Droit à la déconnexion: quels sont les standards et normes en Europe ?

Bien que certains collaborateurs apprécient la flexibilité qui découle des terminaux mobiles, le flou entre le temps de travail et le temps libre persiste pour certains collaborateurs alors que la loi semble pourtant claire sur le sujet.

La France a d’ailleurs été le premier pays à avoir intégré dès janvier 2017 - avec la loi El Khomri - le droit à la déconnexion obligeant les entreprises de plus de 50 salariés à trouver un accord d’entreprise sur la gestion de la disponibilité des employés en-dehors des horaires du travail. Quels sont aujourd’hui les enjeux et perspectives de cette loi en France et qu’en est-il au sein de l’Union Européenne ?

Quels enjeux pour les entreprises françaises en 2019 ?

Le 1er janvier 2017, la France a introduit dans son droit du travail une loi sur le droit à la déconnexion qui inclut "les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale". À défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité social et économique. Cette charte définit les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.

Ainsi, conformément à cette disposition, les entreprises ont le devoir de mettre en place des instruments de régulation de l’outil numérique. Cependant, une ambiguïté demeure au niveau de la loi française : ce texte n’implique nullement des solutions coercitives de déconnexion comme l’interdiction obligatoire d’accès aux serveurs et aux courriels, ou encore l’absence de contrainte ou de sanction pour les entreprises qui omettent d’intégrer le droit à la déconnexion lors des négociations. Une étude menée par le cabinet ELEAS avec Opinion Way en novembre 2018 révèle que 47% des salariés restent connectés le soir après le travail, 45% le week-end et 35% pendant les congés. Cette étude révèle aussi que les jeunes salariés semblent également plus sensibles à l’hyper-connexion numérique. 66% utilisent leurs outils numériques professionnels le soir et 58% pendant le week-end.

Cependant, certaines entreprises ont fait le pari d’une démarche itérative qui traduit un état d’esprit qui échappe, par nature, à la loi.  Pour les entreprises dont le cœur de métier est intimement lié à la capacité de travailler n’importe où et n’importe quand, le droit à la déconnexion est indissociable de la pratique du travail à distance. Certaines entreprises l’ont autorisé en France bien avant que règlement et loi ne le régissent en mettant en place des outils de mesure, en formant employés et managers et en associant les instances de représentation du personnel qui jouent dès lors un rôle central. En alertant sur les dérives potentielles, tout en portant le désir de flexibilité des salariés, ces instances permettent à l’entreprise de moduler les pratiques et de rédiger une charte, en passe d’être soumise, qui réfute le dogmatisme et se fonde sur un retour d’expérience collective.

Une approche qui pourrait être plus largement mise en œuvre puisque, deux ans et demi après son entrée en vigueur, la loi El Khomri ne connaît qu’un succès en demi-teinte comme le rappelle le CRHA (Ordre des conseillers en ressources humaines agrées). Ce dernier nous rappelle par la même occasion que chaque entreprise présente ses caractéristiques propres et que tous les salariés ne sont pas confrontés de la même manière à la problématique de la connexion permanente. Il est donc extrêmement difficile de créer des règles générales. C’est pour cette raison que la législation française s’est limitée à fixer un objectif aux entreprises, et qu’elle a expressément choisi la négociation comme moyen d’y parvenir.

Quelles perspectives au sein de l’Union européenne ?

En Belgique, l’article 16 de la loi du 26 mars 2018 prévoit "en vue d'assurer le respect des temps de repos, des vacances annuelles et des autres congés des travailleurs et de préserver l'équilibre entre le travail et la vie privée, que l'employeur organise une concertation au sein du Comité pour la Prévention et la Protection au Travail à des intervalles réguliers et à chaque fois que les représentants des travailleurs au sein du Comité le demandent, au sujet de la déconnexion du travail, et de l'utilisation des moyens de communication digitaux." Cette loi n’instaure pas un "droit à la déconnexion" comme en France mais plutôt un accord qui pourrait être envisagé au sein de l‘entreprise.

L’Allemagne, de son côté, est l’un des premiers pays à avoir envisagé le droit à la déconnexion bien qu’il n’existe à ce jour aucune législation officielle. Dès 1999, les salariés ont eu le droit de refuser tout contact avec leur employeur pendant un arrêt maladie.  En novembre 2016, la ministre des Affaires sociales et du Travail, Andrea Nahles, présentait lors d’une conférence à Berlin son projet de "Livre blanc Travail 4.0" proposant ainsi d’assouplir la loi sur le temps de travail, à titre expérimental et sur deux ans, afin de répondre aux souhaits des entreprises et des salariés en termes de flexibilité. La ministre a également présenté un projet de loi sur le "temps de travail choisi" dans le but d’offrir aux salariés une plus grande flexibilité en termes de lieu et de temps de travail. Elle a également proposé un "droit d’examen" des demandes des salariés qui souhaiteraient commencer une heure plus tard le matin pour amener leur enfant à l’école tout en précisant qu’en cas de refus, les entreprises devraient justifier leur décision.

En Italie, le droit à la déconnexion a été approuvé par le Sénat italien le 3 novembre 2016 mais reste encore à ce jour à être approuvé par l’Assemblée nationale. L’article 15 de ce projet de loi prévoit “un accord entre les parties, fixant notamment une organisation du travail par phases, cycles et/ou objectifs,  effectué pour partie dans les locaux de l’entreprise et pour partie en-dehors des locaux sans poste fixe imposé, dans la seule limite du respect des horaires de travail quotidiens et hebdomadaires tels que prescrits par la loi et par les conventions collectives". Il est précisé que le droit à la déconnexion sera inclus dans le cadre plus large d’un accord individuel entre l’employeur et le salarié. Les collaborateurs italiens ont également la possibilité en attendant que la loi passe d’insérer des clauses de déconnexion dans leur contrat de travail en accord avec la direction.

L’Union européenne ne compte pas aujourd’hui de législation garantissant un droit à la déconnexion aux 28 pays membres de l’Union. Seul l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit que "tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés". La déconnexion reste donc, sur le plan continental, un droit à établir et à harmoniser. C’est surtout une pratique à observer, dans les deux sens du terme.