Le placement de produit à la télévision : la fin du tabou

Le 16 février 2010, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a autorisé le placement de produuit, sous réserve de respecter certaines conditions.

Par sa délibération[1] en date du 16 février 2010, le CSA a pris acte de la directive 2007/65/CE et particulièrement de son article 3 octies. Le Conseil lève ainsi le voile sur un tabou du PAF : le placement de produit.  L'application de cette délibération est limitée aux chaines de télévision.
Le CSA définit comme placement de produit, « le placement effectué à titre payant, c'est-à-dire la fourniture, formalisée par un contrat, de biens ou de services dont la marque est identifiable au sein du programme. »

Le placement de produit, nécessite donc :
1- un contrat régissant les relations économiques entre l'annonceur, le producteur du programme et l'éditeur du service de télévision
2- l'apparition dans l'un des programmes de l'éditeur du service de télévision, d'une marque clairement identifiable par le consommateur ; dont la contrepartie est
3- la fourniture de biens ou services par l'annonceur.

L'idée de cette délibération n'est pas simplement d'autoriser une pratique déjà établie, mais bien d'y apposer un corpus de règles. Le Syrup de Maxx Barry n'est donc pas encore pour demain.
Tout d'abord, tous les programmes ne pourront contenir de placement. Seules sont concernées les oeuvres cinématographiques, les fictions audiovisuelles et les vidéomusiques, sauf lorsqu'elles sont destinées aux enfants.
Il s'agit donc, de manière restrictive, des oeuvres ayant été exploitées en salle, des téléfilms et des clips musicaux. Rien de plus. Les émissions de divertissements ainsi que tout autre programme étant exclus. Voilà qui limite le champ d'application de la délibération, puisque la part des films et fictions n'a cessé de diminuer dans le PAF, tout particulièrement en prime time.

Ceci étant établi, les placements de produits répondent à des règles de déontologie ; règles applicables à toutes les communications commerciales audiovisuelles[5]. La première de ces règles - et probablement la plus importante - est que le placement soit fait au vu et au su du spectateur. Pas question donc de camoufler ou de subliminer. Ce principe issu de la loi de 1986 sur l'audiovisuel, du décret de 1992 et du Code de la consommation ne saurait connaitre la moindre entorse.

Toutefois le Conseil ne s'en tient pas au texte de la directive, et applique des règles plus restrictives[6]. Ainsi, conformément au décret de 1992 modifié en 2003, les médicaments de toutes sortes, les boissons comportant un degré d'alcoolémie supérieure à 1,2 ou encore les préparations pour nourrissons ne pourront faire l'objet d'un quelconque placement[7].
Le conseil survole du bout des lèvres, les principales difficultés du placement de produit : « les conditions de forme de placement du produit »[8]. Aussi, un lourd voile de subjectivité plane quand à l'interprétation desdites conditions.
- Le placement ne devra pas porter atteinte à l'indépendance éditoriale de l'éditeur. Difficile pour l'heure d'imaginer comment cette indépendance pourrait être garantie (d'autant que certains entendent bien vendre des minutes de cerveaux libres à Coca-Cola[9]).
- Il ne devra pas plus inciter directement à l'achat ou à la location des produits ou services d'un tiers. Quelle est la distinction entre l'incitation directe et indirecte ? L'incitation directe serait-elle la citation du produit ?
- Ce qui amène vers le dernier point délicat : le produit, le service ou la marque concernés ne devra pas être mis en avant de manière injustifiée. Quelles mises en avant pourront donc être justifiables ? La présence du produit devra-t-elle être elle même justifiée ou seulement la façon dont il est présenté au spectateur ?

Enfin, de nombreuses questions restent en suspend.
Pourra-t-on faire, en respectant les conditions ci-avant énoncées, de la publicité comparative ? Cette hypothèse est peu probable, car établir une comparaison entre deux produit serait une incitation directe à l'achat. Ce produit là est meilleurs que celui-ci : achetez le.
L'incitation directe se doublerai d'une mise en avant de manière injustifiée. Comment justifier l'opposition entre deux produits dans une oeuvre de fiction ?
Pourra-t-on poursuivre pour publicité mensongère des opérations de placement de produit ? La possibilité de poursuites sur le fondement de la publicité mensongère semble en totale opposition à l'indépendance éditoriale de l'éditeur. En effet, comment conjuguer le concept de fiction avec celui de mensonge ? La fiction n'est-elle pas un mensonge en elle-même ?
Afin d'éluder ces questions, écartons le terme de « publicité » de la conception même du placement de produit. En effet, le fondement du placement de produit est de ne pouvoir « comporter des références promotionnelles spécifiques à ces produites, services ou marque ». Or le principe même de la publicité est d'identifier clairement un produit dans le but que le récepteur de la publicité deviennent le consommateur dudit produit.
En « clair », il faut que le produit soit visible par le spectateur, que sa présence à l'écran soit justifiée, et qu'elle n'incite pas directement à l'achat.
D'ici deux ans le conseil fera le bilan de l'application de sa délibération. Peut-être que ces questions trouveront alors leurs réponses.  D'ici là, le placement de produit fait son entrée par la grande porte. Et les programmes contenant un placement devront être signalés au téléspectateur par un pictogramme. « Ce soir ne ratez pas notre feuilleton télévisé avec placement de produit ».


[1] Délibération n° 2010-4 du 16 février 2010 relative au placement de produit dans les programmes des services de télévision
[2] Paysage Audiovisuel
[3] Barry M., Syrup, Penguin Books, juillet 2000 ; le livre dépeint comment une célèbre compagnie de Soda finance un long métrage pour promouvoir son nouveau produit.
[4] Et / ou par extension, disposant d'un visa d'exploitation
[5] Directive 2007/65/CE, article 3 sexies
[6] Délibération n° 2010-4 du 16 février 2010 relative au placement de produit dans les programmes des services de télévision, V.
[7] Il ne s'agira pas de confondre placement de produits et accessoires
[8]Délibération n° 2010-4 du 16 février 2010 relative au placement de produit dans les programmes des services de télévision, VI.
[9] « Pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. » Patrick Lelay, propos recueillis in Les Dirigeants français et le changement, juillet 2004