Pour réussir, mieux vaut avoir la niaque qu'être intelligent

La détermination compte bien plus que l’intelligence pour réussir. Finalement, il vaut peut-être moi être laborieux que brillant...

Serrez les lèvres, froncez les sourcils, rétractez les narines, concentrez-vous sur l’objectif… Allez-y ! C’est raté ? Vous n’êtes pas satisfait ? Le résultat n’est pas celui que vous escomptiez ? Recommencez ! Encore ? Oui, maintenant ! 
Ne doutez pas un instant que si vous le voulez, je veux dire, si vous vous le voulez vraiment, alors vous y arriverez. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais Angela Duckworth. Dans son "art de la niaque", cette universitaire américaine fait part de sa conviction : la détermination compte bien plus que l’intelligence pour réussir. Elle n’est pas la seule à avoir eu cette intuition.

Francis Galton est peut-être le premier qui se soit intéressé à l’importance de l’apprentissage et de l’entrainement. On doit à ancien enfant prodige qui apprit à lire et écrire à quatre ans la première réflexion scientifique sur la notion de corrélation. Et l’une des plus importantes qu’il mit en évidence, selon Angela Duckworth, fut lier la réussite et la ténacité, un point que son cousin Charles Darwin partageait, lui qui soutenait aussi que "mis à part les imbéciles, les hommes diffèrent peu par leur intellect mais plus par leur ténacité et leur capacité de travail 

L’illusion trompeuse du talent

Le problème aux yeux d’Angela Duckworth c’est que le talent fascine pour sa dimension mystérieuse, presque miraculeuse, en tout cas hors norme. On aime cette notion d’excellence parce qu’elle a la réputation d’être donnée une fois pour toute. On ne tient pas à connaître les efforts laborieux qui sont le plus souvent nécessaires pour que la performance s’exprime à son plus haut et son meilleur niveau.
Pour Nietzsche, la jouissance d’ordre esthétique ou la pensée magique n’y sont pas pour grand-chose. Il s’agirait plutôt d’un réflexe d’auto-défense que nous partageons tous lorsque nous nous sentons dépassés : "Notre vanité encourage le culte du génie. Tant qu’on y songe comme à quelque chose de magique, on n’est pas obligé de s’y comparer, ni de relever ses propres lacunes (…) Dire de quelqu’un qu’il nous transcende signifie qu’il serait vain de se comparer à lui". 

De l’importance de concrétiser

Or il ne suffit pas d’avoir du talent, encore faut-il que ce talent s’exprime et que s’exprimant, il s’entretienne et se développe. De ce point de vue la phrase de Woody Allen citée par l’auteur frappe par son évidence quand il rappelle que "quelqu’un qui a écrit une pièce de théâtre ou un roman a plus de chances de se faire publier ou représenter qu’une écrasante majorité de gens qui aimeraient devenir écrivains mais ne viennent pas au bout de leur roman ou de leur pièce". Rien de grave en soi si cette surestimation du talent ne revenait à confondre prédispositions et compétences. Or, "On naît avec ou sans talent. Mais les compétences on les acquiert en passant des heures et des heures à remettre son ouvrage sur le métier". Bref, la niaque n’a rien d’inné, elle se développe et s’entretient.

La question centrale de l’objectif ultime

Si la niaque se traduit par un niveau élevé de concentration, d’optimisme et d’endurance, elle relève par-dessus tout de la définition d’une finalité. Selon l’adage bien connu qu’il n’est pas de vent favorable pour celui qui ignore où il va, la persévérance est indissociable de la définition d’un objectif clair. 
Sur ce point, rien n’est logiquement plus contre productif que de nourrir plusieurs objectifs professionnels indépendants les uns des autres. Pour éviter toute perte de temps et d’énergie, "il faut œuvrer dans une seule et même direction : pas plus ", en un mot, opter pour la spécialisation, s’inscrire dans une vaste division des tâches. Il ne saurait y avoir de niaque sans une part importante de renoncement et d’abnégation. C’est la conscience, on serait presque tenté de dire l’obsession, de l’objectif à atteindre qui motive la façon de travailler mais aussi l’hygiène de vie, l’emploi du temps, le régime alimentaire, le choix des loisirs…

La tension créée par l’intérêt.

