La co-construction à l'heure de la distanciation sociale

La co-construction a de nombreuses fois prouvé sa force dans les organisations face à leur transformation digitale ou data.. En temps de confinement ou de restriction de la mobilité, il faudra redoubler de créativité pour la mettre en place.

Dans le cadre de mon activité de conseil et dans les démarches que je propose à mes clients, je suis un fervent promoteur des méthodes de co-construction. Pour certains d'entre-vous, cette méthode est une évidence pour imaginer une vision, fédérer une équipe transverse, construire une solution, répondre à une problématique, imaginer une stratégie et l'opérationnaliser. Toutefois, pour beaucoup d'entreprises que je croise, indépendamment de leur secteur, on est souvent très loin de la systématisation de l'usage de la co-construction. Malgré les déclarations de certains dirigeants visant à redorer certaines marques-employeurs vieillissantes, les techniques managériales très descendantes ont la vie dure en France ! L'hypocrise est à son comble dans la plupart des cabinets de conseil qui vous en parleront en long et en large et qui au final ne l'utilisent que très peu en interne ou alors seulement pour des sujets mineurs.

En effet, cela demande des convictions managériales fortes tant les difficultés de mise en place sont présentes, pire encore à l'heure de la distanciation sociale qu'il nous incombe de tenir et qui perdura probablement encore plusieurs mois après la fin du confinement. Il faudra redoubler de volonté et d'imagination pour continuer à la favoriser !

La co-construction, quels avantages ?

Attention, nous ne parlons pas ici de design thinking (ou de pensée design dans la langue de Guillaume Musso) mais bien de co-construction. Alors que le design thinking permet de traiter une problématique sous un nouvel angle, la co-construction est plus large et s'apparente plus à l'usage d'une nouvelle forme d'intelligence collective que la classique pyramidale. Deux concepts qui sont de toutes manières absolument pas antagonistes.

Les avantages sont multiples en permettant de :

  • Fédérer : lorsqu'une solution est définie par un collège qui inclut tant l'ensemble des métiers impactés et dans chaque métier où non seulement les directeurs et managers ont été inclus mais aussi les opérationnels,
  • Regrouper autour d'une dynamique : les constructeurs de la solution seront ceux les plus à mêmes de débuter une communauté de pratique autour de la solution : un atout lorsque la co-construction implique des changements culturels, fonctionnels et organisationnels forts

Au final, l'impact d'une solution ou d'une stratégie co-construite sera d'autant plus fort que les actions seront mises en place par des personnes qui l'auront décidé et qui y croient. Souvent, ce n'est pas la qualité de la stratégie qui prime mais bien la qualité de son exécution !

Toutefois, comme toute approche la co-construction vient avec son lot de difficultés !

  • Lenteur :  naturellement, il s'agit d'un process nécessitant plus d'acteurs, plus d'itérations
  • Déceptif : parfois la solution trouvée n'est pas tellement meilleure que si un seul sachant l'avait définie
  • Challenge les fondements d'une culture pyramidale : lorsque tout le monde (directeurs à opérationnels) est mis autour de la table avec un droit de parole et de vote égale, la hiérarchie peut parfois être mise à mal dans une culture du "le mieux payé = celui qui apporte le plus de valeur". Certains managers et directeurs ont du mal à accepter ce nouveau paradigme
  • Le face à face : ayant pour principe la participation ouverte, rien de mieux que de regrouper les acteurs dans une même pièce. Malgré les avancées technologiques en visio-conférence, les latences, problème de qualité de son etc … font que la présence physique semble un must. Cela peut donc poser des problèmes pour des organisation éclatées géographiquement ou en temps de difficulté pour se déplacer : confinement, grève etc …

Les petites recettes pour que cela fonctionne en temps normal :

  • Solutionner une problématique importante : bien qu'il peut être tentant d'utiliser la co-construction dans un premier temps sur des sujets mineurs, vous risquez de vous user car c'est un processus plus lent et plus complexe à mettre en place, autant l'utiliser pour une problématique qui mérite une telle mobilisation
  • S'assurer d'avoir la capacité à mettre en œuvre : bien que l'émulation naîtra pendant le processus de co-construction, vous ferez face à une très forte déception si la solution envisagée n'a pas été mis en place à la suite
  • Penser faisabilité le plus en amont possible : bien qu'il ne faille pas casser le processus créatif qui consiste en l'élaboration d'un maximum d'idées, il faut toutefois rapidement être en capacité de connaitre la complexité de mise en place : technique oui mais aussi sur le plan organisationnel, des compétences, des ressources etc.
  • Un ou des sachants externes : ceux-ci n'ont pas un rôle actif dans la conception des solutions mais permettront soit de les enrichir et de les challenger quant à leur faisabilité
  • Acculturer voir former en amont : pour obtenir le meilleur des participants, vous devez amener à un niveau de maturité plus élevé sur la problématique voir des solutions qui ont déjà mises en place dans d'autres contextes. Cela peut être une sélection d'articles, de vidéo, de podcast. Pour certains cas, des contenus spécifiques devront être créer. Aussi, il est recommandé de mettre en place des points de Q&A sur les contenus avec ceux qui le souhaitent aller plus en profondeur sur certains sujets

A l'heure du confinement et pour les mois qui suivront où les interactions de groupe seront impossibles ou limités, il est toutefois possible d'adapter le processus.

