir véritablement sociales,
elles doivent engager des conversations avec leurs parties prenantes plutôt que
de simplement s'adresser à elles. Les entreprises réellement sociales ne se
contentent pas de publier ou de tweeter : elles écoutent et elles
dialoguent de façon collaborative.
2) Mettre en relation et collaborer.
Ce n'est pas parce que toutes les entreprises possèdent désormais la
capacité technologique de tenir des conversations sociales avec leurs employés,
leurs clients et leurs parties prenantes que toutes ces conversations ont
automatiquement un intérêt. Ce sont les entreprises qui sauront développer les
connexions les plus profondes qui généreront la plus grande valeur ajoutée pour
leurs clients et leur personnel (sans oublier leurs actionnaires).
Mozilla,
par exemple, cherche à approfondir ses relations avec ses clients en les
invitant en permanence à transformer son navigateur Internet et ses autres
produits, en publiant ses résultats financiers (ce que son statut d'entreprise
privée ne l'oblige pas à faire), en ouvrant ses réunions internes au grand
public et en publiant ses plans stratégiques en ligne.
3) Ne pas laisser la « libération de »
faire obstruction à la « liberté de ». Les médias sociaux
peuvent aider à libérer les employés des hiérarchies et des structures
traditionnelles qui étouffent la collaboration et l'innovation, mais à
condition seulement que de nouveaux cadres viennent remplacer ceux qui
existaient auparavant. En Égypte, par exemple, les troubles actuels et la
vacance du pouvoir montrent ce qui se passe lorsque la « libération
de » l'ancien système n'est pas suivie d'un effort soutenu pour introduire
de nouveaux cadres institutionnels qui offrent aux citoyens la « liberté
de » mieux vivre (ou travailler).
Les employés veulent être libérés de
supérieurs hiérarchiques autoritaires et directifs et de postes liés à des
tâches pour devenir libres de contribuer, avec leur personnalité, leur
créativité et leur sens de la collaboration, à l'accomplissement d'une mission
digne de leur engagement et reposant sur des valeurs. Sur quelles règles les
employés pourront-ils s'appuyer pour encadrer leurs relations avec les clients
maintenant qu'ils peuvent communiquer avec eux 24/24 h et
7/7 j ? Pour répondre à cette question, les entreprises devront
développer des cadres institutionnels qui remplaceront les structures et les
modes de direction classiques et établir un fonctionnement plus humain dans
lequel les systèmes de gouvernance, de culture et de leadership seront
harmonisés et synchronisés.
4) Chercher à inspirer plus qu'à motiver.
À l'heure où les médias sociaux aident à transférer le pouvoir aux citoyens et
aux employés, le leadership doit lui aussi changer de mains. Cela exige
d'abandonner un leadership faisant appel à la coercition ou la motivation pour extorquer
aux gens performances ou obéissance, sur le principe de la carotte et du
bâton, et de lui substituer un leadership fonctionnant par inspiration et
favorisant l'engagement, l'innovation et l'espoir en investissant sur
les gens.
Au XXIe siècle, les leaders les plus efficaces (les cadres
dirigeants, sur le terrain de football comme ailleurs) sont ceux qui auront
compris l'intérêt qu'il y a à abandonner un style de leadership autoritaire et
contraignant en faveur d'une approche de mise en relation et de collaboration.
Tom Coughlin, l'entraîneur des New York Giants, peut aujourd'hui montrer les
deux coupes remportées dans le Super Bowl comme preuve de la transformation
de son leadership ; les dirigeants d'entreprises réellement sociales
adopteront la même tactique de jeu.
5) Investir dans la culture plutôt que dans la
gouvernance. Un système de gouvernance à base de règles et de
politiques ne dit aux employés que ce qu'ils peuvent et ne peuvent
pas faire ; essayez d'imaginer un règlement de média social
restrictif qui dicterait aux employés ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas
écrire ou tweeter.
Un mode de fonctionnement plus humain place l'humanité au
centre, plutôt que les règles, et fait confiance aux employés pour agir avec
inspiration sur la base de valeurs, d'une mission et d'un objectif, au lieu de
les contraindre. Songez à la compagnie aérienne Southwest Airlines dont
l'équipage est libre de faire appel à sa créativité et à son sens de l'humour
en expliquant les procédures de sécurité aux passagers.
En exprimant leur
personnalité, ils donnent une touche de légèreté à une procédure plutôt
fastidieuse. Ce sont la culture et les valeurs de Southwest, plutôt que les
règles et les procédures, qui rendent possible cette création de lien par les
employés. On ne s'étonnera pas d'apprendre que cette culture a également
contribué à faire de Southwest l'une des principales
entreprises sociales.
6) Faire confiance. Pour continuer avec
Southwest Airlines, pourquoi ses hôtesses et ses stewarts divertissent-ils
leurs passagers ? Parce que la compagnie leur fait confiance pour trouver
eux-mêmes des moyens de faire le lien avec les clients de façon efficace et
innovante. Les leaders des entreprises réellement sociales savent l'importance
et l'intérêt d'inciter leurs employés à faire un « TRIP ». (TRIP est
un acronyme qui signifie en anglais que la confiance autorise la prise de
risques, laquelle stimule l'innovation et entraîne à terme un progrès).
Pour
que les entreprises devienne réellement sociales, leurs leaders devront
apprendre à faire confiance à chaque employé en le laissant libre d'interagir
au nom de l'entreprise dans la sphère sociale.
Cela s'applique aussi bien aux
vendeurs de beignets dans la rue qu'aux plus grandes entreprises du monde.
