Contrefaçon de sculptures : les magistrats interprètent l'art

En 2011, l'artiste auteur du "Lost Dog" a vu sur Internet qu'une sculpture représentant également un bull-terrier assis, décliné en différents coloris et motifs, était vendu sous le nom de "Jack le chien". L'artiste a alors assigné ses vendeurs pour contrefaçon et concurrence déloyale.

Un arrêt rendu le 29 novembre 2013 par la Cour d'appel de Paris a été rendue dans une affaire rare de sculptures canines. Un article avait créé en 1991 un modèle de sculpture intitulé "Bob le chien" ou "Lost Dog", représentant un bull-terrier assis, réalisé après cette date dans différentes matières et sous différents formats. Depuis 2008, une version grand format et jaune est présentée à Saint-Tropez et le chien a fait l'objet de plusieurs expositions dans le monde entier. 
La preuve de l'originalité du modèle, condition indispensable pour obtenir une condamnation sur le fondement du droit d'auteur, est parfois délicate à rapporter. En outre, il est parfois difficile de convaincre le juge de l'originalité d'une création, même si elle est indépendante de toute notion de beauté ou de mérite. Ainsi, en première instance, l'artiste avait été débouté de toutes ses demandes, le Tribunal ayant estimé que "Bob le chien" n'était pas suffisamment original pour mériter la protection du droit d'auteur.
En appel, cette décision très sévère a été intégralement réformée. La Cour a considéré que l'œuvre était protégeable au titre du droit d'auteur, dès lors que l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la protection bénéficie aux œuvres de l'esprit "quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination".
Et la Cour de retranscrire les éléments qui, selon l'auteur, fondaient l'originalité du modèle, notamment la posture du chien, la forme de ses pattes, la position de la queue, etc. La Cour a considéré que "la combinaison inédite telle que revendiquée de ce modèle de sculpture lui confère, par la position, l'expression, les volumes adoptés, la représentation de sa morphologie, une physionomie particulière d'où se dégage une impression esthétique singulière qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur."
La solution, quoi que conforme à une jurisprudence établie, est intéressante car susceptible de s'appliquer à toutes les œuvres du mouvement "pop art", parfois dénigré du fait de l'utilisation d'éléments de la culture populaire, produits en série, à rebours de la noblesse des œuvres d'art dites "classiques".
En l'espèce, la Cour a considéré que les nombreuses similitudes entre "Bob le chien" et "Jack le chien" l'emportaient sur les quelques différences de détail, de sorte que l'impression visuelle d'ensemble était identique et que "Jack" constituait donc l'imitation contrefaisante de "Bob". Conséquence directe, la Cour a annulé un modèle déposé par l'auteur de "Jack le chien" à l'INPI. En effet, un dessin ou un modèle déposé est nul s'il porte atteinte à des droits d'auteur antérieurs.
Par ailleurs, l'auteur de "Jack le chien" a été condamné pour concurrence déloyale, à la fois du fait de l'utilisation d'un nom proche du nom de l'œuvre originale ("Bob" vs. "Jack") et de la reprise de la démarche artistique entamée depuis plus de vingt ans par le sculpteur de l'œuvre première.
En conclusion, s'il est évident que la liberté artistique connaît pour limite les droits des tiers, il résulte de cette décision que la reprise d'un élément de la vie courante (un chien) représenté selon certains canons du "pop art" peut assez rapidement devenir contrefaisante, alors même que le "pop art" se matérialise souvent par l'utilisation d'objets tirés du quotidien et extraits de leur contexte habituel, sans mise en forme particulière.
L'art tombe parfois sur un os !