Quelques adaptations nécessaires :

  • Limiter à 4 personnes les ateliers en ligne : au-delà il sera juste impossible de pouvoir obtenir l'effet ping-pong d'idées comme dans une salle de réunion
  • Les animateurs doivent être beaucoup plus attentifs afin que tout le monde participe. Personne ne doit s'endormir derrière son écran
  • Utiliser les outils en ligne collaboratif : oui mais privilégié un outil largement utilisé dans votre environnement même si moins fonctionnel. Toutefois, ne nous détrompons pas, rien ne vaut un véritable tableau, papier et stylos que tout le monde sait manipuler. Ne négligez pas le manque d'envie des collaborateurs à se former à un nouvel outil aussi intuitif soit-il. Prévoyez donc des sessions de formations en amont, voire des soutiens à la saisie et la mise en page lors des ateliers. Privilégiez donc les outils déjà utilisés plutôt que de nouveaux. Un Google Slides sera 100x plus efficace qu'un autre outil beaucoup plus adapté mais jamais utilisé par les participants
  • Privilégiez le travail à la maison de chaque participant plutôt que de longues sessions en ligne
  • Permettre un accès facile à l'information ainsi cela demandera de la part des facilitateurs de documenter davantage

Une fois ces premiers éléments pratiques partagés, je m'intéresserai ici aux 3 étapes qui nécessitent des groupes de personnes et dont le présentiel reste le meilleur moyen pour être efficace : l'acculturation / formation, l'idéation et enfin la convergence. Il m'arrive souvent de mener ces 3 étapes sur 1 ou 2 journées. Ici nous devrons être créatifs et imaginer d'autres procédés.

Acculturation :

En temps normal, il est tout à fait intéressant d'organiser 2 à 3 heures de présentiel pour échanger avec un ou plusieurs présentateurs pour des sessions de Q&A autour de contenus et de convictions. A mon sens, cette phase peut relativement bien s'adapter en ligne : organiser un programme d'acculturation dont les contenus seront envoyés au fil de l'eau sur 2 semaines avec 2 sessions de Q&A : simplement en visio avec tous les participants qui souhaitent avoir des informations supplémentaires. Ces visio ne seront pas des moments d'échange non structurés mais seront organisés à la manière de cours avec des temps consacrés pour des questions. Enregistrer les échanges pour pouvoir les diffuser avec les personnes qui n'ont plus être disponibles pour le point de Q&A.

Idéation :

C'est bien la phase qui sera impossible de faire en ligne avec tous les participants (qui sont parfois jusqu'à 20 ou 30). En présentiel, vous allez pouvoir organiser des équipes de 5 ou 6 personnes par atelier parfois sur 1 journée voir plus. En ligne, cela est impossible car il est difficile de demander de rester en ligne pendant plus de 2h assis sur son siège et être créatif, dynamique et motivé. Il faudra donc organiser des ateliers d'1h maximum avec 3 participants + 1 facilitateur. Tant que possible, il faudra mixer les participants dans plusieurs groupes et organiser une récurrence : tous les jours ou tous les 2 jours. Quoiqu'il en soit, il faudra éviter de faire travailler la même équipe sur une semaine afin d'éviter de créer un silo.

Convergence :

La convergence est l'étape pendant laquelle il faut faire atterrir tous les participants sur une même solution. En temps normal, cela peut se faire sous forme de présentation informelle par les porteurs des solutions puis par débats et enfin par votes. En ligne, les débats seront extrêmement complexes à organiser et les présentations devront être plus structurées pour être impactantes. Il vous faudra passer davantage de temps à structurer et à challenger les solutions en amont en sous-groupe avant les rendre présentables et mieux les documenter afin que chacun puisse les consulter à tête reposée. Les débats eux devront se faire sous forme de groupes et les questions ainsi que leurs réponses devront être documentées. Les votes, eux pourront être organisés en ligne sur une période qui laisse le temps à la consultation des projets.

Voici donc des ajustements nécessaires mais qui permettent de garder les avantages de la co-construction. Comme pour n'importe quelle démarche de co-construction, il est primordial de s'adapter à la problématique, au contexte humain et organisationnel. Il ne faut pas essayer d'employer les mêmes méthodes d'une démarche à l'autre et d'un contexte à l'autre.