Quelle organisation du travail en temps de crise économique ?
Le mouvement de réflexion socio-économique du travail dans sa forme actuelle s'organise à partir de l'approche classique du travail c'est-à-dire de la tradition tayloriste la spécialisation selon laquelle on doit retrouver l'adéquation ressource ou individu avec l'organisation.
Depuis peu se développe un concept de planification
organisationnelle qui tend d'une part, à satisfaire les besoins individuels et
structurels dans un souci d'intérêt de l'individu au travail tant sur le plan
professionnel que personnel avec une vision construite de son futur ; d'autre
part, à aider les employeurs publics ou privés à déceler, connaître et utiliser
les capacités d'adaptation de leurs salariés afin de répondre aux incessantes
questions d'organisation du travail.
Initialement la polyvalence
professionnelle pouvait être perçue comme une approche essentiellement
mécanique de l'emploi alors qu'aujourd'hui elle en acquiert une dimension
sociale indubitable qui peut s'expliquer par une prise de conscience des
managers et des membres du personnel. On entre alors dans une stratégie
« gagnant-gagnant » où l'ensemble des acteurs va y trouver des
avantages.
Il est donc apparu nécessaire
de prolonger les travaux sur des champs plus précis afin de contribuer à un
enrichissement de l'analyse dans une optique d'évolution organisationnelle du
travail qui puisse satisfaire le plus grand nombre.
Ces dernières décennies de
nombreux concepts ont été émis au sein de l'organisation du travail, on y a
trouvé notamment : le management des compétences, la gestion prévisionnelle des
emplois et compétences, l'organisation qualifiante, la gestion du changement,
les méthodes d'évaluation professionnelle, la flexibilité etc… Or, tous ces concepts sont devenus d'une brûlante
actualité à cause de questions telles que l'aménagement et la réduction du
temps de travail, le remplacement de gros contingents de futurs retraités, le
chômage toujours important, le manque de salariés dans certaines qualifications
etc…
A partir de ces questions, des messages ont
également été émis envers des salariés qui les ont reçus de façon brouillée
avec un caractère perturbant, les salariés avaient l'impression d'être spectateurs de leur avenir professionnel
alors qu'ils étaient demandeurs d'en être acteurs et donc partie prenante.
De même, les structures privées ou publiques
largement focalisées sur leur objectif principal à savoir : la productivité
et/ou la rentabilité ne se sont pas beaucoup préoccupées de l'avenir
professionnel de leurs personnels sachant en plus qu'elles se trouvaient la
plupart du temps dans l'ignorance des possibilités professionnelles de ceux-ci
entraînant ainsi des manques et des dysfonctionnements qui pouvaient être
facilement résorbés.
En, fait, quelle que soit l’activité dans laquelle elles évoluent, les structures ont comme mission d’être pérennes, de satisfaire les besoins des clients et des usagers, d’avoir un personnel compétent et satisfait de son travail. Au delà de cette définition quelque peu idyllique, on suppose que l’organisation du travail soit une réponse adaptée à cet ensemble d’impératifs.
En conséquence, de
quoi parle-t-on lorsqu’on parle de « polyvalence » ? C’est
ce que l'on tente de mettre en lumière et surtout d’honorer afin que le concept
sorte de son carcan péjoratif et de son ambiguïté.
La problématique de la polyvalence au sens large, a
une vocation d’analyse descriptive et explicative de l’ensemble des situations
dites de « polyvalence ».
Ce qui signifie, en premier lieu que la
polyvalence ne constitue en rien une forme d'anti spécialisation, bien au contraire, la spécialisation et l'organisationscientifique du travail de Taylor représente la base à partir de laquelle la
polyvalence va apparaître, en second lieu, que la polyvalence est polysémique
et recouvre ainsi une multitude de définitions.
- Les multiples implications, elle concerne à la fois les salariés, les
structures, les syndicats, l’État et ses
composantes principales : l'Emploi et l’Éducation.
- La démarche se veut globale, elle englobe à la fois la connaissance des
données personnelles et professionnelles de l'individu, tout comme une
implication des différents acteurs dans le processus général d'organisation du travail.
- La recherche d'intérêts par toutes les parties.
- L'inscription dans le long terme de façon durable.
Dans la mise en place de situations de polyvalence,
l’analyse et l’interprétation des faits de situations doit respecter la
complexité et la diversité des cultures, des modes de fonctionnement et des
problèmes à résoudre, afin de ne pas passer à coté de questions fondamentales
et d’imposer des changements intéressants mais déconnectés de la réalité.
Compte tenu de la diversité et de la complexité de
l’organisation du travail dans les différents types de structures françaises et
européennes on peut choisir un mixage d’approche inductive et d’approche
déductive sachant que très souvent les deux approches sont souvent imbriquées
l’une dans l’autre par la sélection
d’hypothèses.
