Une bombe à retardement dans la gestion du temps créée par l’Etat
La complexité de notre système administratif a contribué à créer des inégalités dans la comptabilité et la gestion des horaires variables au sein des organisations. Une anomalie lourde de conséquences qui devrait particulièrement alerter tout autant les DRH que les salariés concernés.
Cette anomalie porte sur l’"écrêtage" et concerne la gestion des temps et plus particulièrement de l’horaire variable (horaire individuel) associé au pointage/badgeage.Un « horaire variable » ou « horaire libre » permet à un employé d’organiser librement son planning de travail. Ceci est un grand pas en avant ! Enfin considéré en adulte responsable, l’employé peut équilibrer sa présence sur son lieu de travail avec sa vie personnelle en indiquant à son responsable ses plages de présence.
En langage Ressources Humaines, ceci se traduit par la décomposition d’une journée de travail en plages fixes et plages variables.
- La plage fixe représente la plage de présence obligatoire, faite pour faciliter le travail en équipe, les réunions, le service rendu au public, où les personnes se rencontrent (puisque toutes théoriquement présentes)…
- A contrario, la plage variable/libre se trouve positionnée souvent le matin, le soir ou pendant la pause déjeuner. Elle permet d’aménager son temps de travail (de venir plus tôt, de partir plus tôt …). Cette latitude pour s’occuper de la crèche/nounou, éviter les embouteillages (…) permet aussi de travailler un peu plus un jour et un peu moins un autre.
La journée type d’un employé travaillant en horaire variable (journée de 7h00) se déroule selon le schéma suivant :
Au sein d’un outil de gestion des
temps, il existe un crédit débit qui
correspond à la soustraction entre le temps travaillé comparé et le temps
théorique d’une journée.
Ce compteur de crédit/ débit, scruté
au quotidien fait l’objet d’interprétations et d’usages variables en
entreprise. L’un des abus souvent constaté porte le nom de présentéisme forcé.
Le présentiste comme Stakhanov
moderne allumera la cafetière le matin et éteindra le soir avant de partir, accumulera
un grand nombre d’heures de travail de présence qu’il pourra transformer en
salaire ou période de récupération.
Pour que l’organisation puisse se prémunir contre ces excès, deux solutions existent : le « temps neutralisé » - afin de ne pas comptabiliser du temps hors plage puisque ne correspondant pas au contrat ou aux horaires - ainsi que la règle d’écrêtage.
L’écrêtage est une règle qui
permet de limiter un compteur (comme le
crédit/débit) en « coupant » au-delà d’un seuil. Par exemple, il
serait possible d’augmenter son crédit d’heures en travaillant plus, mais dans
une certaine limite de X heures par semaines, ou Y heures par mois.
Cette règle pourtant anodine et de bon
sens –j’ai la liberté de travailler plus mais raisonnablement- est au centre
d’un vaste débat.
En effet, cette règle se trouve acceptée chez certains inspecteurs du
travail, tandis que d’autres la refusent… Cette acceptation / refus d’une règle
identique crée une rupture d’équité grave : deux personnes seront traitées
de manière différente en application de textes identiques.
L’inspection du travail est souvent
mal épaulée sur des sujets de plus en plus techniques. Quant à L’Etat qui
devrait trancher clairement sur cette question, il a décidé de laisser les
inspecteurs apprécier les situations au cas par cas. Une intention louable si
elle ne touchait pas plusieurs milliers de personnes ayant négocié des accords
cadres nationaux.
En pratique, nous avons constaté sur
le terrain que cette règle pouvait être acceptée par un inspecteur du travail
local et refusée de manière catégorique par un autre.
Puisque le droit s’interprète et permet une jurisprudence, qu’en est-il des règles de gestion au travail qui dépendent du droit ?
Serait-il enfin possible de créer un « référentiel » clair des règles de gestion des temps permettant de distinguer ce qui est possible de ce qui est interdit ?
Comment le législateur peut-il prendre en compte les modifications importantes qui découlent de l’informatisation massive des RH et des pratiques qui se mettent en place ?
Et surtout comment résoudre cette rupture d’équité de fait ?
Tous ces points ne sont pas forcément nouveaux. De nombreuses fois les tribunaux ont été appelés à trancher – et là encore de manière quelquefois contraire. Très souvent, le contexte permet de faire pencher la balance.
Cet exemple illustre aussi le rapport
entre cadre légal et innovations liées aux nouvelles pratiques des RH : le
temps du législateur se pose très souvent en réaction – l’exemple de
l’ouverture dominicale des magasins suit le même schéma : d’abord il y a
création, défrichage de nouveaux terrains puis vient, une fois atteint un seuil
critique, le besoin de réguler.
Au regard de notre expérience, nous
conseillons aux DRH d’être le plus clair et le plus respectueux des accords qui
ont été prévus : la capacité technique actuelle des outils RH permet
désormais une gestion centralisée. C’est lors du recensement des règles
concrètes du « terrain » que se mettent en lumière les vrais
problèmes : tous les paramètres de gestion qui auparavant étaient
invisibles, (iniquité, flou ou pire gestion « entre amis »), se
trouvent désormais mis en lumière. Les problèmes, comme l’écrêtage souligné
ci-dessus, peuvent se trouver de facto réglés par une fermeté sur le cadre de
gestion et une équité de traitement, il n’y a dans ce cas pas de place pour
l’avis local ou l’appréciation personnelle.