Le manager en pleine crise d'identité

Régulièrement invité à intervenir auprès d’étudiants, notamment d’écoles de management, je constate avec tristesse la désaffection grandissante de ceux-ci pour les métiers du management.

Nos entreprises traversent une crise profonde de leur modèle organisationnel. Pour la plupart bâties sur le modèle pyramidal, elles se retrouvent en porte-à-faux vis-à-vis de salariés de plus en plus en demande d’autonomie et de reconnaissance ; vis-à-vis d’un environnement beaucoup plus mouvant et incertain que celui qui les a vus naître.

Il faut dire que face aux enjeux et aux responsabilités qui les attendent dans l’entreprise, ces étudiants, ces managers de demain, se sentent à raison dépourvus. Quelles méthodes, quels outils leurs sont proposés pour faire face aux challenges qui seront les leurs ? Conscients que le modèle dominant, tout aussi inopérant et obsolète qu’il soit, reste la seule référence proposée, certains en arrivent naturellement à revoir leurs aspirations.

Pourtant, plus que jamais, les entreprises ont besoin de managers. Des managers capables de faire avancer leurs équipes, d’aider à réinventer les organisations. Pour cela, il convient de redéfinir le rôle de manager, de définir ce qu’est ou devrait être le management des entreprises d’aujourd’hui. Des compétences incarnées, explicitées. Le management traverse indéniablement une crise d’identité. Les perspectives n’en sont que plus excitantes.

Les sources du malaise

Le constat est désormais largement partagé. Pour durer, les organisations doivent changer et donner une place à tous, à la hauteur des compétences, des talents et des aspirations de chacun. Sans cela, point d’engagement, pas de sens à l’action et une entreprise qui se prépare des temps difficiles. Or, rien de tout cela ne peut se faire sans managers, sans un management réinventé et moteur du changement.

C’est pourquoi il faut sortir les managers de l’impasse dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui. Comme l’explique Brigitte Nivet, professeure à l’ESC Clermont, le malaise découle des modèles dans lesquels nos managers ont été enfermés. Dès l’école, puis lors de leurs formations, leur action s’inscrit invariablement autour des trois mêmes polarités : trois profils de managers qui existent et coexistent au sein de nos entreprises. Trois modèles dont on ne peut sortir. Trois modèles dont on ne peut s’émanciper. Il y a d’abord le manager gestionnaire et scrupuleux qui incarne un contrôle social fort. Bien qu’en crise, il n’en reste pas moins bien présent dans nombre d’entreprises.

Vient ensuite celui que l’on pourrait appeler le leader, cet homme providentiel capable d’inspirer et de guider, cette personnalité exceptionnelle dotée d’une véritable vision pour l’entreprise et capable de la mener au succès. Celui qui se lève et que tout le monde suit ! Tout repose sur lui mais, comble du paradoxe pour la transmission, rien dans ses qualités, ses capacités n’est transmissible à autrui. Comme le dit la chanson, "tous derrière et lui devant" mais avec tous les risques que cela comprend.

Enfin, dernier profil de manager, très présent dans ce que certains appellent les organisations responsabilisantes (entreprises libérées, agiles), le manager coach ou servant leader comme certains aiment à le désigner. Bien conscient que sa responsabilité première est d’apporter son aide à ses équipes pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs, de s’investir et de mettre du sens dans l’entreprise, il se met à leur service. De l’écoute, du conseil, de l’aide à la prise de décision… Pourtant, confronté au paradoxe de devoir toujours évoluer sur des critères normatifs inchangés, aussi sincère et convaincu qu’il soit, son approche ne peut être au final qu’une simple posture.

Vers une nouvelle forme de management

Vous l’avez sans doute constaté. L’essentiel des managers est aujourd’hui constitué d’anciens professionnels, experts qui se sont vus proposer un poste de manager du fait de leurs talents et de leurs résultats. Mais combien ont été formés ? Combien sont capables de dire quelles fonctions managériales sont attendues d’eux de façon explicite, hormis l’atteinte d’objectifs quantitatifs et la construction d’une équipe soudée et motivée ? Peu… Ce qui fait dire à certains comme Nicolas Bouzou que, dans beaucoup d’entreprises, il y a trop de managers.

Manager serait donc devenu plus un statut qu’une fonction ? De nombreuses entreprises devraient ainsi pouvoir se passer de beaucoup d’entre eux ? Si ce constat met le doigt sur un réel problème, il est pourtant erroné. En matière de management, les entreprises sont, au contraire, sous-équipées. Dans la plupart des entreprises - et c’est d’autant plus vrai pour celles qui choisissent d’allers vers une organisation responsabilisante - on peut même affirmer qu’il n’y a pas assez de management. Pas ce management avec lequel il faut rompre mais un management qui permet aux entreprises de s’appuyer sur une organisation réinventée et évolutive, des équipes autonomes et responsables ; des collaborateurs capables de décider à la lumière de règles explicites et partagées. Un management qui s’appuie sur des managers d’un nouveau genre ; mus par la raison d’être de l’entreprise, débarrassés des jeux de pouvoir qui venaient jusque-là corrompre leur action.  Des managers au service de la raison d’être de l’entreprise, visant l’excellence managériale pour prétendre, à terme, au self-management pour la plupart. En somme, la fin des chefs, pas celle des managers.

Quel que soit le type d’organisation que vous choisissiez, une nouvelle forme de management est donc requise, laquelle doit pouvoir transcender les trois polarités : contrôle, leadership et coaching. Elle sera explicite, distribuée et renforcée par des processus collectifs, pour des fonctions managériales capables de structurer le travail et d’accompagner les personnes vers leurs zones de talents et davantage d’autonomie ; de définir des priorités et de mesurer ; de porter la raison d’être et de contrôler l’organisation.