En fait, on ne dénigre ce qui dans l’opinion
publique apparaît être la base de l’organisation du travail à savoir « la
spécialisation du travail », on considère que la polyvalence
professionnelle est « à côté » de la spécialisation, et en aucun cas
ne constitue une négation de celle-ci.
De manière inductive, c'est l’observation des faits et leurs interrelations
qui représente les sources dans l’expérience, l’intuition et le raisonnement.
Par la vérification, il peut s’en dégager des phénomènes généralisables.
De manière déductive, le respect des théories pour
l’explication de cas particuliers amène à considérer la polyvalence comme un
concept que l'on peut qualifier de normal et non pas d'exceptionnel.
Si le marché est susceptible
d'être porteur ou demandeur d'individus polyvalents c'est que le besoin existe
aussi bien chez les employeurs que chez de nombreux individus. Le marché peut
donc se transformer en vitrine de la polyvalence en l'habilitant par la
reconnaissance.
Les hiérarchies
professionnelles de la structure sont fortement marquées par la possession
présupposée d’un savoir technique engendrant des grades fonctionnels qui
fondent l’échelle des valeurs de ces hiérarchies.
Aujourd’hui, le problème
rencontré par cette institutionnalisation de savoir technique concrétisé par le
métier est bien la volonté de reconnaissance de la polyvalence professionnelle
dans le cadre général professionnel.
Le rôle d’une profession est de
garantir la compétence de ses membres. La gradation des valeurs
professionnelles représentée par la hiérarchie constitue ainsi un monopole
d’accès à une partie du savoir et donc de l'accession à d'autres types de
postes.
En entrant dans un système
global permettant de rendre la polyvalence en partie indépendante du pouvoir au
nom de l’intérêt général, on modifie amplement l'idée de concrétisation par des
résultats fiables prouvés permettant ainsi toute possibilité de reconnaissance
officielle. En réalité, nous disons
simplement que si les résultats sont probants alors, il n'y a aucun obstacle à
faire reconnaître la polyvalence professionnelle dans les formes les plus
avancées. La connaissance acquise, les
aptitudes réelles sont fonction de capacités générales qu’apporte l’individu dès
qu'il débute dans son emploi, aussi bien que des méthodes parfois personnelles
mises en œuvre au cours de son apprentissage.
L'individu transfère donc à son
emploi un accroissement du niveau général des connaissances ou de l’habileté et
des améliorations le transformant ainsi en apprentissage permanent.
C'est en réalité l'individu qui
façonne son emploi et non pas l'inverse car l'emploi est une base théorique qui
doit être élaborée et testée sur le terrain. Ceci pouvant réduire le temps
de formation professionnelle en externe et élargir le nombre de personnes
susceptibles de profiter de cette éducation permanente capitalisée. C'est ainsi que
la part individuelle du travail incarnée dans l'ensemble des aptitudes à agir
face à l’imprévisibilité des situations de travail vient en corrélation avec la
part prescrite du travail.
des situations de salariés qui sont :
* manifestement sous-employés en termes
de compétences car de nombreuses qualités personnelles ne sont pas exploitables
sur leur terrain d'activité habituel. Ceci se traduit par un état de Polyvalence Professionnelle approprié à chaque service
alors que théoriquement tout salarié avec un métier issu de la nomenclature et
de par sa formation est adaptable dans tous les services, ce qui dans la
réalité s'avère inexact.
* plus
aptes à intervenir simultanément sur plusieurs services car leur mode de fonctionnement personnel est
plus proche de la polyvalence que de la spécialisation à
outrance.
* mal perçus par leur camarades de
travail car la polyvalence est source d'ambiguïté, ceci se traduit notamment
par un véritable statut de " polyvalent " dans plusieurs métiers et
services avec de réelles compétences transversales, avec une vraie prise en
compte de cette "particularité" et non plus un état de
"bouche-trou".
* considérés comme des freins car trop
rigides à de nouvelles forme d'organisation du travail notamment pour un
réaménagement du temps de travail, ceci
peut être résolu par l'acquisition de nouvelles qualifications notamment en
informatique et communication réduisant ainsi les échanges administratifs en
temps et en quantité.
* en manque de reconnaissance de
qualifications personnelles qui peuvent être exploitables par la structure mais
qui sont considérées comme marginales car non utilisées dans le quotidien
(exemple : maîtrise de langues étrangères, sport).
* mal informés sur les futurs postes avec
leurs spécificités. Ceci conduit à
établir une carte des futurs emplois avec accessibilité à l’information.
