Frédéric Bleuse (Regus) "Il y aura certainement des espaces Stop & Work dans les gares Transilien"

Télétravail, tiers lieux, entrepreneuriat... Le DG du géant de la location d'espace de travail détaille sa vision du bureau de demain.

Frédéric Bleuse est directeur général France de Regus, une multinationale anglo-américaine spécialisée dans la location d'espaces de travail flexibles (bureau équipés, salles de réunion...).

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Frédéric Bleuse, DG France de Regus. © Regus

JDN. Vous proposez des bureaux à courtes durée à des professionnels. Le nomadisme et les nouvelles technologies boostent-elles votre activité ?

Frédéric Bleuse. Cela nous donne une vraie énergie pour nous déployer. Aujourd'hui, cela n'a plus de sens d'aller chaque jour à son bureau pour y rencontrer ses collègues ou son boss. Il y a deux phases importantes dans l'organisation de la semaine : les travaux "privatifs" que l'on peut faire à la maison ou dans les "télécentres" et les travaux plus collaboratifs pour faire avancer un projet, rencontrer son boss ou ses collègues, faire un point d'étape. Là, en effet, il faut se retrouver au siège, mais plus avec des salles de réunions que des bureaux individuels.

Aujourd'hui, qui sont vos clients ? Des filiales de grands groupes ou des indépendants ?

J'ai trois tiers à peu près équivalents dans mon panel de clients. D'abord, on a les grands groupes. Les français vont par exemple nous utiliser pour un projet informatique temporaire ou un projet de fusion, les étrangers pour développer une activité particulière ou tester un produit dans le pays. Ensuite, on trouve des entreprises de taille intermédiaire, par exemple une entreprise qui a son siège à Paris et qui prend des espaces de travail dans différentes villes. Enfin le troisième tiers : les entrepreneurs, par exemple un provincial qui prends un bureau 5 ou 10 jours par mois à Paris.

"Ce qui est important pour la pérennité de l'entreprise, c'est de travailler avec la génération Y et les entrepreneurs"

L'un de ces tiers est-il plus dynamique que les autres ?

Les projets des grandes entreprises sont d'envergure, entre 20 et 100 personnes, et peuvent durer 6, 12 ou 18 mois. Ce sont des projets importants pour mon chiffre d'affaires, mais ils restent fluctuants. Forcément ce qui est important pour la pérennité de l'entreprise, c'est de travailler le troisième tiers : la génération Y, les créateurs, les entrepreneurs et les ex-salariés qui démarrent leur activité. Ce sont eux qui aujourd'hui utilisent au mieux la technologie, qui comprennent la nouvelle organisation du travail.

Mais cette population ne connait-elle pas un fort turn-over ?

Il y a forcément un turn-over et un risque plus important avec une jeune pousse qu'avec un groupe du SBF 250. Cependant, à partir du moment où il y a une multitude de créateurs, vous limitez votre risque. Et le chiffre d'affaires généré par chacun d'entre eux pris individuellement est relativement peu important.

"Les cadres se prennent en main rapidement pour créer une activité avec leurs indemnités de départ"

Salariés licenciés qui se mettent à leur compte, auto-entrepreneuriat... Profitez-vous de ces tendances ?

Beaucoup. Les statistiques des domiciliés sont un bon indicateur : on voit une augmentation très significative de mois en mois. Aujourd'hui, les cadres se prennent en main relativement rapidement pour créer une activité professionnelle avec leurs indemnités de départ ou un pactole antérieur. Ils ne veulent pas forcément attendre un job mais rester en activité.

Comment retenez-vous ces créateurs quand ils se développent ?

Nous avons une offre excessivement large, depuis l'accès au salon d'affaires à 39 euros par mois jusqu'au bureau individuel avenue Hoche, l'une des adresses les plus prestigieuses. Au milieu, vous avez toutes les combinaisons imaginables. Aujourd'hui, nous réfléchissons à la démocratisation de nos produits. Initialement, nous étions basés dans les quartiers d'affaires et aujourd'hui notre offre s'étend vers les nomades, le travail à distance, le télétravail. Nous avons ainsi un projet avec la Caisse de Dépôts et Orange qui s'appelle Stop & Work pour positionner, en deuxième couronne des grosses agglomérations françaises, une cinquantaine de sites dans les 3 à 5 ans qui viennent.

"Pour le collaborateur, le télécentre c'est moins de fatigue, moins de stress, une vie familiale améliorée et un coût moindre"

En allant en périphérie, vous cherchez à atteindre une nouvelle population ?

Le prochain centre de Fontainebleau est un bon exemple : à 70 kilomètres de Paris, une ville de 30 000 habitants et 6 000 personnes qui font tous les matins Fontainebleau-Gare de Lyon par le train. Nous allons forcément capter la population locale d'entrepreneurs, puis  capter les grands groupes qui ont des collaborateurs qui habitent à Fontainebleau et qui vont pouvoir venir y travailler une ou deux journées par semaine. La troisième population, ce sont ceux qui passent à Fontainebleau, parce qu'ils sont à proximité sur l'autoroute A6.

Pensez-vous répondre à une réelle demande ?

Les entreprises y trouvent plusieurs avantages. D'abord, le prix du mètre carré à Fontainebleau n'est pas le même que dans le 8e ou à la Défense. Ensuite, le collaborateur qui s'évitera deux heures de train par jour va en rétribuer 50% à son entreprise et en garder 50% pour lui, ce qui améliore la productivité pour l'entreprise et baisse l'absentéisme. Pour le collaborateur, c'est moins de fatigue, moins de stress, une vie familiale améliorée... Et aussi un coût moindre : quand on ne prend pas sa voiture au quotidien, quand on mange à la maison plutôt qu'à l'extérieur, quand on rentre une demi-heure plus tôt et qu'on ne fait pas garder ses enfants, c'est une économie évaluée entre 12 et 15 euros par jour. Ensuite, les collectivités locales ont intérêt à dynamiser une activité locale. Enfin, au niveau national, on observe une baisse du nombre de déplacements, une baisse des congestions des transports et de la pollution.