Cette capacité à faire le deuil des rêveries stériles ne suffit pas. Si la niaque tire sa raison d’être de l’ambition qu’elle se propose d’atteindre au point de surmonter l’attrait naturel pour la nouveauté, elle suppose aussi un intérêt sans laquelle la notion même de persévérance n’aurait aucun sens. 

Bien sûr, il ne suffit pas d’aimer ce que l’on fait pour y exceller, beaucoup sont encore plus nuls dans ce qu’ils n’aiment pas. Mais l’auteur souligne aussi combien la passion relève en grande partie du mythe : "beaucoup d’activité ne révèlent leur intérêt qu’à condition de leur consacrer du temps (…) L’apprentissage devient plus réflexif avec l’âge". Autrement dit, on ne saurait oublier que le savoir augmente au fil du temps et avec lui l’envie d’en découvrir plus. Aussi puissant soit-il, l’intérêt ne résume cependant pas tout.

Sentiment d’utilité et optimisme

La niaque peut aussi tirer une partie de son énergie du sentiment d’être utile. Ce sentiment n’est pas forcément à l’origine des choix de carrière mais il est toujours présent à un degré ou à un autre ne serait-ce que dans le désir de concevoir son activité professionnelle autrement que sous son angle le plus étroit. On ne saurait comprendre la niaque en concevant l’égoïsme et l’altruisme comme résolument antithétiques. 

Des études montrent au contraire que "les dirigeants et les employés qui ont aussi bien en vue leur intérêt personnel que celui de la société s’en sortent mieux que ceux qui ne se soucient que d’eux-mêmes". Ajoutons enfin que, sans optimisme, la niaque tiendrait d’une forme de névrose qui n’oserait pas dire son nom. Qu’est-ce qu’au bout du compte la pugnacité sinon la conviction que les efforts se révéleront payants, une conviction suffisamment forte pour surmonter les échecs ?

La vie en tant que sport de combat

Sans doute atteint-on ici la limite de la démonstration d’Angela Duckworth. Autant le bon sens peut nous conduire à privilégier des activités qui nous intéressent et qui nous semblent utiles pour en tirer un surcroît de motivation et de constance, autant l’optimisme, la capacité à remonter en selle, semblent relever de caractères donnés une fois pour toute. 

L’art de la niaque est l’ouvrage d’une Américaine convertie aux enseignements du docteur Coué s’adressant à des Américains également mus par la croyance que lorsqu’on veut, on peut. Ce n’est pas par hasard si au détour d’un chapitre consacré à l’éducation des enfants, l’auteur cite une étude démontrant que la personnalité n’est jamais fixée une fois pour toute mais qu’elle continue de se modifier à l’adolescence et à l’âge adulte à l'instar de la niaque qui se transmet et s’acquiert par l’apprentissage et l’émulation, voire la grégarité collective. Après tout, la vie n’est-elle pas un marathon ? Dans une philosophie de la vie par essence très proche du sport. 

La niaque sans modération

Pour gagner, il faut savoir choisir de faire ce que l’on aime et aimer ce que l’on fait. Quant à ceux qui seraient tentés d’assimiler l’art de la niaque à un hommage aux plus obtus d’entre nous, l’auteur convient qu’on peut imaginer sans peine des situations où il est plus judicieux de renoncer avant de conclure en forme de clin d’œil : "cela dit je ne m’inquiète pas outre mesure d’une éventuelle épidémie de niaque : elle me parait hautement improbable. Vous plaignez-vous souvent en rentrant du bureau : ‘Mes collègues ont trop la niaque, ils poursuivent avec trop d’acharnement les objectifs qui leurs tiennent à cœur. Si seulement ils se donnaient moins de mal et se passionnaient moins pour leur travail !’". 
Une chose est sûre : la niaque, celle de l’auteur, n’empêche visiblement pas l’humour. Une bonne nouvelle.