* difficiles, certains individus n'étant
pas du tout à leur place, ceci conduit naturellement à repenser la formation
pour les remettre à niveau ou simplement organiser des transferts intelligents
qui amène des situations plus appropriées « le pire pour les uns peut être
le meilleur pour les autres ».
* enfermés dans la vision de leur poste
de travail en pensant que celui-ci est difficile, il s'avère qu’à la lecture
des autres fiches de postes, des prises de conscience révèlent une meilleure appréciation du poste
occupé.
des situations de la structure qui sont :
* considérées comme irrémédiables car
justifiées par le passé et la coutume, l'exemple le plus criant est
l’organisation d’un service technique dont l’organigramme est inchangé depuis des
décennies. Ceci se transforme par une plus grande maîtrise des profils
d’emplois à pourvoir en incluant d’autres types d’emplois et de qualifications.
* méconnues car elles n'ont jamais fait
l’objet d’un inventaire précis, ceci permet de mettre en évidence de nombreux
« doublons » en terme d’activité qui se révèlent positifs (polyvalence)
ou négatifs (redondance).
* ignorées car elles ne sont pas évoquées
en tant que telles. On s'aperçoit que la structure dispose d’un riche
« capital humain » inexploité, en ce sens que de nombreux individus ont des compétences, capacités,
qualifications qui peuvent être mises à profit pour de nouvelles missions ou
activités.
* sans précédent, c'est une occasion pour
le personnel de participer réellement à la
construction de son avenir professionnel. Un tel niveau de collaboration
et de transparence est vraiment souhaitable.
* paradoxales, on a d’un côté des
individus aptes à intervenir et de l’autre une structure en recherche
d’individus aptes à intervenir. La polyvalence peut faire en sorte que des
points d’intérêts apparaissent pour des développements de part et d’autre.
* souhaitables, on est systématiquement
en recherche d’équipes volantes pour remédier à des situations d’urgence ou exceptionnelles. La polyvalence
permet de dégager des potentialités d’individus susceptibles d’agir dans ces
cas particuliers et de mettre en place un barème de compensation salariale.
* non reconnues, la validation des acquis de l'expérience et
la certification sont le décollage après toutes les étapes précédentes liées
aux études, on passe des observations, analyses, résultats à l’aspect
« officiel ». On n’est plus dans tous les projets qui restent à
l’état confidentiel ou sont rapidement abandonnés, on accède à une dimension
supérieure, une homologation et une authentification qui sont souhaitées dés le
départ. La validation est donc une procédure interne, basée sur des évaluations
internes, ce qui n’empêche pas de faire appel à des organismes extérieurs pour
valider des acquis, faire reconnaître des niveaux de compétences ou établir des
attestations.
L'évaluation
de la polyvalence, développée à partir de deux dimensions principales :
- horizontale :
elle reflète l'expression d'une compétence qui s'élargit à la maîtrise des
techniques d'un métier vers d'autres métiers.
- verticale : elle reflète l'expression d'une
compétence qui permet l'intégration d'une fonction vers d'autres fonctions à
d'autres niveaux.
De plus, la notion de qualification ayant fortement
évolué, on peut s'apercevoir que l'individualisation du métier semble être la
voie sur laquelle se dirige de nombreux secteurs de l'économie. Cependant, elle
est limitée dans son approche pragmatique, il semble donc nécessaire de passer
sur un système plus ouvert à d'autres aspects tels que la compétence, la multi
compétence, la multivalence (exercice d'un même métier dans des contextes
différents), la polyvalence à travers la connaissance d'autres métiers,
d'autres secteurs de la structure,
d'autres qualifications.
En fait, on ne peut voir un individu au travail qu'à
travers un angle de vue suffisamment large pour en cerner tous les contours et
non sur le métier qu'il exerce sur un lieu donné à un point précis du temps.
Conseils
Le concept
de polyvalence reste flou et ambigu s'il n'évolue pas vers une conception plus
large du métier afin de rendre service au salarié qui doit avoir la possibilité
de montrer ses compétences de façon globale mais aussi aux managers de
connaître les compétences ainsi que leurs possibilités d'extension.
Intelligemment
posée, la polyvalence en acquiert ses lettres de noblesse et peut constituer
une authentique voie de reconnaissance et d'efficience à côté de la
spécialisation.
Bibliographie :
- P. Micheletti (2001), La polyvalence sous toutes ses facettes, Paris, Éditions d'Organisation.
- C. Bernier (1982), La
polyvalence des emplois : nouvelle tendance de l'organisation du travail, Montréal. Éditeur : Institut de Recherche
Appliqué en Travail Social.
- M. Dadoy (1990), Les analyses du travail, enjeux et formes, CEREQ, Collection les études n°54.