La convention collective de la production cinématographique

Les relations de travail au sein de la production cinématographique étaient longtemps régies par la Convention collective nationale des techniciens de la production cinématographique du 30 avril 1950. Mais le 23 mars 2007, la Chambre syndicale des producteurs de films a dénoncé cette convention, et prononçait sa dissolution.

Dès l’année 2006, l’ensemble de la profession avait entamé des négociations. Faute d’accord, la profession restait régie par la Convention d’origine (article 3). En réalité, cette dernière n’ayant pas été étendue (sauf pour ce qui est du barème des salaires) et n’étant signée que par la Chambre syndicale des producteurs de films, aujourd’hui dissoute, elle ne trouvait pas à s’appliquer à l’heure actuelle, mais restait néanmoins une référence. Suite à de nombreux mois de blocages, le 19 janvier 2012, un accord est ratifié par la seule Association des Producteurs Indépendants (API), regroupant les producteurs Pathé, Gaumont, UGC et MK2, et certains syndicats de salariés (Spiac-CGT et SNTPCT). Cet accord donne lieu à la Convention collective de la production cinématographique, déjà appliquée par l’API, seul syndicat de producteurs signataire. Pour que celle-ci soit étendue à la totalité de la profession, y compris aux syndicats non signataires, le ministre du travail doit déclarer son extension par décret. Cependant, cinq syndicats de producteurs, SPI, APC, APFP, AFPF et UPF, contestent cette Convention. Malgré tout, le 20 décembre 2012, lors du Conseil national des professions du spectacle, la ministre de la culture Aurélie Filippetti annonçait qu’elle ne s’opposerait pas à l’extension de la nouvelle Convention collective de l’API par le ministre du travail, Michel Sapin.
SPI et APC proposent un texte alternatif le 22 janvier 2013, qui n’a pour l’heure aucune valeur, car n’ayant pas été écrit au sein d’une commission mixte paritaire par au moins deux syndicats de producteurs nationaux et deux syndicats de salariés représentatifs au niveau national. Cependant, la demande d’extension a été rejetée lors de la sous-commission de convention collective. Michel Sapin a demandé des informations complémentaires d’ici la mi-avril 2013 sur les conséquences que pourraient avoir l’extension de la Convention collective du 19 janvier 2012. Au grand étonnement des syndicats, le ministre du travail et la ministre de la culture ont déclaré, Le 18 mars 2013, dans une lettre co-signée, qu’ils prévoyaient l’extension du texte de l’API qui s’appliquera à l’ensemble de la profession dès le 1er juillet 2013.Aujourd'hui, les membres des syndicats non signataires (qui représentent 95% de la production) ne siègent plus dans les différentes commissions (CNC, Régions, ...) pour faire blocage à cette extension. Dans ce contexte, regardons de plus près, quelles sont les modifications générées par le texte de l'API et celles proposées par le texte de l'APC et du SPI.

1. Contenu de la convention collective de la production cinématographique (API)

1.1 Dispositions nouvelles de la convention collective de production cinématographique

La convention signée par l’API prévoit une structure en quatre titres, illustrant la double activité des entreprises de production cinématographique, à savoir la production et la réalisation de films et l’activité administrative et commerciale permanente :
1.Dispositions communes,
2. Dispositions relatives aux salariés de l’équipe technique contribuant à la réalisation des films,
3. Dispositions relatives aux salariés artistes-interprètes et acteurs de complément contribuant à la réalisation des films,
4. Dispositions relatives aux salariés exerçant les fonctions attachées à l’activité permanente des entreprises de productions
Ces quatre titres reprennent pour une large part les dispositions de la Convention de 1950, sans manquer d’apporter des nouveautés.
Ainsi, est prévue:
- une nouvelle grille des salaires minimums, envisagés à la hausse.
- la définition prochaine du statut de réalisateur, notamment ses fonctions et son salaire minimum, qui n’étaient pas prévus par la Convention de 1950.
- l’application des 35 heures au monde de la production cinématographique en faisant appel à la notion d’équivalence.
- une dérogation à ses dispositions permettant aux films dits « fragiles » de ne pas être soumis à la nouvelle grille de salaires minimums : l’intéressement aux recettes, qui permet de différer une partie de la rémunération des salariés
- l’adjonction prochaine d’une grille des salaires relatifs aux courts métrages.

 Cependant, restent à prévoir la situation des artistes-interprètes et acteurs de complément ainsi que celle des salariés exerçant les fonctions attachées à l’activité permanente des entreprises de production.

