Le mythe du héros charismatique

La personnalité des PDG ainsi que leur style de management ne constitueraient pas un facteur de réussite pour leur entreprise.

Collins et Porras, dans leur ouvrage, présente une analyse approfondie de dix-huit entreprises américaines dont la compétitivité sur le long terme ne s’est jamais démentie. Ces entreprises bénéficiant d’une croissance permanente et définitivement leaders sur leurs secteurs ont dépassé l’indice boursier par facteur 50 en moyenne, depuis 1926. Les autres soulignent que ces sociétés ont traversé des moments difficiles, mais, grâce à leur étonnante capacité de résistance, elles sont toujours parvenues à rebondir, garantissant ainsi leur réussite.
Mais à quoi est du leur succès durable ? Pour le savoir, Porras et Collins ont comparé ces entreprises à dix-huit autre, elles aussi leaders sur leur marché, mais qui n’ont pas une telle aura dans le monde économique et social : 3M est ainsi mesuré à Norton, Hewlett Packard à Texas Instruments, Disney à Columbia Pictures, Sony à Kenwood, etc.

Quels sont les principaux facteurs qui les distinguent ?

Ceux-ci peuvent être classé en deux catégories :
  • L’idéologie, une mission (raison d’être de l’entreprise) et ses valeurs fondamentales, que l’entreprise découvre et qu’elle définit elle-même;
  • Les mécanismes de progrès (changement automatique et non provoqué par l’extérieur) qu’elle construit.
En revanche, et c’est le résultat le plus inattendu de l’étude de Collins et Porras, la personnalité des PDG ainsi que leur style de management ne constituent pas un facteur de réussite pour leur entreprise. Par exemple, ils ont constaté que les dix-huit entreprises les moins performantes de leur étude ont eu, paradoxalement, comme PDG, des dirigeants bien plus charismatiques et médiatiques, tandis que peu de gens peuvent citer le nom des PDG de la majorité de dix-huit entreprises les plus performantes.
Avec Collis et Porras, le mythe du dirigeant charismatique va être démystifié, avant de déterminer les vrais facteurs de réussite et de croissance.

Le mythe du héros charismatique

On se demande sans doute comment l’analyse concernant Jack Welch peut-elle s’accommoder des conclusions de l’étude menée par Collins et Porras, d’autant que General Electric- n’a pas été précisée à dessein- figure parmi les dix-huit entreprises les plus performantes, au même titre que 3M ou Sony.
Le cas Welch n’a cependant pas échappé à Collins et Porras, et voici ce qu’ils révèlent dans leur ouvrage analysant, entre autres, l’histoire de GE.
Devenu le PDG de GE en 1981, Jack Welch obtiendra, douze ans plus tard, le titre de « plus grand maitre du changement en entreprise de notre époque », décerné par le mensuel Fortune. Mais son prédécesseur immédiat, Reginal Jones, partit à la retraite, n’en avait pas moins été loué : la presse le qualifiera de « chef d’entreprise le plus admiré de l’Amérique », et il sera désigné, à deux reprise, comme « la personnalité la plus influente du monde économique ». Lorsque Jones était aux commandes, le taux de croissance moyen des bénéfices était de 14,06 % par an alors qu’il atteignait à peine 49 % durant la période Welch (l’étude de Collins et Porras s’arrêtant à 1993).
 
Welch ne fut d’ailleurs pas le premier grand PDG à conduire des changements chez GE : tous l’ont fait. Par exemple, Gerald Swope (1922_1939) a introduit GE sur les marchés de produits ménagers et est l’initiateur du « management éclairé ». Ralph Cordiner (1950-1963) a multiplié par vingt le nombre de marchés servis par GE, décentralisé l’entreprise et figure parmi les premiers au monde à avoir mis en place un « management par objectifs ». Il a aussi crée le fameux centre de formation et de développement de managers de GE, véritable université d’entreprise, situé à Crotonville (Etat de New York). Enfin, Fred Borch (1964-1972) a propulsé GE sur les marchés de moteurs d’avions et de l’informatique et a impulsé la créativité dans son entreprise.
Lorsque Collins et Porras ont dressé un tableau comparatif des sept PDG de GE, ils ont classé Jack Welch :
  • En 5e position, en ce qui concerne sa performance sur le taux moyen annuel de retour sur investissement;
  • En 2e position, quant à ce même taux, mais cette fois pondérée avec la situation du marché à chaque période;
  • En 5e position, toujours pour ce même taux, proportionnellement aux performances de Westinghouse- qui est comparé à GE dans l’étude pour chaque période.
A la lumière de ces classements, nous constatons que Welch n’a pas mieux réussi que ces prédécesseurs, parfois moins bien qu’eux. En revanche, tous les dirigeants de GE ont été meilleurs que leurs homologues de Westinghouse ! Ce qui est donc étonnant chez GE, ce n’est pas Jack Welch, mais le fait que tous ses PDG aient été étonnants.

