Le harcèlement moral est aussi un délit pénal

Le juge pénal n’hésite pas, lorsque les agissements de harcèlement sont établis (mais la preuve de ceux-ci reste difficile), à prononcer des peines de plus en plus sévères.

L’article L.222-33-2 du code pénal punit «  le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel », d’une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.
Deux arrêts récents de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, respectivement en date des 22 avril 2013 (n°12-84320) et 19 novembre 2013 (n°12-85262), illustrent en quoi peuvent consister les agissements répétés de harcèlement moral attentatoires à la dignité du salarié ou à ses droits et la nature des sanctions prononcées par le juge pénal. 

1) Dans la première affaire, une salariée, engagée en 1996, travaillait dans l’équipe de nuit d’une société en tant qu’opératrice de saisie. Elle a déposé une plainte au commissariat, le 17 janvier 2007, contre son supérieur hiérarchique. Elle l’accusait de l’avoir obligée à se rendre à des réunions, dans son bureau, plusieurs fois le jeudi après-midi, sous de faux prétextes d’ordre professionnel. Il l’appelait alors « ma chérie » ; lui demandait de lui faire des bisous au téléphone; a eu ensuite des gestes déplacés comme lui tapoter ou lui caresser le genou après qu’il lui ait demandé de s’asseoir près d’elle. Bien qu’elle lui ait demandé de s’arrêter, il avait continué. Devant les policiers chargés de l’enquête, le supérieur hiérarchique mis en cause admettait avoir appelé sa subordonnée « ma chérie » mais contestait la réalité des autres faits reprochés.
Il exprimait également des doutes sur la crédibilité du certificat médical fourni par la victime pour justifier de son état dépressif réactionnel et son arrêt de travail de 12 jours consécutifs à ses agissements. Il prétendait également qu’il aurait, en fait, été victime d’un complot de plusieurs personnes pour le discréditer d’où des accusations mensongères soi-disant portées contre lui par la victime mais aussi par d’autres salariées entendues dans le cadre de l’enquête.
Cette défense n’a pas été jugée convaincante par le Tribunal Correctionnel qui a retenu le délit de harcèlement moral et l’a condamné à une peine de deux ans de prison avec sursis et à payer une indemnité au profit de la plaignante qui s’était constituée partie civile pour demander réparation de ses préjudices (son montant n’est pas précisé mais généralement  l’indemnité versée est, à peine, de  quelques milliers d’euros).
La Cour d’appel de Caen, par un arrêt du 23 mai 2012, a confirmé le jugement sur la peine prononcée et sur les intérêts civils.
Le prévenu a cru bon de se pourvoir en cassation. Mal lui en a pris car la Chambre Criminelle de la cour de Cassation, après avoir constaté que les énonciations de l’arrêt la mettaient en mesure de s’assurer que la Cour d’appel avait caractérisé en  tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit de harcèlement moral, a déclaré le moyen de cassation non admis considérant qu’il se bornait à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits et des éléments de preuve (ce qui ne relève pas du contrôle de la Cour de cassation). Les condamnations à son encontre sont donc devenues définitives.

L’arrêt de la chambre criminelle est intéressant à plusieurs titres :

