Formation et IA : l'avenir appartient au duo, pas au duel

Skill & You

À l'heure où le déploiement massif des IA interroge profondément le monde de l'éducation et de la formation, Béchir Tourki, CTO de Skill & You, plaide pour une IA qui soit un allié pédagogique.

Depuis plus d’un siècle, chaque innovation technologique a été présentée comme une révolution éducative : la radio devait rendre l’école accessible partout ; la télévision, dans les années 1960, promettait d’universaliser la pédagogie par l’image ; Internet a ouvert l’accès à un savoir illimité.

Pourtant, malgré ces innovations, ni l’école ni la formation n’ont été bouleversées par la technologie seule. Ce décalage entre promesse et réalité ne vient ni d’une résistance des enseignants, ni d’une inertie du secteur, mais d’une évidence trop souvent oubliée. Apprendre n’est pas un simple transfert de savoirs, mais un processus humain, fait de dialogue, de motivation et de confiance.

Une “disruption” de l’éducation et de la formation ?

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle ravive ces mêmes attentes de rupture. Elle cristallise à la fois d’immenses espoirs — personnalisation fine des parcours, accompagnement partout et tout le temps — et des inquiétudes : obsolescence du rôle des formateurs, déshumanisation des relations d’apprentissage, automatisation à outrance. 

Pourtant, le véritable enjeu ne réside pas dans la technologie en elle-même, mais dans la manière dont elle peut renforcer l’engagement et la personnalisation. L’IA représente une opportunité considérable pour libérer du temps au profit des interactions à haute valeur ajoutée. Corriger automatiquement des quiz, générer des exercices adaptés à chaque élève, proposer une aide immédiate sur des points de blocage : autant de tâches que les algorithmes peuvent déjà prendre en charge. Ce temps gagné peut être réinvesti là où l’humain est irremplaçable : accompagner, encourager, donner des conseils. 

Ne soyons pas naïfs pour autant. Les IA actuelles, malgré leurs performances impressionnantes, connaissent des limites techniques bien réelles : erreurs de raisonnement, imprécisions, difficulté à gérer des logiques complexes en mathématiques, ou encore tendance aux « hallucinations ». Croire que ces outils pourraient remplacer une relation éducative vivante serait une impasse. Ce qui fait réussir un apprenant, ce n’est pas seulement la qualité des ressources, mais le fait de se sentir soutenu et reconnu dans son parcours.

L’ère du co-coach pédagogique

L’IA doit être envisagée comme un levier pédagogique. Les acteurs de la formation doivent la déployer comme un co-coach pédagogique, afin qu’elle prenne en charge ce qui peut être automatisé sans perte de sens, tout en consolidant le lien humain. Des chatbots clarifient une notion ou trouvent rapidement un contenu ; des systèmes de feedback individualisés encouragent l’apprenant à progresser étape par étape; des comptes-rendus automatisés conservent la trace des conseils prodigués entre un élève et son formateur. Mais derrière chaque outil, la vraie différence, c’est la présence d’un formateur, d’un coach ou d’une communauté de pairs. Sans eux, sans suivi, motivation ni écoute, l’IA n’est qu’un outil de plus.

C’est précisément dans ce couple « IA + humain » que réside la promesse des évolutions actuelles. La technique fluidifie, mais elle ne motive pas. Elle facilite, mais elle ne transmet pas la passion d’apprendre. L’expérience et les échanges entre pairs restent les moments marquants qui génèrent les émotions nécessaires pour intégrer un savoir et progresser dans son parcours. Le coaching humain et la socialisation constituent les deux piliers majeurs de la réussite. La dynamique de groupe, l’encouragement d’un mentor, le sentiment d’appartenance à une communauté : autant d’éléments qu’un algorithme aura du mal à imiter.

Aux formateurs qui craignent pour leur métier, il faut adresser un message rassurant : l’IA ne remplace pas les formateurs, elle redéfinit leur rôle. Moins de tâches répétitives, plus de valeur ajoutée pédagogique. Moins de temps consacré à la correction mécanique, plus de temps pour concevoir des scénarios innovants, adapter des parcours, animer des échanges riches et accompagner les apprenants dans leurs doutes comme dans leurs réussites. Demain, le formateur sera davantage mentor, guide, designer d’expériences d’apprentissage.

Nous entrons dans l'ère de l’adaptive learning. Grâce à l’IA, chaque apprenant bénéficie d’un parcours ajusté à son rythme, à ses acquis, à son style d’apprentissage. Mais ce progrès n’a de sens que s’il permet de rapprocher apprenants et enseignants. 

La responsabilité des organismes de formation est claire : ne jamais perdre de vue que l’éducation repose avant tout sur des hommes et des femmes qui apprennent ensemble. L’IA agit comme un partenaire qui simplifie le quotidien, accélère certains processus et redonne du temps là où il compte le plus : dans la connexion humaine.

Former avec l’IA n’est donc pas une révolution technologique froide, mais une transformation pédagogique au service de l’accessibilité, de la personnalisation et, surtout, du lien. Car au fond, apprendre, c’est toujours avancer avec les autres.