Non, les Hommes ne sont pas des robots !

Robotisation, dématérialisation sont pour beaucoup une marque de progrès. Mais les dommages collatéraux sont nombreux aussi bien pour les salariés que pour le grand public.

La presse vient de communiquer sur les suicides ou tentatives de suicides à La Poste. C'est édifiant.

De 2007 à nos jours la liste est impressionnante, avec un maximum en 2012 puisque 30 suicides ou tentatives ont été enregistrés cette année là. La direction conteste toute responsabilité de l’organisation du travail dans son institution comme étant à l’origine de ces drames. C’est d’ailleurs l’éternel débat dans toutes les entreprises avec d’un côté des syndicats qui accusent les charges de travail ou les méthodes de management et de l’autre des directions qui rejettent ces arguments et pointent plutôt la vie privée comme cause prioritaire du stress et même des conduites à risque de leur personnel. 

D’ailleurs le magazine Capital s’en est récemment fait l’écho en écrivant à propos de la Poste : "selon les dernières données publiées par l’Observatoire national du suicide, 18,78 personnes âgées de 25 à 54 ans sur 100 000 mettent volontairement fin à leurs jours chaque année sur l’ensemble du territoire. Si les 73 000 facteurs se suicidaient dans les mêmes proportions, on déplorerait tous les ans 13,7 décès dans leurs rangs, soit 40 sur trois ans. Avec les 9 drames répertoriés par RTL La Poste fait donc quatre fois mieux que la moyenne nationale". 

Nous éviterons ici de rentrer dans ce débat quelque peu sordide pour nous intéresser plutôt aux problèmes de terrain. Qu’entend-t-on de façon constante pour expliquer ces suicides, dans les plaintes de ceux qui sont en "première ligne" et en particulier des jeunes ? 

On ne peut se contenter dans leur cas de mettre l’inexpérience comme la seule explication aux drames (ce serait un peu comme l’arbre qui cache la forêt). Que retrouve-t-on en effet comme plaintes ? Comme souvent : la surcharge de travail, la non reconnaissance  par la hiérarchie et bien sur l’impression de ne pas être rémunéré pour sa juste place ou pour l’ensemble de son travail fourni. Il faut y ajouter la mécanisation ou la robotisation que l’on retrouve aussi dans d’autres secteurs. 

Comme chez  Amazon par exemple, qui semble critiqué pour sa gouvernance et en particulier pour la  "promiscuité" parfois difficile entre l’humain et le robot. Le robot un jour va-t-il commander l’Homme et celui-ci devra-t-il lui obéir sous peine de perdre son emploi ? Allons-nous revenir en arrière ? A cette époque ou l’Homme faisait déjà partie intégrante des chaines de montages dans les usines, comme le montrait si bien à son époque Charlie Chaplin dans le film "Les temps modernes". L’Homme "robotisé" par le robot, l’Homme aux ordres du robot, l’Homme opéré par le robot, soigné par le robot. C’est ce mal-être, ce cri de désespoir que lancent ceux qui se sentent écrasés par leurs tâches, l’automatisation de leurs travaux, la répétition de leurs gestes. Ce n’est pas du passéisme  encore une fois que de dire qu’il fut un temps ou le facteur (ou la factrice) était un acteur ou une actrice de la société autant que le médecin, le curé ou l’instituteur. 

Je peux me souvenir de celui qui, dans mon enfance à la campagne, faisait sa tournée en vélo avec un gros sac de courrier sur le guidon ; trente kilomètres par jour avec des montées et des descentes. On aurait du mal à le croire aujourd’hui en faisant son parcours en voiture. Etait-ce un  "sur Homme" ? Je ne le pense pas. Il aimait simplement ce qu’il faisait. Il se savait attendu, parfois prenait un café qu’on lui offrait. Pour les habitants, comme encore dans certaines de nos  campagnes, c’était la seule visite de la journée…..

Alors bien sur à la Poste on parle de "restructuration", d’  "adaptation au monde  moderne", de "réorganisation des tournées", de "baisse du volume du courrier" tout en tenant compte du "potentiel humain".  Et pour prouver tout cela il y a les budgets prévention santé au travail et gestion des risques de quelques 30 millions d’euros par année. Alors on surélève les boites aux lettres, celles qui étaient encore murales et à quatre vingt centimètres du sol, pour lutter contre le mal au dos. C’est bien. 

Les troubles musculo–squelettiques sont, il est vrai, la hantise des médecins du travail, des directeurs des ressources humaines et des avocats. On injecte alors des centaines de milliers d’euros dans des cabinets d’audit et de coaching pour ressouder les équipes, optimiser le temps de travail, rationaliser les gestes à effectuer. On parle de gestion des conflits, du stress, de management d’équipes, de bilan de compétence, de performance individuelle  mais on oublie dans tout cela l’humain et ce qu’il porte en lui, c'est-à-dire le désire d’être utile, de servir, de laisser une marque derrière soi, et surtout le fait  "qu’on vous le dise, que vous le  sachiez". Reconnaître et être reconnu ; servir et être servi ; apporter sa pierre à l’édifice et que cette pierre soit marquée de son empreinte. Voila ce qu’aucun bureau d’étude, quelque soit son prix, ne saura apporter aujourd’hui aux hommes et aux femmes de bonne volonté.

L’autre jour un facteur proche de la retraite me confia que lors d’une discussion syndicale avec des représentants de la direction, à une question informelle sur le "pourquoi la restructuration des tournées" il s’était entendu répondre de façon tout aussi informelle, qu’on ne voulait plus qu’un facteur puisse établir des liens affectifs avec des usagers. 

Supprimer le lien qui unit les Hommes dans leur travail, c’est supprimer l’intérêt du travail. On pourra dépenser encore et encore des millions d’euros en séminaires et coaching de toutes sortes en groupe et en individuel, ils seront dépensés à pure perte si on ne comprend pas, si on ne veut pas comprendre cette base essentielle qui a fait l’Humanité. Gardons nos relations humaines et ne transformons pas l’Homme en robot  quand bien même faudra-t-il, un jour peut-être, légiférer pour protéger cela…