  • Le harcèlement moral peut notamment être caractérisé par « des rapprochements à connotation ambigüe » pour reprendre la terminologie de la cour d’appel (appeler sa subordonnée « Ma chérie » ; avoir des « gestes déplacés effectués sur le genou ») dès lors qu’ils sont attentatoires à la dignité de la salariée victime.
    C’est en vain que le demandeur au pourvoi a soutenu que les faits reprochés tels que retenus par la Cour d’appel auraient  caractérisé, en réalité, un harcèlement sexuel et non un harcèlement moral.
  • Ces agissements sont « nécessairement intentionnels ». La lecture de l’arrêt montre que l’attitude générale de cette personne envers ses autres subordonnées, femmes en particulier, mises en lumière par l’enquête, a été prise en compte par la cour d’appel (puis par la Cour de Cassation) pour caractériser le caractère intentionnel du harcèlement moral subi par la salariée plaignante.
    En effet, lors des auditions, certaines salariées avaient dépeint ce hiérarchique comme un « manipulateur dans la sphère du travail », en donnant plusieurs exemples précis d’agissements excédant manifestement ce qu’autorise l’exercice du pouvoir de direction, ce que ce dernier ne pouvait ignorer. Les juges ont considéré que ces témoignages étaient crédibles et concordants et qu’il n’y avait nul complot…  On peut raisonnablement penser que la réitération d’agissements de harcèlement moral sur plusieurs salariées dans l’entreprise a joué dans l’appréciation qu’a portée le juge pénal sur la peine. 
  • La peine prononcée (deux ans de prison avec sursis) correspond à la durée maximale prévue par la loi, ce qui montre que, lorsque les faits sont établis, les juridictions  font preuve de sévérité, conférant ainsi  un fort caractère dissuasif à leurs décisions. Certes, un sursis est prononcé mais le délit de harcèlement moral donne rarement lieu à des  peines de prison fermes (nous ne connaissons d’ailleurs pas de précédent).
    La peine, à condition qu'il n'y ait pas réitération au cours du délai fixé, ne sera pas en principe effectuée par la personne condamnée.  Cependant, on ne sait pas, à la lecture de l’arrêt, si l’entreprise qui l’emploie s’est ou non séparée de lui (le harcèlement moral avéré pouvant justifier un licenciement pour faute grave).   
2) La seconde affaire illustre, quant à elle, le harcèlement « représailles » dont sont parfois victimes les salariés qui ont le tort, rédhibitoire aux yeux de certains employeurs, d’exercer un mandat syndical et de prétendre, a fortiori, obtenir la mise en place d’une représentation du personnel dans leur entreprise. Ainsi, un salarié, désigné délégué syndical le 8 octobre 2008 et qui s’était porté candidat, peu de temps auparavant, comme délégué du personnel, en a fait l’amère et douloureuse expérience. Il est soudainement devenu pour son employeur le salarié dont il fallait à tout prix se séparer alors qu’il n’avait connu, jusqu’alors, que des promotions depuis son embauche en 2006 dans cette société de communication qui l’employait, y occupant en dernier lieu une fonction de directeur d’édition et de responsable de secteur.
Sans doute, son engagement syndical a été considéré comme une trahison.
En effet, tant le Tribunal correctionnel que la Cour d’appel d’Aix en Provence (par arrêt du 3 juillet 2012) ont relevé la concomitance entre sa candidature ; son mandat syndical et les trois demandes d’autorisation de licenciement successives adressées par la société employeur à l’inspecteur du travail dans un laps de temps d’à peine six mois (ce qui témoigne clairement d’un acharnement à le faire partir), mais rejetées à chaque fois par l’autorité administrative en raison de leur caractère discriminatoire (lien avec le mandat).
La société avait également tenté d’obtenir judiciairement (mais en vain) l’annulation de sa candidature comme délégué du personnel. Les agissements de harcèlement moral  ont également consisté dans l’envoi d’un message, par mail, et à deux reprises, à tout le personnel faisant part de l’interdiction de le voir pénétrer dans tout bureau en l’absence de la personne occupante ainsi que dans les bureaux des commerciaux en leur absence (au prétexte non établi qu’il aurait fouillé dans lesdits bureaux); dans le fait qu’il n’a plus perçu le remboursement de ses frais professionnels depuis 2008 (alors qu’il les avait obtenus par le passé sans difficultés), étant le seul salarié à faire, en outre, l’objet d’exigences particulières pour le remboursement de ses frais (ce qui montre qu’il était bien l’objet d’un traitement différencié). Il n’a plus, non plus, perçu son salaire à compter de mars 2009.
Ces agissements visaient donc notamment à ostraciser et dénigrer ce salarié du fait de son activité syndicale, et à le placer dans une situation financière délicate.      
La particularité de cet arrêt tient aussi au fait que les poursuites pénales ont été dirigées par le plaignant à la fois contre le dirigeant de l’entreprise (pour harcèlement moral et entrave à la libre désignation des délégués du personnel, entrave à l’exercice du droit syndical) et contre la société, personne morale employeur, pour entrave à l’exercice du droit syndical et harcèlement moral.
En effet, l’article 121-2 al 1 du Code pénal dispose que : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants…. ».
Ces infractions étant caractérisées, les juges du fond ont prononcé une peine d’amende de 15.000 euros à l’encontre du dirigeant et de 30.000 euros à l’encontre de la société employeur (soit pour cette dernière le maximum de l’amende prévue par l’article L.222-33-2 du code pénal) et ont statué sur les intérêts civils.  
Les prévenus se sont pourvus en cassation mais là aussi, ils ont été mal inspirés puisque l’arrêt du 19 novembre 2013 a écarté leurs moyens respectifs et a confirmé l’arrêt d’appel dans toutes ses dispositions.   
Le juge pénal n’hésite donc pas, lorsque les agissements de harcèlement sont établis (mais la preuve de ceux-ci reste difficile), à prononcer des peines de plus en plus sévères.