Autoentrepreneurs : les invisibles du débat sur le pouvoir d'achat
Depuis la crise sanitaire, le pouvoir d'achat et l'inflation se sont imposés comme les enjeux centraux du débat économique et social français.
Pourtant, cette préoccupation légitime cache une fracture silencieuse qui est en train de se creuser dans notre modèle social : celle qui sépare les salariés — protégés par un contrat de travail, des négociations collectives, parfois par des augmentations salariales — des travailleurs indépendants, et en particulier les autoentrepreneurs, dont la situation n’est que rarement évoquée, et encore moins prise en compte par les décideurs politiques.
Inflation : un débat centré sur les salariés
C’est un fait : la grande majorité des débats sur le pouvoir d’achat est pensée à travers le prisme des salariés. On y parle SMIC, prime Macron, revalorisation des grilles salariales, indemnisations chômage, indexation des retraites…
Les médias évoquent les mécanismes d’amortissement, qu’il s’agisse des chèques énergie, de l’indemnité carburant, des aides exceptionnelles... Autant d’outils qui agissent, ponctuellement ou durablement, pour limiter l’impact de la hausse des prix sur les revenus fixes, mais qui laissent bien souvent de côté les millions de Français qui ne rentrent dans aucune case du salariat traditionnel. Une omission lourde de conséquences.
Les autoentrepreneurs en première ligne face à l’inflation
Avec près de 3,5 millions d’inscrits, le régime de l’autoentrepreneur concerne toutes les classes d’âge, tous les territoires, tous les secteurs. C’est un choix d’activité qui allie liberté et responsabilité, agilité et incertitude. Mais c’est aussi un régime qui mérite d’être soutenu, car il reste privé de nombreux avantages accordés aux autres statuts.
Car l’autoentrepreneur, contrairement à un salarié, ne bénéficie d’aucun mécanisme automatique de revalorisation de ses revenus. Il n’est pas couvert par une convention collective, ni par une mutuelle d’entreprise. Il ne bénéficie pas d’une assurance chômage digne de ce nom. Et ses cotisations sociales, bien que simplifiées, n’ouvrent que des droits réduits.
Concrètement, cela signifie que lorsqu’un litre d’essence augmente de 20 %, lorsqu’un panier alimentaire s’envole, ou lorsqu’une charge fixe grimpe, l’autoentrepreneur encaisse, seul. Il est à la fois producteur, gestionnaire, commerçant, et amortisseur de chocs.
Cette capacité d’encaissement, qui force souvent l’admiration, n’est pourtant ni infinie, ni indolore. Elle se traduit par des renoncements : à des soins, à des vacances, à des projets… Elle crée une insécurité qui finit par peser lourd, tant sur le moral que sur l’efficacité économique.
Un angle mort dangereux pour la résilience collective
Le silence médiatique et politique autour des autoentrepreneurs traduit une cécité du débat public vis-à-vis de ceux qui, souvent, permettent à notre société de tenir. Car qui sont ces autoentrepreneurs ? Des aides à domicile, des graphistes, des artisans, des formateurs, des réparateurs …
La colonne vertébrale de notre tissu économique local. Des professionnels, qui répondent à des besoins concrets du quotidien et qui remplissent des fonctions que l’État ou les grandes entreprises ne peuvent plus ou ne veulent plus assurer.
Ignorer la fragilité et les difficultés systémiques du modèle revient à fragiliser un pan entier de notre économie de proximité. C’est aussi prendre le risque d’un repli social, voire d’une désaffection civique.
On ne peut pas à la fois encourager l’esprit d’initiative et refuser la reconnaissance sociale de ceux qui prennent le risque de l’indépendance.
Reconnaître leur rôle, leur garantir la dignité
Il est temps de changer de regard sur les autoentrepreneurs et de leur offrir un statut davantage protecteur. Les autoentrepreneurs ne sont pas une exception dans notre économie : ils en sont un des piliers. Ils méritent mieux que des outils pensés pour d’autres et des réponses temporaires.
Il faut concevoir des droits adaptés, une protection sociale modernisée, une meilleure représentativité dans le débat public. Il faut leur donner les moyens de vivre dignement et sereinement de leur travail, dans une logique de cohérence économique et de justice sociale.
Faire entrer pleinement les autoentrepreneurs dans la matrice de notre modèle social, ce n’est pas bouleverser l’équilibre, c’est en garantir la pérennité. C’est reconnaître que la résilience d’une société ne se mesure pas seulement à la solidité de ses grandes structures, mais aussi à la capacité de chacun de ses membres à tenir bon. Et parmi ces membres, les autoentrepreneurs sont en première ligne.