Un pouvoir constituant pour l’entreprise

Le procès France Telecom qui se déroule actuellement à Paris vient mettre en lumière des pratiques managériales d’une violence rare. Mais qui peut affirmer qu’elles l’étonnent ? Bien plus que le procès d’un homme et de sa garde rapprochée, il s’agit d’une mise en accusation d’un modèle qui régit encore nombre d’entreprises.

Cette violence que décrivent les victimes est la dernière extrémité d’un système devenu obsolète et prisonnier d’une vision destructrice pour l’entreprise et ravageuse pour ses collaborateurs.

Si, dans le cas de France Telecom, le harcèlement moral semble avoir été systémique et atteint un rare niveau de violence, il n’en reste pas moins qu’il est la conséquence de pratiques largement répandues. Mue par une vision court-terme, obnubilée par une lecture strictement financière de ses intérêts, l’organisation n’apporte qu’une seule et même réponse à tous ses problèmes : réduire ses effectifs. Point de vision au long court. Point de sens donné aux actions de chacun. La culture d’entreprise s’étiole jusqu’à disparaître. Les énergies s’épuisent puis s’évanouissent. Et c’est l’existence même de l’organisation qui finit par être en jeu.

Dans ces conditions, comment sortir l’organisation de ce cercle vicieux, avant que cette dynamique morbide ne frappe ses collaborateurs ? Indéniablement la réponse est complexe mais doter l’entreprise d’un pouvoir constituant est le premier pas dans la bonne direction. Et, sur cette voie, un outil tel l’holacratie, fondé sur une constitution, peut se révéler un allié de choix.

Derniers soubresauts d’un modèle ?

Dans l’affaire France Telecom, un homme est présenté comme le commanditaire d’un processus de réorganisation visant à réduire, à tout prix, les effectifs. Didier Lombard serait le cost killer. Il est celui qui porterait l’entière responsabilité d’une stratégie de harcèlement moral et de déstabilisation des salariés. Pourtant, si sa responsabilité semble bien réelle, elle est le fruit d’une responsabilité sans doute plus large – conseil d’administration et état actionnaire – l’expression d’un modèle d’organisation arrivé au bout de sa logique.

Car, ici comme ailleurs, l’organisation est bâtie sur une vision à court-terme, souvent focalisée sur les seuls indicateurs financiers, sur un modèle hiérarchique où chacun reste un simple exécutant, écrasé par le pouvoir absolu de quelques-uns. Dans le cas de France Telecom, la chose est flagrante. Fraîchement privatisée et mise en concurrence, la seule réponse est de réduire les coûts, de supprimer 22 000 postes, en passant les collaborateurs "par la fenêtre ou par la porte". Aucune vision à long-terme ou prise de recul pour explorer les alternatives et réguler les choses, voire de débarrasser a minima les processus enclenchés de toute forme de violence.

Une violence qui est la conséquence logique d’une organisation qui concentre tous les pouvoirs entre les mains de quelques-uns. Pas seulement d’un Didier Lombard et de sa garde rapprochée mais aussi d’un conseil d’administration, d’actionnaires dont l’état français qui imposent une vision coupée de la réalité et déconnectée des hommes. Ici, point de gouvernance claire et transparente. Tout n’est que jeux de pouvoirs, tout se fait en sous-main. Tout reste implicite et brutal.

Passer à un pouvoir constituant

Rompre avec ces pratiques implique donc de poser les bases d’une organisation réinventée ? C’est ce chemin que les outils proposés par l’holacratie permettent d’emprunter. S’il serait présomptueux d’affirmer que grâce à eux la crise chez France Telecom aurait pu être évitée, il est en revanche tout à fait réaliste de penser que la violence aurait disparue. Pour une simple et bonne raison : l’holacratie fait émerger une organisation claire et transparente. Finie l’ingérence – du board sur le travail du directeur général par exemple – finis les rapports de force puisque chacun est détenteur de l’autorité sur les rôles qui lui ont été confiés.

Surtout, faire le choix de réinventer son organisation avec l’holacratie c’est accepter de passer de l’ère du pouvoir absolu à celle d’un pouvoir constituant c’est-à-dire qui s’appuie sur une Constitution. Une Constitution à laquelle tout le monde est assujetti, qui s’appuie sur des règles communes et explicites. Finis les jeux de pouvoir, les manipulations, le règne de l’implicite. Le pouvoir hiérarchique disparaît au profit d’une organisation où chaque collaborateur est autonome et responsable, en capacité de faire usage de son libre arbitre. Régulée par la pratique de l’holacratie, la posture managériale se voit elle libérée de ses penchants pour le micro-management. Plus de petits chefs. Le manager ne donne plus d’ordre et se concentre sur ses véritables talents, là où il fait autorité.

Un autre modèle mental

Alors que les dérives de l’organisation pyramidale peuvent conduire, comme chez France Telecom, à la destruction et la disparition de la culture d’entreprise, la mise en place de règles communes et explicites avec un pouvoir constituant qui s’impose à tous, joue comme un ciment. Seules les règles communes font loi. Impossible d’avancer sans y adhérer et en tenir compte.

Mais le virage essentiel qu’impliquent l’holacratie et l’émergence d’un pouvoir constituant repose sur un nouveau modèle mental. Rien d’ésotérique ici mais l’ambition de se concentrer sur un horizon commun, une raison d’être partagée. Pour ce faire, l’organisation s’inscrit dans une démarche long-terme, une vision qui invite chacun à ne plus réagir aux problèmes qu’il perçoit mais à exprimer ses tensions, c’est-à-dire à combler l’écart qui existe entre ce qui est et ce qui devrait être. Chacun est incité à ne plus se focaliser sur un problème, à ne plus regarder les choses par le petit bout de la lorgnette. Enfin, il est possible de prendre le recul nécessaire pour faire avancer, de concert, l’organisation et ses collaborateurs.

Asseoir l’entreprise sur un pouvoir constituant c’est remettre l’humain au cœur de l’organisation et de sa stratégie C’est rendre explicites et encadrer les fonctions managériales permettant tout à la fois l’excellence managériale et l’émancipation des employés vis à vis de leurs "maîtres". C’est imposer des règles communes, transparentes et explicites pour tous. C’est donner du sens à l’action de chacun au travers d’une raison d’être partagée. Enfin, c’est rendre indissociables les intérêts économiques d’une entreprise et ses obligations envers ses collaborateurs et la société qui l’entoure.