Condamnation d’IBM à 11 millions d’euros pour manœuvres dolosives infirmée en appel...
La condamnation d’IBM à 11 millions d’euros pour manœuvres dolosives infirmée en appel, ou les vertus de la preuve par le prestataire de l’exécution de son devoir de conseil...
Dans un arrêt du 25 novembre 2011, la Cour d’appel de Poitiers infirme un jugement du Tribunal de grande instance de Niort qui avait condamné pour dol IBM France à verser près de 11 millions d’euros à la MAIF dans le cadre d’un contrat d’intégration comportant la refonte du système informatique de gestion de la relation clients (CRM) et le lancement d’un projet de gestion de la relation sociétaires (GRS) (TGI Niort, 14 décembre 2009).
Cet arrêt ne manquera pas d’attirer l’attention du monde informatique,
tant du côté des clients que des prestataires,
sur l‘importance et même la
nécessité de conserver, de part et d’autre, toutes les pièces et correspondances
afférentes aux accords/marchés qu’ils peuvent conclure, puisque c’est à
l’issue d’un examen minutieux de l’ensemble de ces documents (versions
intermédiaires de plans projets, protocoles et avenants, rapports de
consultants, « Draft scenarii
alternatifs projets », courriels internes et externes, « Executive
briefs » etc.) que le Cour d’appel a finalement décidé en l’espèce « d’écarter
le moyen invoqué par la Maif tiré d’une réticence dolosive d’IBM, dès lors
qu’il n’est pas établi qu’IBM a dissimulé de surcroit volontairement à la Maif
des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget du
projet ».
Cette décision a été favorablement
accueillie par les prestataires de services à la suite du jugement de première
instance, qui rappelait à juste titre que le manquement à l’obligation de
conseil du prestataire peut vicier le consentement du client et justifier
l’annulation de son contrat informatique (voir également Cass. Civ. 1re,
3 avril 2002, n° 00-12.508 pour une illustration en matière d’erreur sur les
qualités substantielles de la chose). L’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers
tempère la rigueur de cette première solution, en considération notamment de la
compétence du client, critère à même d’influer sur l’intensité du devoir de
conseil du prestataire informatique.
La société IBM France avait en
effet été retenue par la MAIF à l’issue d’un appel d’offres et s’était vue
confier par contrat la maitrise d’œuvre du projet. Elle s’était engagée à
fournir, sur la base d’une obligation de résultat, une solution intégrée
conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu avec son client, en
respectant un calendrier impératif pour un prix ferme et forfaitaire de près de
7,3 millions d’euros. Très vite cependant, la MAIF a déploré des retards dans
le projet. IBM France lui a alors proposé la signature d’avenants pour un
recadrage financier et opérationnel du projet.
Le prestataire informatique a ainsi
obtenu un report de plus de douze mois de la livraison du pilote et une
majoration de 3,5 millions d’euros du montant forfaitaire initial du marché.
Puis les parties ont constaté lors de la tenue d’un comité de direction que,
sauf à geler pendant onze mois les projets adhérents de la MAIF, le projet GRS
n’était pas techniquement réalisable dans les conditions initialement
envisagées. IBM France a alors présenté une proposition de refonte du projet qui
a reçu l’accord des parties. Des difficultés ont toutefois conduit cette
société à devoir majorer à nouveau le montant du marché jusqu’à atteindre 15
millions d’euros, somme jugée exorbitante par la MAIF au regard du forfait
initial de près de 7,3 millions d’euros. Le contrat a en conséquence été rompu
par le client avant qu’IBM ne l’assigne en règlement de ses factures.
La MAIF a alors formé une demande
reconventionnelle en dommages et intérêts pour un montant avoisinant les 20
millions d’euros et à laquelle le Tribunal a partiellement fait droit. Pour les
juges niortais, IBM France a commis un dol justifiant l’annulation du contrat en
présentant à la MAIF « un projet affecté
d’une “lacune majeure” pour, en violation “aux normes et aux règles de l’art”,
contenir un planning et un prix forfaitaire arrêtés avant même le stade de la
prise en compte de la conception détaillée, prenant de ce fait “un risque fort
pour répondre à la demande de la MAIF”, c’est-à-dire obtenir le marché ».
La responsabilité d’IBM France avait ainsi été engagée pour avoir gardé le
silence sur le risque « fort et
élevé » encouru quant à la satisfaction de conditions déterminantes du
contrat (forfait, planning), risque qu’IBM ne pouvait ignorer en tant que
professionnel hautement qualifié, et pour n’avoir pas communiqué à son client tous
les éléments à même de l’informer de la réalité du périmètre du projet, de son
coût et de son calendrier.
Sur appel d’IBM France, la décision
est infirmée par la Cour d’appel de Poitiers au motif « qu’il n’est pas
établi qu’IBM a dissimulé volontairement à la Maif des informations majeures
relatives au calendrier, au périmètre, au budget du projet » et qu’«
aucun dol par réticence n’est venu vicier le contrat [dès lors] que la
Maif, qui ne conteste pas disposer d’une division informatique très étoffée,
n’ignorait pas compte tenu de l’échec du projet préalablement confié à la
société Siebel en 2002 les difficultés et les risques associés au projet ».
En
particulier, la Cour relève « que l’échec du projet n’était pas lié au
défaut d’obligation de conseil » d’IBM France « puisque toutes
les applications techniques ont été discutées (les différents scénarios, les
projets adhérents et le batch) et ce dès qu’après un démarrage difficile il est
apparu […] des symptômes annonciateurs du dérapage du calendrier ».
Elle en conclut que c’est « en connaissance de cause que la Maif (qui
dispose d’une direction informatique étoffée) et ne peut donc être qualifiée de
profane dans le domaine de l’informatique » a consenti au recadrage
financier et opérationnel du projet.
La
preuve par le prestataire du consentement éclairé de son client s’oppose donc à
la remise en cause de la force obligatoire du contrat qui les unit, prenant le
contrepied d’une certaine tendance récente au titre de laquelle la force
obligatoire du contrat rencontre des limites même se le contrat a été
clairement rédigé et longuement négocié entre les parties.