1.2 Principales critiques faites à la nouvelle convention collective

 1.2.1 Critiques énoncées par les syndicats de salariésCertains syndicats de salariés, notamment l’Association des décorateurs, ont émis des critiques à l’égard de cette convention, notamment s’agissant de l’insertion dans la branche du décor de la profession d’ « ensemblier décorateur cinéma », moins rémunéré que « chef décorateur », et qu’ils considèrent comme une menace pour leur profession et leur rémunération.
Les syndicats de salariés non signataires sont également hostiles à l’intéressement aux recettes : ils se fondent sur une décision du Conseil constitutionnel  du 16 septembre 2009 selon laquelle la rémunération aléatoire est prohibée.

1.2.2 Critiques énoncées par les syndicats de producteurs non signataires

Les principales critiques des syndicats de producteurs vont à l’augmentation des salaires minimums. Les productions bénéficiant d’un budget conséquent pourront faire face à cet accroissement des coûts de production, mais les productions de petit ou moyen budgets risquent de devoir diminuer le temps de travail, supprimer certains postes, voire délocaliser la production. Les syndicats de producteurs non signataires reprochent à l’API de sacrifier ces petits budgets sur l’autel des grosses productions. Ils souhaitent notamment créer une convention à deux voire trois étages, prévoyant des solutions adaptées aux différents budgets.
D’autres critiques touchent l’intéressement aux recettes : s’ils ne sont pas radicalement opposés à une telle dérogation, ces syndicats souhaitent néanmoins une plus grande transparence quant à son application.

 2. Comparaison de la convention collective de la production cinématographique (API /19 janvier 2012) et de la convention collective nationale de production cinématographique (APC et SPI / 23 janvier 2013).


 2.1 Différences entre les deux conventions collectivesTout d’abord les deux structures diffèrent en ce que celle de la Convention collective nationale de production cinématographique ne prévoit que trois titres et omet la situation des salariés dits « permanents ».1. Dispositions communes;
2. Salariés de l’équipe technique;
3. Salariés de l’équipe artistique (artistes interprètes, acteurs de compléments etc.). La partie consacrée aux syndicats professionnels et à leur représentation est plus étendue dans la Convention du SPI et de l'APC.Cependant, les différences les plus perceptibles entre les deux conventions sont celles tenant à la rémunération des salariés et à la durée de travail.Ainsi, les seuils de la majoration des heures supplémentaires des salariés de l’équipe technique prévus par la Convention du SPI et de l'APC diffèrent de ceux prévus par l’API. Dans la Convention collective nationale, on part également d’une base de 35 heures hebdomadaires. De la 36ème à la 43ème heure le salaire est majoré à 25 %, comme dans la Convention de l'API. Dès la 44ème heure, la majoration passe à 50 %. Mais la Convention proposée par le SPI et l'APC ne prévoit pas de seuil supplémentaire, contrairement à la Convention de l’API.Les dispositions en matière de majorations des rémunérations concernant le travail de nuit diffèrent également. Le texte de la Convention collective nationale de la production cinématographique (APC/SPI) dispose que les 16 premières heures de travail de nuit dans la même semaine civile seront majorées à 25 %, puis de la 17ème heure à la 32ème heure la majoration sera portée à 50 % et au-delà de la 32ème heure la majoration sera de 100 %. La Convention de l’API ne prévoit pas les mêmes tranches horaires concernant le travail de nuit et limite le nombre de seuil de majoration : les huit (8) premières heures dans la même nuit sont majorées à 50 % et au-delà deviennent majorées à 100 %.La durée du repos quotidien est certes identique dans les deux conventions, mais la convention APC/SPI prévoit des cas dérogatoires à cette durée que l’API n’a pas envisagé. Il en va de même concernant le repos hebdomadaire de 48 heures pour lequel il existe ici une dérogation : dans certains cas exceptionnels la durée du repos hebdomadaire peut être réduite à 24 heures.

En outre la Convention APC/SPI prévoit la possibilité de tournage en studio le dimanche pour certains cas, ce qu’interdit formellement la Convention de l’API. Enfin, la Convention API/SPI laisse une plus grande liberté au producteur pour lequel il est possible d’adapter les fonctions de chacun selon les besoins de la production.
2.2 Le cas de la dérogation pour les films a petit et moyen budget

L’opposition entre les deux conventions collectives se cristallise en particulier sur la question de la dérogation pouvant bénéficier aux productions à petit et moyen budgets.En effet les deux conventions prévoient la possibilité pour les productions n’excédant pas un budget déterminé de déroger aux rémunérations salariales minimales et de pratiquer l’ « intéressement aux recettes » (Convention de l’API) ou la « participation conventionnelle aux recettes nettes part producteur » (Convention APC/SPI). En pratique, les producteurs pourront appliquer des conditions salariales inférieures en différant le paiement d’une partie des salaires avec une majoration compensatoire de son caractère aléatoire, majoration prélevée sur les RNPP générées par le film.

