RSA contre bénévolat : une vraie fausse bonne idée ?

L’idée de conditionner le versement du RSA à des heures de travail d’intérêt général ou de bénévolat fait son chemin. Mais est-ce vraiment une bonne idée ?

C’est un marronnier de la politique : faut-il conditionner le versement d'une aide de base comme le RSA à des heures de travail d’intérêt général ou de bénévolat ? Régulièrement réactivée par la droite républicaine, cette idée a fait l’objet d’une disposition adoptée en février dernier par le Conseil départemental du Haut-Rhin, ce qui a valu à son président une sèche répartie de la part du gouvernement. Pourtant, nos voisins européens sont nombreux à expérimenter de telles solutions, et les élus Français ne sont pas tous contre. Revue de détail.

RSA contre bénévolat

Pour Eric Straumann, le président du Conseil départemental du Haut-Rhin et député Les Républicains, qui a fait adopter la disposition controversée, il s’agissait avant tout d’initier un cercle vertueux visant à "faire passer les allocataires du statut d’usager à celui de bénévole actif et reconnu".

Exiger sept heures de bénévolat aux allocataires du RSA en revenait donc à définir un nouveau statut pour les bénéficiaires. Au passage, cette décision permettait de répondre à des enjeux à la fois économiques  (le coût du RSA de plus en plus lourd pour le département) et politiques, puisqu’il s’agissait également de tordre le cou à cette conception de l’allocation comme forme d’assistanat (le débat existe dans une moindre mesure pour la prime d'activité).

La réaction du gouvernement n’a pas tardé, par la voix de la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine. Celle-ci a réaffirmé qu’il "n’est pas possible de conditionner le versement du RSA à l’exercice du bénévolat", et ajouté que les devoirs liés à l’obtention d’une allocation sont définis nationalement (une autre façon de dire aux collectivités locales qu’elles doivent se contenter de payer le RSA, pendant que l’État décide de son champ d’application). En l’occurrence, les "devoirs" des allocataires du RSA se résument à chercher "activement" un emploi.

Une prérogative d’État remise en cause par les collectivités

Sauf que la réponse est arrivée avec deux temps de retard. D’abord parce l’adoption de cette mesure par le Haut-Rhin a lancé un pavé dans la mare, qui a ravivé le spectre de déclarations soutenues autrefois par de nombreux élus nationaux (Nicolas Sarkozy, Laurent Wauquiez, Benoist Apparu, Xavier Bertrand).

Ensuite, et surtout, parce que la position du gouvernement sur cette question n’empêchera pas les élus de tous bords de s’interroger sur la légitimité d’une telle disposition. En pointillés, c’est donc la question des prérogatives des collectivités qui se pose. M. Straumann a d’ailleurs prévenu : il pourrait déposer une question prioritaire de constitutionnalité pour tenter de s’approprier le principe de "libre administration des collectivités locales" stipulé par l’article 72 de la Constitution, avec lequel le fonctionnement actuel du RSA serait ainsi en contradiction.

C’est que la controverse a une cause plus profonde : en 2015, le RSA a coûté aux départements environ 9 milliards d’euros, tandis que l’État ne compensait qu’à hauteur de 65 % en moyenne ces coûts pour les collectivités (avec une fourchette réelle allant de 50 à 80 %, en fonction des départements). Il n’est pas surprenant qu’entre des collectivités locales exsangues et des élus qui expriment leur ras-le-bol devant les factures qui s’allongent, le Revenu de solidarité active exacerbe les passions.

Une idée qui traverse les clivages politiques

Le problème n’est pas nouveau. Il découle d’un double paradigme : l’impuissance des élus face à un chômage qui ne cesse de grimper, avec les conséquences économiques et politiques que cela entraîne ; et le désarroi des exécutifs départementaux confrontés à la hausse des dépenses sociales dont la charge leur incombe, conséquence de la décentralisation des politiques sociales.

La délibération du Conseil départemental du Haut Rhin s’inscrit dans une tradition idéologique propre à la droite, et incarnée depuis plusieurs années par le député LR de Haute-Loire et président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Celui-ci fut l’un des premiers, en 2011, à défendre le conditionnement du versement du RSA à des heures de bénévolat ou de travail d’intérêt général. Reprenant l’idée, Nicolas Sarkozy avait confié la tâche au gouvernement Fillon d’expérimenter un contrat de sept heures fondé sur le volontariat. Une expérimentation rapidement délaissée par François Hollande après son arrivée au pouvoir. Sans doute l’idée lui semblait-elle trop de droite.