Le mythe en sport, en politique et en économie

En effet, le mythe du héros- très populaire en occident et dont les figures emblématiques sont Alexandre le Grand, Jules César ou encore Napoléon- continue d’inspirer les médias et influence même les théoriciens du management. Pourtant, les historiens ont démontré, à de multiples reprises, qu’en politique, en économie comme en sport, ce sont rarement les héros qui sont à la source des réussites durables, mais des systèmes d’organisation.
Les Américains, passionnes de baseball, prétendent que la star incontestée dans ce domaine à la fin des années 1990, fut le batteur Mark McGwire. Or, si ce dernier a battu tous les records, il n’a cependant jamais fait gagner de championnat à son équipe. Pour les Européens, passionnés de football, le Français Eric Cantona fut l’idole incontestée des stades au début des années 1990.
Cantona qui, rappelons-le, a néanmoins été écarté de l’équipe de France. En revanche, l’équipe de France,
Malgré les critiques acerbes de la presse sportive visant son sélectionneur, qui n’était guère charismatique, a gagné le Mondial 1998 en écrasant, en finale, le Brésil et sa star, Ronaldo. Puis, après avoir remplacé le sélectionneur par son assistant- tout aussi peu charismatique- et une partie des joueurs, cette même équipe a remporté, deux ans plus tard, le championnat d’Europe 2000.
Quel est le secret de réussite de l’équipe de France ? A l’évidence, ce sont ses systèmes de jeu, de préparation et de formation, les meilleurs du monde.
Il en va de même en politique : Alexandre le Grand a profité d’un système : une armée professionnelle crée par son père, Philippe. Auparavant, les cités grecques mobilisaient les armées uniquement le temps d’une guerre. Philippe estimait cependant que l’entrainement permanent des troupes était gage de réussite pour une armée. Mais, pour atteindre cet objectif, il lui fallait former des soldats de métier. C’est grâce à ce système militaire que Philippe conquit la Grèce, avant de le transmettre à son fils.
Jules César s’est lui aussi reposé sur un système : la construction d’infrastructures. Elèves attentifs d’Alexandre le Grand, tous les empereurs romains n’ont pas hésité cependant à le critiquer. Tel Auguste qui disait de lui : «  Alexandre n’a pas pu considérer que l’organisation d’un empire qu’il a conquis est une tache plus importante que le conquérir ». Rome, qui disposait aussi d’un système militaire, possédait de surcroit celui de grands travaux, construisant des routes (assorties de panneaux de signalisation), des chaussées, des ponts, des aqueducs. Ces infrastructures ont permis au Romains de consolider leurs conquêtes, car elles permettaient aux troupes comme aux marchandises de circuler à travers l’Empire.
Napoléon, à l’instar de Romains, a fait de même. Ce qui lui vaut d’ailleurs la sympathie d’un certain nombre de pays européens, qui estiment que ces infrastructures leur ont permis de devenir des états modernes.
Le mythe du héros a aussi ses rêves : par exemple, lorsqu’un pays perd la guerre, la faute en incombe forcément à ses généraux. Certains historiens, comme Michael Howard, spécialistes des guerres franco-prussiennes, font cependant un constat diffèrent : « L’incompétence du commandement général...explique beaucoup, mais les raisons principales de la défaite sont plus profondes...
La débâcle des Français à Sedan en 1870, comme celle des Prussiens à Jena, en 1806, n’étaient pas le résultat d’un simple mauvais commandement, mais d’un mauvais système militaire. »
Enfin, l’histoire économique des entreprises montre que, là aussi, les systèmes priment. Rappelons-nous les sept extraordinaires PDG de General Electric. Comment l’entreprise a-t-elle réussi à s’attacher de telles compétences, Grace à un mécanisme interne de développement des managers, assorti d’un système efficace de succession pour les postes importants. Cette organisation a permis de « fabriquer » les sept PDG de General Electric.
Concrètement, pas moins de quatre-vingt-seize candidats ont été préparés en interne pour succéder à Jones. C’est à l’issue d’une sélection rigoureuse, engagée sept ans avant son départ, que Welch a été désigné pour le remplacer. Ces mécanismes sont probablement les plus performants.
Pour preuve : les quatre derniers candidats en lisse pour le poste de welch sont respectivement devenus PDG de GTE, de RCA, de Rubbermaid et d’Apollo Computer. On compte aussi plus d’anciens de GE parmi les PDG des entreprises. ET durant la période de Welch, General Electric a effectivement utilisé ces mécanismes pour choisir son successeur, Jeffrey Immelt. Tout cela montre bien que Jack Welch, « le plus grand maitre du changement en entreprise de notre époque », n’est pas un homme providentiel.
Il est un mythe médiatique que le facteur déterminant de la réussite de General Electric.
Les dispositifs décrits ci-dessus ne représentent que deux des nombreux mécanismes de progrès fonctionnant chez General Electric, ainsi que dans les dix-sept entreprises identifiées par Collins et Porras comme les plus accomplies. Mais il ne s’agit pas de n’importe lesquels :

Ce sont des mécanismes de progrès

Zone de texte: Les mécanismes de progrès assurent la pérennité de l’entreprise et sa croissance à long terme. Ils possèdent, De plus, une autre caractéristique : ils sont relies entre eux en systèmes afin de se soutenir mutuellement.