Making good while making money à la française : mode d’emploi

L’introduction de la notion inédite de "raison d’être" d’une société dans la loi Pacte adoptée cette année est l’une des mesures phares du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, porté par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire.

La loi PACTE, qui intervient dans la lignée de la loi Sapin II, confirme que l’éthique est vouée à occuper une place de plus en plus importante dans le droit des sociétés. Les enjeux sociaux et environnementaux, jusqu’alors ignorées par le régime légal des sociétés, sont désormais intégrées à notre droit. Plus largement, la loi Pacte s’inscrit dans un mouvement de responsabilisation collective tout en repensant la place de l’entreprise. Désormais, les sociétés peuvent se doter d’une "raison d’être".

Qu’est-ce que la "raison d’être" d’une société ? Cette nouveauté peut sembler déconcertante puisque, par nature, la raison d‘être d’une société est "de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter". Toutefois, la raison d’être dont il est question dans la loi Pacte vient  s’ajouter à l’objet social de la société afin de l’encadrer. Ainsi, l’article 1835 du Code civil, relatif au contenu des statuts, dispose que ceux-ci doivent notamment préciser les apports de chaque associé, la forme et l’objet social. Désormais, dès lors que la société est dotée d’une raison d’être, les statuts doivent en préciser la teneur. L’inscription de la raison d’être dans les statuts permet de formaliser ce que la société a défini comme indispensable dans la poursuite de son activité et de ses projets. A ce titre, la raison d’être a été pensée afin de guider la société dans la manière de mener ses actions, plutôt que pour en justifier l’existence. Sorte de code de conduite, la raison d’être sera insufflée à tous les niveaux de la société, et permettra de déterminer la manière dont les actions doivent être menées, aussi bien en interne qu’en externe, dans ses relations avec les prestataires, les fournisseurs ou les clients.

 Pourquoi inscrire une "raison d’être" à ses statuts ? La loi Pacte replace les entreprises au cœur de la responsabilité collective. Tous les yeux sont désormais rivés sur elles. La raison d’être est l’opportunité pour ces acteurs de l’économie de réparer ce que la société, dans sa globalité, a abimé. En effet, nombreux sont ceux qui estiment que les sociétés ont un rôle majeur à jouer en lien avec les problématiques environnementales et sociales telles que le réchauffement climatique, la nutrition, les inégalités ou la parité. Bien que l’inscription d’une raison d’être n’est pour le moment qu’une faculté, près de 80% des français estime que les entreprises peuvent, et même doivent agir de manière proactive, sans attendre l’action du gouvernement. La raison d’être constitue donc l’occasion rêvée pour répondre aux attentes des français, et de s’inscrire parmi les précurseurs de l’évolution du modèle de l’entreprise française, plus juste, plus équitable et plus humaine. Les sociétés dotées d’une raison d’être pourront par ailleurs déclarer publiquement leur attachement aux principes auxquelles elles aspirent. A l’ère du "consommer moins pour consommer mieux", la raison d’être est l’opportunité d’affirmer son unicité et de ressortir vainqueur de la mêlée concurrentielle. Jamais la poursuite d’intérêts généraux n’aura été un outil marketing aussi puissant. La raison d’être est également bénéfique en interne. D’une part, le management et la productivité d’une équipe agissant de concert au nom des mêmes principes éthiques ne pourront qu’être renforcés. D’autre part, la conscience "employeur responsable" attirera davantage d’employés. Parallèlement, une société dotée d’une raison d’être "éthique" sera d’autant plus attractive pour les investisseurs, et un outil positif pour remporter des appels d’offres...

Qu’est-ce qu’implique l’inscription d’une raison d’être dans les statuts ? Dans les faits, doter sa société d’une raison d’être implique d’abord d’en dégager les principes. En effet, la raison d’être est vouée à infuser la société à tous les niveaux. Or, pour être efficace, elle doit être clairement définie. Les acteurs de la société, que ce soient les actionnaires, dirigeants ou salariés, tous doivent pouvoir en connaître et comprendre la teneur exacte afin de pouvoir s’y conformer. De plus, un acte ou une délibération qui méconnait la raison d’être de la société risquerait d’être annulé. Les articles 1844-10 du Code civil et L.235-1 du Code de commerce disposent chacun que "La nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative". Concernant les sociétés anonymes, les articles L.225-35 et L.225-64 du Code de commerce disposent d’ailleurs que les décisions de gestion doivent être prises en considération de la raison d’être. Ainsi, un acte ou une délibération qui méconnaitrait la raison d’être risquerait d’être annulé. A ce titre, la loi PACTE va donc plus loin que la loi Sapin II, qui ne prévoit pas de conséquence légale au non-respect des dispositions relatives aux lanceurs d’alerte.

En pratique, comment s’assurer que l’inscription d’une "raison d’être" dans les statuts sera efficace ? L’inscription de la raison d’être est une chose, s’assurer qu’elle est respectée et qu’elle produit ses effets en est une autre. Pour que son inscription soit efficace, il convient que celle-ci soit connue au sein de l’entreprise.

En interne, les salariés pourront être impliqués dans le processus de "responsabilisation" dès son origine. Ainsi des consultations pourront être menées afin d’interroger les salariés sur leur compréhension de la raison d’être de la société. Les principes pourront être dégagés sur la base des résultats de consultation. Inclure tous les acteurs de la société dans le processus de définition de la raison d’être permettra une plus grande implication, et donc une meilleure application.

Une fois la raison d’être identifiée, il conviendra d’en informer toutes les parties prenantes au sein de la société. Une charte des valeurs et un code de conduite pourraient constituer un support solide pour informer salariés, dirigeants et actionnaires sur "la raison d’être" de la société. De tels supports serviraient de repère quant au comportement à adopter à tout moment dans le cadre de l’activité au sein de l’entreprise. Des formations aux principes de la société pourraient également être envisagées. Il est par ailleurs possible d’aller au-delà du simple "respect" de la raison d’être en interne, en agissant conformément à ses principes en dehors du cadre strict l’entreprise.

En effet, la responsabilisation sociale peut passer par des campagnes de communication, au travers desquelles la société ou sa marque affirme ses engagements (sociaux ou environnementaux par exemple). La société pourra également prendre l’initiative de mener des "combats" de société, à l’image par exemple de Starbucks, ayant investi près de 250 millions de dollars pour financer l’éducation universitaire de ses employés.

Finalement, qu’il s’agisse de l’environnement, des conditions de travail, de l’égalité homme-femme ou du harcèlement, la prise de conscience quant à la responsabilité collective est sans commune mesure. Nous avons tous un rôle à jouer dans la sauvegarde de ces intérêts généraux et la loi PACTE est venue préciser celui des sociétés.

Avec la participation de Léah Karcenty