"La Caisse des dépôts, c'est le passeport vis-à-vis des collectivités locales"

Pourquoi avez-vous besoin d'Orange et de la Caisse des Dépôts pour ce projet ?

Nous aurions pu faire cela tout seul, mais on est plus fort à plusieurs. Nous  adjoignons trois compétences. La Caisse des dépôts, c'est le bras armé de l'Etat, mais c'est surtout le passeport vis-à-vis des collectivités locales pour nous ouvrir les portes et apporter le sérieux et la crédibilité du projet. Orange, c'est plus de 20 millions de clients en France, c'est des dizaines de milliers de collaborateurs, c'est au niveau qualitatif un fournisseur assez irréprochable en matière de téléphonie et de bande passante. Pour nous, c'est un acteur incontournable. C'est vrai que quand je vais discuter avec des collectivités avec mes amis Orange et la Caisse des Dépôts, ça leur parle plus que quand j'y vais seul et qu'elles me disent "vous êtes un groupe américain et anglais".

Vous vous adressez entre autres aux télétravailleurs. Quels sont, selon vous, les raisons du retard français dans le télétravail ?

Ce qui bloque, c'est avant tout l'absence d'alternative aujourd'hui. Vous pouvez travailler soit de votre bureau, soit de la maison. Il n'y a pas d'autres lieux. D'où la création de ces centres avec la Caisse des Dépôts et Orange.

Et en régions, certaines villes sont en avance ?

Il y a un certain nombre d'initiatives individuelles aujourd'hui, portées souvent par le privé ou en partenariat public-privé. Mais elles manquent souvent de visibilité.

"A Berlin, nous avons développé 50 sites en périphérie, dans des stations-services Shell"

Il y a un an, vous avez ouvert un espace de travail sur une aire de repos de  l'A10. Quel bilan dressez-vous ?

Il y a du plus et du moins. Le plus, c'est qu'il a donné lieu à une opération d'envergure sur Berlin, où nous avons développé 50 sites en périphérie de la ville, dans des stations-services Shell en suivant le même modèle. Le moins, c'est qu'en France, je n'ai toujours qu'un site. Nous nous sommes donné un peu de temps au niveau du groupe pour avoir ce retour d'expérience sur Berlin. Des projets en cours aussi en Angleterre et aux Etats-Unis.

En France, pour l'instant, vous attendez ?

En France, j'attends de voir. Il faut trouver la bonne formule, à la fois sur la taille, sur les services et leur complémentarité par rapport aux pétroliers. Autoroutes ou routes nationales ? En tout cas c'est un vrai plus. Le vendredi après-midi, il y a toujours un pic d'utilisation parce que les gens quittent Paris et s'arrêtent là-bas pour travailler. Le soir, les routiers, plutôt que de "skyper" sur la table ronde de la cafétéria de la station-service préfèrent prendre un abonnement et faire cela dans de meilleures conditions.

Et dans les gares ? Une expérience concerne celle du Mans...

Le Mans arrive au mois d'avril, j'attends le tampon de la préfecture. C'est 350 mètres carrés, à 55 minutes de Paris avec plusieurs centaines de Manceaux qui montent chaque jour à Paris.

Il y a d'autres projets après Le Mans ?

Oui, il y en a six en tout : Amiens, Nancy, Bordeaux Saint-Jean, Lille Flandres, Paris gare du Nord. Et puis encore mieux : SNCF Transilien et la filiale Gare & Connections ont lancé un appel à manifestation d'intérêt pour des aménagements de sites en périphérie en Ile-de-France.

On peut donc imaginer des espaces Regus dans les gares de Transilien ?

Regus, peut-être, "Stop & Work", certainement.

C'est signé ?

Il y a des choses qui existent ! Mais aucune décision ni attribution n'a eu lieu à ce jour : les dossiers sont à déposer pour le 28 mai.

Regus travaille aussi sur un projet de voiture autonome. C'est un coup de com' ?

Aujourd'hui, le train est super efficace pour travailler. Si on est dans des conditions de sécurité identiques en voiture autonome, on peut tout à fait imaginer se concentrer et avoir une activité professionnelle. Maintenant, est-ce que cela sera démocratisé ? C'est une autre question.

"Les Etats-Unis et l'Angleterre développent très sérieusement les centres commerciaux et les hôtels"

Regus a ouvert un centre au Botswana. L'Afrique est une nouvelle terre de mission ?

Régus aujourd'hui, c'est 105 pays. L'Afrique, nous y sommes depuis très longtemps, au Magrheb, en Egypte, en Afrique du Sud initialement. Nous partons aujourd'hui sur de nouveau pays. Il n'y a pas de pays où nous ne pouvons pas être.

Existe-t-il des spécificités nationales ? Trouve-t-on en France, des offres inexistantes ailleurs et inversement ?

Sur le produit en tant que tel, non. Sur les localisations, oui. Sur un partenariat comme celui avec la Caisse des Dépôts et Orange, nous sommes le premiers pays. Sur les stations-services, nous avons été le premier pays. Aujourd'hui, les Etats-Unis et l'Angleterre développent très sérieusement les centres commerciaux et les hôtels, ce qui n'est pas encore le cas pour nous.

Le JDN a rencontré Frédéric Bleuse à l'occasion du G20 Strategy & Management Summit, qui a réuni près de 400 chefs d'entreprise et membres de comité de direction à Paris, le 9 avril dernier.