2.2.1 L’intéressement aux recettes de la convention collective de production cinématographique (API et autres).

Pour l’application de cette dérogation, la Convention collective de l'API prévoit la création d’une commission mixte partaire qui aura pour mission d’examiner les demandes des producteurs voulant bénéficier de cette dérogation, avant que la demande ne soit transmise au CNC. Dans le cas où la commission mixte paritaire donne un avis négatif, le CNC est lié par cet avis.Trois critères cumulatifs doivent être remplis par le film prétendant à une telle dérogation :1. Le budget prévisionnel du film doit être inférieur à 2,5 millions d’euros. S’il s’agit d’un court métrage, son budget prévisionnel doit être inférieur ou égal à 1,5 millions d’euros.
2. La masse salariale effective brute du personnel technicien doit être inférieure ou égale à 18 % du budget prévisionnel du film.
3. La masse salariale effective brute des personnels techniciens (hors rémunération du réalisateur technicien) doit représenter au moins 80 % d’un poste regroupant les rémunérations brutes des auteurs, producteurs, titulaires des rôles principaux et commissions d’agents telles que prévues dans le budget provisionnel.S’ajoute à ses trois conditions une condition générale supplémentaire selon laquelle seuls 20 % des films d’initiative française entrant respectant les seuils précités peuvent être éligibles à l’intéressement aux recettes. La Convention API exclue également de l’intéressement aux recettes les salaires minimums hebdomadaires des techniciens inférieurs à 750 euros.Les versements de l’intéressement seront semestriels pendant la première année d’exploitation du film, puis annuels au-delà.

Cette dérogation ne sera applicable que pendant 5 ans, délai prenant effet à compter de l’extension de la présente convention et de sa publication au Journal Officiel. Au terme de ce délai, cette dérogation cessera de plein droit de produire ses effets.
2.2.2 La participation conventionnelle aux RNPP de la convention collective nationale de la production cinématographique (APC, SPI et autres).

Il est aussi prévu la création d’une Commission mixte paritaire, la Commission d’agrément des investissements. Les critères prévus par cette Convention sont identiques à ceux de l’API, sauf s’agissant du premier critère :

1. Le budget prévisionnel hors imprévus doit être inférieur à 4 millions d’euros.Deux systèmes de participation sont alors prévus :- Le budget prévisionnel hors imprévu est compris entre 3 et 4 millions d’euros ;
- Le budget est inférieur à 3 millions d’euros. Le seuil plus élevé permet de qualifier un plus grand nombre de productions dites « fragiles ». Cette disposition de la Convention collective APC/SPI traduit clairement la volonté de ces producteurs de « sauver » la production de films à petits et moyens budgets.Comme prévu par l’API, seuls 20 % des films remplissant ces critères bénéficieront de la dérogation. En outre il est prévu par la seconde convention que cette dérogation peut exceptionnellement trouver à s’appliquer à des films ne remplissant pas tous les critères nécessaires mais ayant bénéficié de la majorité qualifiée des deux tiers des membres de lacommission mixte paritaire.La participation conventionnelle est versée annuellement.Cette Convention prévoit aussi que la dérogation n’aura d’effet que pendant cinq (5) ans. Cependant, il sera possible de proroger une telle dérogation au terme de ce délai, et ce en regard de la situation économique et financière du cinéma français.
Ainsi, il ressort de notre analyse, que le texte proposé par le SPI/l'APC se rapproche à plusieurs égards de celui de l'API, et prévoit un barème des salaire quasi identique - eux même très proche des salaires minimaux prévus lors des derniers barèmes des salaires prévus par avenant à la convention collective de 1950. Les deux textes prévoient de légaliser et d'encadrer une pratique courante, bien que jusqu'à présent toujours déclarée illégale par les tribunaux, de la mise en participation du salaire technicien. Certes le texte alternatif de l'APC et du SPI prévoit des dérogations plus généreuses.
Les principaux points achoppements sont le seuil permettant la dérogation pour les films dits "fragiles", beaucoup plus élevé dans la convention APC/SPI, que dans la convention API, et des obligations moins fortes pour les producteurs quant aux heures supplémentaires des techniciens et aux heures de repos. Nous saurons très prochainement (le 11 avril, date de la prise de décision d'extension), si le texte de l'API se rendu applicable à toute la production cinématographique française, malgré l'opposition de la quasi unanimité de ses représentants.
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Chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, Avocat et Pauline Garrone, stagiaire