Start-up, voici comment négocier avec les grands groupes

C'est une tendance de fond : les grands groupes travaillent de plus en plus avec des start-up. Pour ne pas que le mastodonte écrase la souris, cette dernière doit prendre en compte certains conseils pour rester agile et protégée juridiquement.

     

L’écosystème des PME mais aussi des start-up, se nourrit des échanges avec les grands groupes. 29 grands groupes français classés parmi les 500 plus grandes entreprises du monde ont un revenu cumulé de 1.650 milliard de dollars et n’allouent aux start-up que 0,1 % de ces sommes, ce qui frustre les entrepreneurs.


Une permanence à travers les études sur le sujet montre à cet égard que les petites entreprises souffrent du manque de transparence des grands groupes quant à leurs véritables objectifs, leur mode de décision jugé opaque, leurs calendriers de décision significativement longs et le manque d’équilibre dans les rapports commerciaux.

Aussi les initiatives se multiplient pour améliorer la communication malgré l’asymétrie relationnelle entre grands groupes et PME. Citons-en trois :


- David avec Goliath, initiative créée par Bain & Company et le fonds RAISE, ils ont édité un guide méthodologique pour bien négocier son contrat avec un grand groupe

- Le Hub Bpifrance organise notamment le Hub Network qui est un espace où les jeunes et grandes entreprises peuvent se rencontrer, organiser des conférences

- Bluenove et Le Village by CA : ont créé un baromètre 2018 de la création de la valeur entre startups et grands groupes démontrant une nette amélioration des relations.


Pour négocier un accord pérenne avec un grand groupe, la donnée de base est l’absolue inégalité dans le rapport de force, aussi bien économique qu’en termes de ressources et de temps pour négocier et mettre en place le partenariat. Mais l’agilité du petit peut tirer parti des faiblesses du plus grand.


Voici nos conseils clés.


Dès lors que la PME ne peut contrôler le processus de négociation, mieux vaut concentrer son effort sur les points importants par une lettre d’intention ou un term sheet qui permettra de maintenir le cap durant le reste de la négociation, même si les interlocuteurs changent au sein du grand groupe. Au contraire, accepter de négocier sur la base d’un contrat fleuve c’est se laisser peu de chance d’avancer sur les points importants, tandis que le grand aura tout son temps pour peaufiner son contrat dans le détail, si le petit insiste pour négocier. Exemple : le term sheet visera l’objectif commun, la durée envisagée de l’accord, le caractère exclusif ou non pour chaque partie de l’engagement, l’accord économique, les termes de paiement, les principales garanties, les modalités de fin du contrat, la juridiction et le droit applicable.

Afin d’éviter de rentrer en opposition avec les standards du groupe, il faut privilégier la négociation non frontale. En effet, face à une structure importante (grands groupes, banques, etc.), demander de supprimer une clause d’un contrat pourra heurter les process et règles internes du grand groupe. Au contraire, apporter des précisions à une clause litigieuse même si cela peut revenir à la vider de son sens initial pourra être défendu comme une contre-proposition acceptable.

Si le contrat utilisé est issu de la bibliothèque de précédents du grand groupe, il pourra être dé-corrélé de la nature juridique réelle des accords entrepris, surtout s’ils sont innovants. Il pourra être tenté de renvoyer au sein du contrat cadre à des contrats types de la PME en annexe qui viendront stipuler, en langages techniques, des dispositions conformes à la réalité, parfois contraires au modèle de contrat cadre. La PME pourra également acter, par tous moyens écrits (emails entre opérationnels) au fil de l’exécution du contrat, de la véritable nature des accords entrepris.

En cas de contradiction entre les clauses des contrats cadres et les contrats d’exécution ou les écrits actant des accords intervenus, la PME pourra arguer que le contrat du groupe est un contrat d’adhésion afin de faire prévaloir les accords réellement négociés / les échanges intervenus par écrit, et bénéficier des règles d’interprétation favorables du code civil : "Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé".

Il peut même être utile d’acter qu’aucune négociation n’a pu intervenir, le cas échéant (ce qui sera d'ailleurs contraire aux règles applicables à la négociation commerciale, si elle intervient entre un fournisseur et un acheteur, telles que précisées par la loi Hamon du 17 mars 2014, selon lesquelles les conditions générales de vente du fournisseur sont le "socle unique" des négociations).


Exemple vécu avec un client prestataire d’un grand groupe, qu’il assiste pour l’édition de ses factures : un contrat type stipule que le prestataire du grand groupe doit transférer la propriété de tous les logiciels utiles à l’utilisation des "résultats" fournis – sans précision. Le prestataire fournit une agrégation de données de facturation dans différents pays, en faisant des extractions des données du client via un sous-traitant étranger, et les restitue en format excel. Le prestataire peut limiter la clause en indiquant que les « résultats » sont décrits dans les devis fournis, et ne viser dans ces devis que la restitution sous Excel de données financières, et pas leur extraction, qui fait partie de son savoir-faire (ainsi que le choix du sous-traitant et les modalités d’intervention de celui-ci). Cela sera d’autant plus facile qu’un term sheet aura été convenu qui aura décrit l’objectif poursuivi par les parties, ou que des échanges d’emails tracent le fait que le groupe a décidé de durablement sous-traiter les opérations considérées, et n’a donc pas besoin de connaître le détail des interventions du sous-traitant.

Ne pas limiter sa négociation aux points dits commerciaux ou financiers. Les garanties juridiques qui seront demandées par le grand groupe pourront ruiner l’économie du contrat et il faut l’anticiper. Exemple : la durée du service après-vente et son contenu, bien définir le niveau de couverture d’assurance, exclure les informations sur la marge les données devant être fournies en cas de sous-traitance, statuer sur la propriété des données clients ou du savoir-faire si une activité est développée en commun, partager les gains de productivité, etc…

Tenter d’obtenir à l’occasion de la négociation le maximum d’informations sur la stratégie du grand groupe. Ce type de discussion peut intervenir via la clause d’exclusivité qu’il sera bon de tenter de bilatéraliser pour amener le groupe à délimiter sa zone d’incursion dans le secteur de la PME, au moins à court terme. Exemple : à défaut d’exclusivité, tenter d’obtenir un accord de non concurrence sur une durée raisonnable ou demander a minima au groupe de ne pas solliciter vos clients, sous-traitants, ou salariés.

Si l’accord est de type capitalistique (à savoir le groupe prend, directement ou via une filiale dédiée de type fonds corporate, une participation dans le capital social de la PME), il faut tenter d’obtenir dès ce stade les principaux contours de tout accord commercial à venir, et acter des engagements de financement du grand groupe. Après la prise de participation, il sera peut-être trop tard pour une négociation équilibrée, dans le contexte où le grand groupe aura accès à la structure de coûts et la stratégie de la PME via une implication au conseil d’administration.

Dernier conseil, pour les groupes d’origine étrangère, tenter d’obtenir une clause de juridiction en France au motif que vous êtes la partie faible et qu’à défaut vous ne pourrez faire valoir vos droits, ce qui est exact. A défaut il faut s’interroger sur l’utilité du partenariat, tant que la PME n’a pas assez d’envergure pour envisager une action dans une juridiction étrangère.