Trop de droite, vraiment ? À bien y regarder, c’est une idée qui s’est affranchie des clivages politiques dès ses premières formulations. En 1998, c’est bien un socialiste, Christian Bourquin, alors président du conseil général des Pyrénées-Orientales, qui parle de "mettre les Rmistes au travail", en l’occurrence quelques heures de travail d’intérêt général dans des activités de services, sur un modèle proche de ce que le Haut-Rhin a récemment voté.

Ce que font nos voisins européens

Si nos élus sortent de plus en plus de l’ornière, c’est parce qu’ils sont encouragés en ce sens par les expérimentations menées depuis quelques années par nos voisins européens. Ils sont plusieurs, en effet, à avoir mis en place des politiques visant à "compenser" le versement des allocations à des heures de travail d’intérêt général ou de bénévolat. Voici quelques exemples :

- En Grande-Bretagne, les chômeurs de longue durée sont contraints de travailler pour la collectivité (ramassage des ordures, entretien des jardins publics, balayage des rues, etc.) au moins 30 heures mensuelles.

- En Allemagne, le principe du « job à 1 euro » existe depuis 2005. Il consiste à accepter un travail rémunéré 1 euro de l’heure, souvent dans le secteur public ou social, en échange du versement de l’équivalent du RSA.

- Au Danemark et en Suède, des heures de travail d’intérêt général ou de stage sont une condition au maintien de l’allocation chômage après plusieurs mois sans activité.

Les résultats de ces politiques sont difficiles à exploiter tant les situations sociales et professionnelles sont différentes suivant les nations. C’est néanmoins dans les pays scandinaves que l’équation chômage + allocation = bénévolat semble le mieux fonctionner, un modèle qui paraît compliqué à exporter en l’état si l’on considère que le nombre de personnes sans emploi dans ces deux pays est bien moindre que chez nous. Et plus de bénéficiaires du RSA, ce sont d’autant plus d’heures de bénévolat à dénicher.

Une remise en cause du statut de bénévole ?

Une telle mesure ne satisfait pas plus les associations que l’actuel gouvernement. Au-delà du fait que les responsables associatifs ne veulent pas réduire l’engagement des citoyens à des décisions prises par les collectivités locales, la mesure pose une question essentielle : le bénévolat peut-il toujours être considéré comme tel s’il est conditionné au versement d’une somme d’argent ?

Rémunérer le bénévolat est, au mieux, antithétique ; au pire, contre-productif. Être bénévole, c’est s’engager librement, et gratuitement, dans une action qui vise à porter assistance à autrui, sur son temps libre. Devoir rendre compte de son activité bénévole auprès d’un représentant de l’État, c’est donc en contradiction avec la nature même de cet engagement.

En outre, dès lors que le département du Haut-Rhin contraint les allocataires du RSA à se porter volontaires pour du bénévolat, dans quelle mesure les bénévoles en activité ne pourraient pas réclamer, à leur tour, de devenir allocataires du RSA ?

Travail et gratuité

Le problème est d’autant plus complexe qu’il s’affranchit de la seule sphère politique. Le bénévolat est une activité que l’on exerce en dehors de son calendrier professionnel, familial et de loisirs ; une activité qui a toujours été, et qui devrait rester, indépendante de toute contrainte.

En assimilant le bénévolat à une forme de travail, la disposition du Haut-Rhin nous entraîne sur une pente glissante. Pour tenter de freiner cette trajectoire, sans doute n’est-il pas inutile de rappeler que le bénévolat n’est certainement pas "un travail par défaut", une activité que l’on exercerait faute d’en avoir une autre, rémunérée ; mais plutôt que le travail est bel et bien l’inverse du bénévolat, c’est-à-dire une activité que peu de citoyens choisissent effectivement d’exercer de plein gré, mais dont ils ont besoin faute d’avoir le choix parce qu’il faut bien gagner sa vie.

Pour qu’une telle décision soit justifiée, il faudra en passer par une redéfinition complète de la notion même de travail, en accord avec évolutions de celui-ci. Redéfinition que les discussions actuelles autour d’un éventuel revenu minimum universel (dont le principe a été récemment rejeté par les Suisses lors d’une votation citoyenne) tendent à mettre en relief. Si le revenu universel de base était appliqué, le bénévolat en tant que tel existerait-il toujours ? Difficile de répondre à cette question. Mais c’est quelque chose d’autre qui adviendrait alors : la possibilité pour chacun de décider que faire de son temps libre, c’est-à-dire exercer une activité pour obtenir rémunération, ou donner de sa personne au profit unique d’autrui.

L’idée de lier RSA et travail d’intérêt général ou bénévolat va donc bien au-delà de simples considérations politiques. Elle entre dans le domaine de la philosophie du travail, une terra incognita que nos politiques feraient bien de commencer à explorer un jour.