Le salariat, c'est fini ?

A l'heure où la réforme du travail est en pleine discussion, un fait historique peut interpeller : La France s’est longtemps opposée au salariat. Avec raison ?

Il y a peu Jacques Attali disait : "L’idée que tout le monde soit salarié n’a plus de sens". En fait, on a oublié aujourd’hui que la France s’est historiquement opposée au salariat. Ce mouvement a eu son, immense, théoricien. Son travail débouche sur des résultats paradoxaux. A redécouvrir ?

Quand la France refusait le salariat

Le radicalisme est le prolongement pacifique de la Révolution. L'idée fondatrice de ce courant politique est qu’un homme qui sait utiliser sa raison fera le bien sans lois. D’où l’importance de l’éducation. Cette idée réunit des gens aussi divers, et opposés, que Jules Ferry, Clémenceau, Jaurès ou Elisée Reclus, un anarchiste. Dans cette logique, le salariat est quasiment perçu comme une forme esclavage.

Mais comment se passer du salariat ? Hyacinthe Dubreuil a consacré sa vie à cette question. Ouvrier, notamment chez Ford à Detroit, leader syndical, sa pensée vient de la pratique, de son expérience. Il veut réconcilier la société avec elle-même. La lutte des classes, ce n’est pas pour lui.

 "Ne nous commandez pas, donnez-nous des commandes"

Pour le capitaliste tout est capital productif. Le salarié est une machine. On lui donne, donc, juste assez pour le maintenir en fonctionnement. D’où deux modes de rémunération. Celui du patron, réglé par le marché, et celui de l’employé, fonction de ses besoins physiologiques. Surtout, le salarié ne trouve pas dans l’entreprise ce que les psychologues appellent la possibilité de "se réaliser". Résultat : son talent, inutilisé, sert à nuire à son employeur. Voilà l’explication de la lutte des classes.

Hyacinthe Dubreuil accepte la société telle qu’elle est : capitaliste et en lutte des classes. Il veut l’améliorer en respectant sa logique. Tous entrepreneurs ! Mais pas n’importe comment. La solution, paradoxale, de la question du salariat, c’est l’équipe. L’équipe d’ouvriers doit devenir un intra-traitant. Elle est responsable de sa production. Elle s’engage sur un prix de vente, en échange de moyens. Elle s’organise comme elle veut. En particulier, il n’y a pas de durée légale de travail dans ce modèle. L’ouvrier est responsable par rapport à ce sur quoi il a du pouvoir : son métier. Ce n’est qu’en fonction de ses responsabilités qu’il a des droits. Ce système rappelle d'une certaine manière le fonctionnement de l'entreprise libérée.

Hyacinthe Dubreuil savait que le changement ne serait pas facile. Se débarrasser de l’esprit de lutte de classes est long ! la transformation ne pouvait qu’être progressive. En particulier, une formation devait accompagner l’ouvrier dans son évolution personnelle.

Hyacinthe Dubreuil, aujourd’hui

Et si les idées d’Hyacinthe Dubreuil méritaient d’être relues ? Voici trois raisons, parmi d’autres, de le faire. Il corrige l’inefficacité du statut d’auto entrepreneur, qui passe plus de temps à chercher des commandes qu’à travailler. Il élimine aussi la question des sales boulots, dont le chômeur ne veut pas. En effet, il n’y a pas de sotte occupation pour un entrepreneur. Enfin, en modifiant les rapports de force au sein de l’entreprise, il facilite l’installation de la logique de contrat propre à la réforme du travail.

Pas facile à mettre en œuvre ? A une époque où l'on n’entend qu’entreprise libérée, capital humain, économie du partage, réforme du droit social… cette communauté libertaire fédérée par l’action, Uber sans Uber, n’est-elle pas dans l’esprit du temps ?