Evaluation à 360° : pouvez-vous vraiment dire ce que vous pensez de votre supérieur ?

Evaluation à 360° : pouvez-vous vraiment dire ce que vous pensez de votre supérieur ? Fini le temps où seuls les managers évaluaient leurs équipes. Les employés sont également amenés à s'exprimer sur leur hiérarchie.

Venue des Etats-Unis, l'évaluation à 360° se développe peu à peu dans les entreprises françaises. Elle permet au salarié d'évaluer ses supérieurs, notamment lors des entretiens professionnels. Toutefois, sommes-nous vraiment libres de parler des défauts de notre N+1 sans risquer de se le mettre à dos ? Et surtout, cette évaluation doit-elle être anonyme ? 

Se cacher pour noter...

Il suffit parfois bêtement que le formulaire d'évaluation soit retourné dans l’enveloppe d’envoi ou remis en main propre à une secrétaire pour que l’anonymat saute. Il arrive même que certains managers passent du temps à enquêter pour savoir quel est le malotru qui a osé dire tant de mal d'eux. D'où la nécessité de préserver la confidentialité des réponses.

Selon Antoine Veniard, directeur des programmes à l’Ecole de Management de Normandie et spécialiste de l'évaluation à 360°,"tous les managers doivent être partie prenante de l’évaluation, l’initiative doit venir d’en haut et surtout l'anonymat des répondants doit être garanti".

D'après lui, en entreprise comme en université, les enjeux sont similaires. Et Antoine Veniard sait très bien de quoi il parle. Au sein de son établissement, il propose une évaluation entre les élèves. Quelques étudiants se réunissent sans la personne intéressée et répondent à une quarantaine de questions sur sa ponctualité ou sa motivation. Afin d’assurer l’anonymat, un "porte-parole du groupe" fait part de la synthèse. 

Pour développer une évaluation à 360° efficace, il est indispensable d'avoir un nombre élevé de répondants

La méthode évoquée peut évidemment être mise en place pour évaluer des managers en entreprise. Anis*, cadre dans une grande société semi-publique, a fait l'objet d'une évaluation à 360° dans son ancien poste. Un cabinet externe était en charge de la procédure. Bilan, il a été identifié comme quelqu'un de particulièrement froid ."Cela me surprend mais j'en profite pour tirer des enseignements", témoigne-il. Il pense savoir quelle personne en particulier a pu tenir ces propos. Mais grâce au processus d'anonymisation, il n'en a jamais eu la preuve et ne s'en porte pas plus mal. "Un de mes collègues s'était mis en tête de determiner qui avait pu dire quoi avec une bonne acuité, mais il n'a jamais determiné formellement l'auteur des remarques, ce qui permet de ne pas trop détériorer l'ambiance au travail".

Pour développer une évaluation à 360° véritablement efficace, il est indispensable d'avoir un nombre élevé de répondants. "S’il n’y a que deux personnes qui évaluent un manager, je ne prends pas le risque de proposer l’exercice" souligne Antoine Veniard. De fait, plus l'évaluateur est identifiable, moins celui osera donner le fond de sa pensée et moins l'anonymat sera protégé. L'interêt de l'évaluation serait donc réduit à néant puisque la peur d'être démasqué empêchera de donner son avis. Mais attention, tous les spécialistes ne partagent pas ce point de vue.

... ou évaluer démasqué ?

Isabelle Sathicq, consultante au cabinet Exvolutis-RH, conseille aux salariés participant une évaluation à 360° de ne pas agir sous le sceau de la confidentialité. "Je trouve que ce qui est gênant, c’est justement l’anonymat. Certains se lâchent pour dire des choses qui peuvent blesser, pour tenir des propos qu’ils n’assumeraient pas en face à face". 

Elle a donc créé un outil d'évaluation des managers qui n'est pas basé sur l'anonymat. "J’ai conçu cet outil comme un moyen de dialogue, de construction. Or ces notions ne sont pas très compatibles avec l’anonymat. Et la plupart du temps, les employés choisissent l’option ouverte". Cependant, si un seul des répondants ne souhaite pas que son identité soit dévoilée, l'ensemble du panel devient anonyme.

Pour que la discussion puisse se mettre en place, elle privilégie les réponses rédigées et suggère de surévaluer, même lorsque les reproches sont importants: " 2/10, ça casse. Tandis qu’avec 5/10, il est possible d'entamer le dialogue. Il m’est arrivé d’avoir à évaluer un manager terrible, perfectionniste, qui regardait trois chiffres après la virgule. La solution, c’est de ne pas trop l'accabler. Je conseille au répondant de ne se concentrer que sur deux ou trois problèmes".

L'évaluation pour tous, vraiment ? 

Le but de l'évaluation à 360° est d'obtenir une évaluation sincère. Mais un salarié en CDD ou en période d'essai n'osera pas être aussi objectif qu'un cadre en CDI.

Anis a récemment évalué une manager qui posait beaucoup de soucis. "J'ai dit clairement ce que je pensais car je me sens très à l’aise dans l’entreprise. J’ai été objectif. Il s'agissait d' une personne totalement absente en termes de management. Elle ne faisait quasiment aucune réunion d’équipe. Après un audit, qui a suivi cette évaluation, cette personne a été remerciée. L’audit a mis au grand jour les problèmes. Et il a été plus mal vécu que l’évaluation. Mais l’atmosphère est vraiment meilleure aujourd’hui ", précise Anis. 

Un salarié en CDD ou en période d'essai n'osera pas être aussi objectif qu'un cadre en CDI

Frédéric*, ancien chargé d’événementiel dans une maison d’édition informatique n’avait pas vraiment envie de jouer à ce petit jeu. Il était en CDD et il était prévu qu'il soit prolongé en CDI. " Ça se passait bien, donc je n’avais pas de reproches à faire. Mais dans le cas contraire, je n’aurais pas voulu me faire sucrer mon CDI pour une critique". Dans son cas, l’évaluation était sur internet et anonyme. Néanmoins, Frédéric n’avait pas totalement confiance sur ce dernier point. Lorsque l’employé n’est pas dans une situation stable, les risques sont trop importants pour parler sincèrement. Pourtant son avis est tout aussi intéressant que celui d'une personne en CDI.

L’évaluation à 360° est donc un outil intéressant qui permet à un manager d'identifier des erreurs qu'il n'avait pas remarquées. Mais pour celà, les répondants doivent donner un avis constructif et ne pas faire de coups bas. Pour réussir l'évaluation, il est nécessaire de s’assurer que l’entreprise a opté pour l’outil (anonyme ou non) le plus adapté afin répondre à la situation et aux inquiétudes des personnes consultées. La direction sera alors reconnaissante que les problèmes, aussi graves soient-ils, aient été soulevés.

*Les prénoms ont été modifiés.