C'est, par exemple, le cas de Ralph, un fabricant de beignets de New York, qui
a stimulé sa productivité et fidélisé ses clients en leur faisant confiance
pour récupérer eux-mêmes leur monnaie dans une pile de pièces posée près de sa
caisse (rendre la monnaie lui faisait perdre un temps précieux pour fabriquer
ses produits).
7) Hiérarchiser vos valeurs. En dépit de
l'échec dramatique de l'état d'esprit qui veut que « la taille immunise
contre l'échec », un grand nombre d'entreprises continuent de ne prendre
en compte que la façon dont elles hiérarchisent leurs activités. Elle devraient
plutôt s'intéresser davantage à la façon dont elles vont hiérarchiser leurs
valeurs. Elles pourraient ainsi générer des relations plus utiles et plus
rentables avec leurs employés, leurs fournisseurs et leurs clients. La taille
ne sert à rien face aux médias sociaux. Les entreprises ne peuvent plus imposer
leur volonté à leurs clients (ni même décréter de hausse de prix ou de nouveaux
frais)sans essuyer de riposte cinglante, nuisible à leur réputation, sur les
réseaux sociaux.
Dans un monde connecté en réseau, ce sont les valeurs, les
principes et les comportements acceptables qui permettent de durer. En
hiérarchisant correctement leurs valeurs, les entreprises réellement sociales
se forgent une souplesse et une résistance suffisantes pour supporter les
critiques et se dotent des capacités d'innovation nécessaires pour prospérer
sur le long terme.
8) Mesurer COMMENT et non « Combien ». Les
entreprises sont particulièrement douées pour mesurer « combien »,
par exemple, le chiffre d'affaires, la rentabilité, les parts de marché, les
dettes, le nombre de pages lues sur leur site Web ou de personnes attirées via
les médias sociaux. Elles récompensent les employés qui produisent le plus
grand nombre de tweets ou qui attirent le plus grand nombre de visiteurs à l'aide de badges ou autres incitations. Bien que cette approche augmente effectivement le volume des interactions sociales d'une entreprise, elle
néglige l'aspect le plus important : la qualité de ces
interactions (comment leurs employés s'y prennent pour échanger avec
leurs interlocuteurs).
Les entreprises et les pays se rendent aujourd'hui
compte que la mesure du « combien », par exemple celle du PIB, de la
croissance du chiffre d'affaires trimestriel ou des parts de marché, est un indicateur
insuffisant pour témoigner d'une réussite et d'une durabilité à long terme. De
même, les adeptes des réseaux sociaux devront abandonner l'état d'esprit du
« combien » et lui préférer la mesure du COMMENT, qui leur dévoilera
le degré d'authenticité, de créativité, de fidélité, d'innovation et d'intérêt
de leurs interactions sociales.
9) Envisager l'entreprise comme faisant partie du
reste de la vie. Si nos entreprises doivent devenir réellement
sociales, nous devons arrêter de les traiter comme s'il s'agissait d'entités
étrangères au reste de l'existence. Cela vaut également pour les règles
qu'elles imposent à leur personnel, l'influence qu'elles exercent sur nos
collectivités ou les comportements qu'elles encouragent.
Le travail et la vie
ne sont plus des sphères distinctes régies par des règles différentes.
Rappelez-vous cette scène du « Parrain », où Michael Corleone dit à
Sonny : « Ça n'a rien de personnel. C'est juste les affaires ».
Ce code de la famille Corleone ne peut plus s'appliquer aujourd'hui, dans un
monde où tout est devenu personnel parce que le comportement de chacun a des
conséquences sur tous. Dans ce monde où nous sommes désormais tous connectés,
les entreprises sociales demandent à leurs employés de représenter les valeurs
de l'entreprise 24/24 h et 7/7 j dans toutes leurs interactions
sociales. Les entreprises véritablement sociales apportent à leur personnel la
culture, les valeurs, l'aide et la confiance capables de guider ces
interactions.
10) Affronter la concurrence sur le terrain des comportements.
Dans un monde social fortement connecté, les avantages que confère une
innovation technologique ne se mesurent plus en décennies ou en années, mais
tout au plus en semaines. L'innovation sur les produits, la maîtrise des
processus et autres formes traditionnelles de démarquage par rapport à la
concurrence peuvent aujourd'hui être facilement et rapidement identifiées,
reproduites et commercialisées.
La dernière forme de différenciation possible
reste le comportement : non ce que nous faisons (par exemple, entretenir
des conversations sociales avec les clients), mais la façon dont nous le
faisons (entretenir des conversations utiles avec eux). Les
entreprises véritablement sociales récompensent les employés qui font preuve
des comportements adéquats. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les clients,
les spécialistes et autres parties concernées sanctionnent les entreprises qui
font preuve de comportements répréhensibles, ainsi que l'ont démontré les
récentes difficultés de Best Buy dont la réputation s'est trouvée malmenée.
Pour adopter cette perspective, il ne suffit évidemment pas
d'appuyer sur un interrupteur. Les dirigeants doivent s'engager sur une voie
qui permette à leurs entreprises de s'enraciner dans des valeurs et d'entamer
une quête de sens.
Une telle démarche ressemble moins à la trajectoire linéaire
que de nombreuses entreprises tentent de suivre trimestre après trimestre, et
davantage aux trajectoires curvilignes que nous empruntons dans la vie. Voilà
une notion à ne pas oublier au moment de mettre en place les libertés et les
structures dont nos entreprises ont besoin pour évoluer vers une existence plus
sociale et plus durable.
------------------
Cet article a initialement été publié sur www.forbes.com