Il est temps d'organiser l'informel : plaidoyer pour une gestion stratégique des freelances
Les freelances explosent, mais restent peu visibles et pas toujours bien gérés. Il est temps de structurer leur intégration pour fluidifier missions, compétences et innovation.
Le freelancing n’est pas un phénomène nouveau, mais sa croissance est spectaculaire depuis plus d’une décennie. Il est passé de 600 000 Français en 2019 à près d’1,2 millions aujourd’hui, soit a doublé en 15 ans. Pandémie, digitalisation et plateformes ont accéléré la tendance : de plus en plus d’experts valorisent leurs compétences en choisissant l’indépendance, surtout dans les métiers intellectuels. Le salariat n’est plus la seule voie — et les freelances n’ont plus besoin de dissimuler leur statut.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon une étude IFOP réalisée pour Freelance.com en novembre 2019 auprès de 1 000 cadres du secteur privé, 75 % des cadres ont une bonne opinion du statut de freelance[1]. Cette perception positive s’accompagne d’un réel essor de l’activité indépendante : selon l’Insee, 13,3 % des personnes en emploi en France exercent une activité indépendante ou non salariée en 2024[2].
Pourtant, cette évolution expose les entreprises à de nouveaux défis. Conformité, RGPD, devoir de vigilance : il devient essentiel de savoir qui fait quoi, sous quel statut, et dans quelles conditions. Historiquement, les freelances étaient souvent « cachés » derrière des prestataires, ou intégrés de manière ponctuelle et informelle. Aujourd’hui, ils sont devenus des acteurs à part entière des projets… mais leur gestion reste éclatée entre RH, Achats et équipes opérationnelles. Résultat : des recrutements ralentis, des risques accrus et une innovation freinée.
Il est temps d’organiser l’informel.
Les entreprises doivent se doter de canaux clairs pour référencer, évaluer et mobiliser leurs talents indépendants. Une plateforme interne de freelances permettrait de centraliser les compétences et les expériences, offrant aux managers un accès rapide aux bons profils pour chaque mission. Pour garantir à la fois agilité et conformité, un rôle dédié pourrait émerger : un Chief Freelance Officer, ou un binôme RH–Achats. Leur mission : sécuriser les aspects juridiques et administratifs tout en facilitant la planification, la gestion et le suivi des missions.
Côté législatif et contractuel, il faut standardiser les processus pour sécuriser les collaborations, tout en laissant la possibilité aux freelances de basculer entre mission indépendante et contrat salarié si besoin. La transparence sur la chaîne de valeur, l’intégration des freelances aux organigrammes projets et les évaluations systématiques de mission favorisent la fidélisation et la montée en compétence mutuelle. Ces pratiques renforcent la confiance et transforment chaque mission en une expérience d’apprentissage partagée — pour le freelance comme pour l’entreprise.
Structurer la relation avec les freelances ne signifie pas uniformiser ou rigidifier, mais légitimer et valoriser ces compétences. Les entreprises y gagnent en agilité et en réactivité, les freelances en visibilité et en sécurité, et l’économie dans son ensemble en efficacité. Dans un monde où la compétence est de plus en plus atomisée, gérer les freelances comme un levier stratégique plutôt qu’un recours ponctuel est devenu un impératif. Passer de l’informel au structuré, c’est transformer la complexité en opportunité, fluidifier les relations et maximiser la valeur de chaque mission. Ignorer cette tendance, c’est se priver d’un moteur d’innovation et d’efficacité. Les freelances sont là pour durer — il est temps que les entreprises passent d’une logique de contrôle à une logique d’organisation stratégique, pour que le travail indépendant devienne un atout pleinement intégré à la réussite collective.
[1]https://landing.freelance.com/livre-blanc-open-talents-lab
[2]https://veille.artisanat.fr/dossier_thematique/emploi/actualite/marchyn-du-travail-les-indynpendants-reprynsentent-133-des-personnes-en-emploi-en-2024-enquyote-insee.html?