Le changement paradoxal, le changement qui guérit

La technique du changement paradoxal convient aux temps moroses.

L’œuvre du psychologue Paul Watzlawick parle beaucoup de changement paradoxal. C’est un changement qui guérit. C’est aussi un changement étonnant, qui fournit des exemples amusants :

Les effets inattendus du paradoxe

"Paradoxal", qui va à l’encontre de l'opinion commune. Votre enfant n’arrive pas à se réveiller ? Imposez lui de se lever à onze heures. Il se lassera vite et sera à l’heure à ses cours. Vos parents envahissent votre maison pour vous aider, alors que vous n’avez pas besoin d’aide ? Laissez-vous faire, ils vous maudiront ! La vie ne serait-elle pas plus douce, si nous étions un peu plus paradoxaux ? Votre épouse vous trouve nul ? Répondez-lui que c’est bien pire que ce qu’elle pense. Quand vos parents vous reprochaient vos notes, imaginez que vous leur ayez dit que vous n’aviez aucune capacité. Ne vous seriez-vous pas épargné du stress ? Et cela aurait peut-être été bon pour vos notes. Des études ont montré que selon qu’un exercice est dit, ou non, noté, les résultats des élèves changent radicalement. Le bon élève est stimulé par le stress. 

Le changement paradoxal est aussi une arme de négociation. Lorsque je suis arrivé dans le groupe Dassault, il y a très longtemps, j’ai demandé qui était cet homme d’apparence modeste (il ressemblait à un de mes grands oncles ouvriers), qui semblait un dirigeant. On m’a répondu que c’était le négociateur de la société. Et que, quand vous lui disiez que ce qu’il vous vendait était trop cher, il vous répondait que vous surestimiez certainement ce que vous achetiez. Plus vous vous exclamiez, moins le produit était bon. Jusqu’à ce que vous acceptiez, soulagé, son prix. Peut-être est-ce lui qui s’est occupé des négociations entre Dassault Systèmes et IBM. IBM vendait le logiciel Catia. Il prenait pour cela une commission de 50%. Un jour, IBM a demandé 60%. Il lui a été répondu que Dassault Systèmes allait être obligé de se passer de ses services. IBM, plus grande entreprise mondiale, à l’époque, a reculé devant une start up. Aujourd’hui, le fondateur de Dassault Systèmes reconnaît que sans IBM la société ne serait pas ce qu’elle est devenue…

Le paradoxe soigne la raison déréglée

Un autre exemple. Psychologie de la peur, de Christophe André. "Environ un adulte sur deux souffre de peur excessive". Au cœur de la peur sont l’amygdale cérébrale, le "centre de la peur", et le néocortex, qui doit la réguler. La peur excessive et la phobie sont un dérèglement de cette régulation. Un incident survient qui, chez la plupart des gens, n’aurait eu aucune conséquence, mais qui enclenche un cercle vicieux. La phobie prend le contrôle de l’homme et gouverne son comportement pour renforcer son emprise. Elle l’amène à une invraisemblable stratégie d’évitement. Et même d’apprentissage de la peur par ressassement de ses échecs.Comment résoudre la question ? Aider le phobique à recâbler son cerveau, en deux temps. D’abord, en prenant le contre-pied de ce qu’il faisait jusque-là, en confrontant ses peurs ; puis par un apprentissage de quelques mois. Le phobique accepte sa peur comme naturelle. Il découvre que beaucoup de gens sont dans son cas. Il perçoit son raisonnement inconscient, et repère ses biais (la timidité, par exemple, est produite par des idées en conflit). Surtout, il comprend que ses craintes n’ont pas les conséquences qu’il redoutait. Le traitement consiste donc à lui faire contrôler ses peurs, par un apprentissage progressif : prise de conscience du mécanisme vicié, jeux de rôle, stimulations de situations anxiogènes, mises en situation réelle. Il est accompagné d’un thérapeute, catalyseur, modèle et surtout « pédagogue ». Il transmet son savoir à son patient. Car ce dernier est aux commandes de son changement personnel. Changement paradoxal type. Vous avez peur de bafouiller en public ? Eh bien, c’est certain que vous allez bafouiller. Alors, préparez-vous. 

Enseignement ? Probablement, ce que débloque le changement paradoxal, c’est la raison qui se coince, et qui nous martyrise…

Le paradoxe libère la vie

Enfant de l’Etat providence, j’aimais sa protection, son avenir assuré. Un jour j’ai constaté qu’il se désagrégeait. Les entreprises se sont mises à licencier, les trains ne sont plus arrivés à l’heure, ou même partis, l’ascenseur social de l’Education nationale s’est arrêté… Je l’ai longtemps regretté, mais que pouvais-je faire ? Alors, je me suis souvenu que des penseurs comme Hannah Arendt avaient dénoncé la technocratie. Car elle atrophie la liberté. L’homme devient animal. Nous avons ce qu’a demandé 68 : la liberté. Réjouissons-nous. Mais comment vivre libre ? J’ai enquêté. J’en ai tiré deux grandes idées : intention stratégique et résilience. Pour affronter le Far West de la liberté et y être heureux, il faut être poussé par une envie puissante, et disposer d’un écosystème de confiance. Vu sous cet angle, l’avenir paraît peut-être incertain, mais, aussi, extraordinairement stimulant. C’est la vie. 

Que signifie cet exemple ? Le changement paradoxal fait douter. Ce faisant il fait se demander : et s’il y avait une autre réalité ? Et cette réalité est peut-être bien mieux que la nôtre. Voilà, probablement, l’explication de la vertu curative du changement paradoxal.

Secouons notre grisaille

En résumé, notre raison tend à se bloquer, et à nous faire voire les choses en gris. Le changement paradoxal la secoue et la remet en fonctionnement. Soudainement tout s’éclaire. Il y a peut-être maintenant en face de nous de la complexité et du danger, mais c’est la vie, et la vie c’est l’espoir. 

En ces temps de déprime, n’aurions-nous pas besoin d’un petit coup de changement paradoxal ?