Elections à la tête de la Francophonie : les candidats s’activent sur le Net

Jamais la campagne pour le leadership d’une institution de cette envergure n’avait fait l’objet d’un tel engouement sur Internet. Le choix du Secrétariat Général de l’Organisation Internationale de Francophonie passera –t-elle nécessairement par la case web?

Depuis juin dernier en effet, Internet s’est approprié la campagne pour le Secrétariat Général de la Francophonie : « C’est une grande première en effet », commente Jules de Berne du collectif indépendant de recherche Rhizomedia -qui suit de près cette élection. Fondée par de jeunes chercheurs en sciences de la communication, la plateforme a même ouvert un débat interactif –Spécial francophonie 2014- autour de l’événement qui se conclura en novembre dernier lors du sommet de Dakar. Aux côtés des sites officiels (http://www.francophoniedakar2014.sn/) sur lesquels des journalistes du monde entier peuvent déjà solliciter des accréditations,  l’enjeu affiché de part et d’autre est de susciter la participation populaire. Une stratégie à laquelle adhère l’ « Ambition pour la Francophonie » du burundais Pierre Buyoya pour qui « la Francophonie doit davantage être une organisation des peuples, des citoyens, des instituteurs qui promeuvent notre patrimoine culturel jusque dans les coins reculés d’Afrique ».

Les deux principaux candidats en lice ont été les premiers à investir le web. Sur www.michaellejean.ca et sur www.pierrebuyoya.org, l’ancienne gouverneure générale du Canada Michaelle Jean et celui qui dirigea le Burundi durant plus de dix ans Pierre Buyoya présentent respectivement leur confession de foi et proposent de rester en interactivité avec l’espace public francophone dans toute son étendue. Deux sites dynamiques, mettant en avant, à chaque fois, le parcours de chaque personnalité, ses rencontres avec la presse, les engagements respectifs. La canadienne est l’envoyée spéciale de l'UNESCO pour le Haïti, pays dont elle puise ses origines, tandis que l’ancien Président du Burundi est aujourd’hui le Haut Représentant de l’Union Africaine et chef de la mission de maintien de la paix pour le Mali et pour le Sahel.

« On sent qu’il y a une volonté chez les deux candidats de s’adresser directement aux internautes. Ils ont accepté l’ouverture des pages web de soutien, accepté de répondre aux critiques lorsqu’elles sont constructives, commente de sa part Jean Népomunene B, de l’Ecole des Hautes en Sciences Sociales (Paris). A mon avis, c’est productif. D’abord car les réseaux numériques sont les seuls à même de susciter la participation des individus dans un espace qui s’étend du Vietnam au Congo ».

Internet permet de donner un espace de visibilité à des candidats défavorisés par la logique médiatique, d’après Jean Boivin, journaliste marseillais spécialiste de l'Afrique. « C’est que les médias traditionnels n’ont jamais voulu médiatiser de façon équilibrée les nouvelles formes de gouvernance globalisée. Par exemple, nous voyons bien que les médias du Nord soutiennent un candidat du Nord, ect. Dans le cas qui nous concerne, la canadienne bénéficie d’une couverture médiatique largement privilégiée, car les médias de son pays sont énormément puissants dans l’espace francophone. Dans ce contexte, l’usage d’Internet tente de rendre le jeu plus égalitaire ».

L’activisme web des deux principaux candidats n’est pas étonnant d’autant plus qu’ils portent tous un intérêt particulier au numérique. Pierre Buyoya en fait même le cheval de bataille pour « démultiplier l’impact des programmes de développement » portés par l’Organisation Internationale de la Francophonie, plus particulièrement dans le domaine de l’éducation. Michaelle Jean, elle aussi, fait de « la Francophonie de l’innovation et du numérique » un point majeur de son projet officiel dans lequel elle déclare par ailleurs : « L’horizon de nos vies s’est élargi aux dimensions du monde et appelle à une plus grande solidarité ».

Mais c’est surtout pour promouvoir et défendre leur image que les deux candidats ont investi les réseaux numériques. « Légitimement, commente Jules de Berne. Depuis l’annonce de leur candidature, les deux candidats ont essuyé des médisances de la part de leurs détracteurs. Ils ont été à des postes de responsabilités, et c’est normal qu’il y ait des gens qui ne les aiment pas. Avec le web, tout le monde s’exprime, pour débattre, mais aussi pour insulter, hélas. C’est l’envers de la médaille». Ce sont parfois des adversaires politiques dans leur pays respectifs qui ont multiplié les attaques, comme le précise le chercheur membre du collectif Rhizomedia.  

Des sites partisans moquent par exemple « la très honorable » Michaëlle Jeande n'avoir «aucune expérience diplomatique» effective, qu’elle occupait une fonction désuète, de « pacotille», qu’elle a été nommée par la Reine d’Angleterre et qu’elle n’aurait ni compétence ni légitimité pour diriger l’Organisation internationale de la Francophonie. Pierre Buyoya, quant à lui, a été attaqué par des pages web et des profils facebook anonymes. « Ils sont deux ou trois, mais pour une personnalité qui passe son temps sur le terrain que sur les réseaux Internet, ses détracteurs réussissaient même à occuper la première page sur Google », note un autre chercheur du Collectif Rhizomedia.

L’ancien président Burundi a dû se justifier en permanence devant les médias. Avant de devenir un médiateur de la paix et un accompagnateur de la démocratie respecté sur l’ensemble du continent africain, notamment pour avoir orchestré des réformes d’importance (du processus soudanais à la crise sahélienne, en passant par la Centrafrique), Pierre Buyoya avait accédé au pouvoir par un coup d’Etat. Ceux qui l'on connu parlé de «circonstances particulières», aidé par l'armée, dans l'intention de restaurer le calme dans un pays qui allait sombrer dans le chaos. «Il a été le pouvoir pour entamer immédiatement des réformes de pacification et de démocratisation, et pour le rendre volontairement à un civil», précise l'historien Amar Ta, de l'IFP (Paris), spécialiste de questions stratégiques et de l'Afrique. Sur les sites web et les pages Facebook qui le soutiennent, des témoignages de plusieurs pacifistes internationaux de renom viennent témoigner en sa faveur, rappelant que le cliché de putschiste est réducteur pour un homme qui a immédiatement rétabli l’Etat de droit et la démocratie dans son pays, une fois aux commandes, et qui a remis volontairement le pouvoir aux civils. « L’avantage d’Internet, c’est qu’il permet aux internautes de pouvoir accéder aux archives, de voir par exemple que les insinuations à l’encontre du candidat Buyoya sont réductrices », estime Jules de Berne… 

Le web ne désignera pas sûrement le successeur d’Abdou Diouf, mais il est parti pour être un des tailleurs du costume du prochain Secrétaire Général.