L’entretien professionnel : contrainte ou opportunité ?
Encore une fois, le législateur s’empare d’un sujet qui devrait normalement être à l’initiative de l’entreprise et lui confie une nouvelle responsabilité sociétale. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : permettre aux salariés de développer leur employabilité.
D’ici à mars 2016, toutes les entreprises de France et de Navarre devront organiser un entretien professionnel au moins une fois tous les 2 ans, mais il ne devra surtout pas porter sur l’évaluation du travail.
Si cela ne semble pas trop poser de problèmes aux grandes entreprises, on ne peut pas dire que ce soit le cas pour les PME. Et pour cause, d’un point de vue quantitatif, les perspectives d’évolution de carrière dans une structure de 50 à 250 personnes sont plus que limitées, sauf à parier sur un plan massif de départ, une augmentation de la taille de l’entreprise ou … (là nous sommes à court d’idées).
Quand plus
de la même chose produit les mêmes effets
Si le principe d’inciter, voire de contraindre, les entreprises à s’occuper d’avantage du développement professionnel de leurs salariés est noble, centrer l’entretien sur les compétences peut être remis en question.
Le législateur impose un état des lieux sur l’expérience et les compétences. Bien, mais on sait qu’en France votre avenir est très fortement conditionné par votre passé. « Je ne peux pas vous embaucher en tant que commercial compte tenu du fait que vous avez 20 ans d’expérience en comptabilité » : Et alors ? Ce n’est pas parce que vous avez été comptable que vous êtes condamné à le rester toute votre vie, non ? Faut-il que vous quittiez le monde de l’entreprise pour faire ce que vous aimez vraiment et qui n’a rien à voir avec votre parcours professionnel ?
Appréhender cet entretien, qui se veut centré sur la
personne, en se basant uniquement sur son expérience et ses compétences ne
permettra pas d’explorer de nouveaux horizons !
Et si, au
lieu de parler de savoir-faire, on parlait d’aimer-faire ?
Quel rapport y a t-il entre un cuisinier, un
architecte d’intérieur et un web designer ? A priori, par l’approche par
les compétences, aucun. En pourtant, si les connaissances sont différentes, ces
3 métiers procurent, dans l’ensemble, le même plaisir :
- Faire preuve d’originalité (dans les plats, la décoration, la structuration d’un site internet)
- Faire du beau- Trouver de nouvelles idées
- Surprendre et enchanter le client
Oui mais voilà, il n'existe pas de formation à l'originalité. De votre point de vue, est-il possible de savoir
traiter une activité et ne pas pour autant l’aimer ? Qu’aimeriez-vous
faire d’autre que ce que vous savez très bien faire et que vous n’aimez pas ou
plus ? Et si cet entretien professionnel avait pour partie comme finalité
d’aider un collaborateur à imaginer de nouveaux horizons, peut-être tout
simplement pour renouer avec l’épanouissement professionnel, surtout lorsque
l’on sait que si 84% des Français sont satisfaits de leurs conditions de travail
(selon un sondage TNS Sofres de 2013), 20% seulement éprouvent du plaisir dans
leur travail (d’après un sondage Ipsos-Endered de 2012), que 28% sont
activement désengagés et 61% non engagés (source enquête Gallup 2012).
Chez WL Gore, aux Etats-Unis, les
« associés » sont recrutés en fonction des projets sur lesquels ils
aimeraient travailler, pas sur une adéquation Homme/Poste telle que nous
l’avons découvert dans les années 80 en France et comme nous le pratiquons
(encore !) aujourd’hui. Nous sommes en 2015, il serait grand temps de se
réinventer en matière de management des Hommes, non ?
Mais il n’y a pas que dans cette entreprise où « l’aimer
faire » est plus important que le "savoir-faire". Les grands
magasins Nordstorm aux Etats-Unis ont du faire face à une crise sans précédent
à la fin des années 90, certainement du au fait de la baisse de l’engagement de
leurs collaborateurs. C’est pourquoi, depuis les années 2000, les nouveaux
employés sont recrutés sur leurs personnalités et leurs valeurs, plus que sur
leurs expériences professionnelles. Une fois sélectionnés, ils sont formés à la
vente de leurs produits.
Si vous deviez choisir entre une personne qui à la
« petite flamme dans les yeux » mais n’a pas (toutes) les
connaissances et une personne qui a l’expérience mais qui fait grise mine, si
c’était votre entreprise, que choisiriez-vous ? Beaucoup de dirigeants, à
la condition que les connaissances ne sont pas longues à acquérir bien
évidemment (type profil d’ingénieur), n’hésitent plus une seule seconde et
répondent à l’unanimité "la petite flamme dans les yeux" !
Mais comme l’entretien professionnel à surtout comme cible les ouvriers/employés et agents de maîtrise (seulement 35% des ouvriers bénéficient d’un entretien annuel contre 64% pour les ingénieurs selon un observatoire animé par la CEGOS), cela ne devrait pas trop poser de problèmes.
Appréhender les passerelles d’évolution professionnelle par l’aimer-faire (ce que nous désignons sous le terme "Appétence") offre de nouvelles perspectives d’employabilité, pour peu que le monde de l’entreprise s’ouvre à cette nouvelle manière de sélectionner les candidats.
Ce défi nous semble plus réjouissant que de continuer
dans l’impasse qu’est l’approche par les compétences, et permettrait à des
personnes qui, tout naturellement comme l’évoque le "cycle de vie"
de F. Hudson, deviennent "désenchantés" après de nombreuses années
à faire la même chose, de reprendre une bonne bouffée d’oxygène et se lancer
dans une nouvelle aventure (bien sur nos propos ne sont pas adaptés aux
personnes qui préfèrent ne pas être malheureuses qu’heureuses).
Pourquoi ce
n’est pas aux responsables hiérarchiques de mener l’entretien professionnel
La question se pose dans beaucoup d’entreprise :
qui donc va devoir animer ce nouvel entretien (entendez par là, cette nouvelle
charge de travail) ? Le responsable direct ? Oui mais son rôle est
plus d’évaluer les résultats. Les professionnels des ressources humaines ?
Si vous êtes dans une multinationale bien staffée en professionnels R.H.,
pourquoi pas, mais si vous êtes dans une PME avec une équipe de 3 experts en
ressources humaines, bon courage.
Et si, comme c’est le cas au sein de "13
Habitat", gestionnaire de logements sociaux dans les Bouches-du-Rhône,
vous confiez cela aux managers qui n’ont pas de responsabilités hiérarchiques.
Voire, innovons, si vous confiez cela à des personnes qui aimeraient mener
cette mission ?
Au début des années 2000, de nombreuses entreprises
ont formé, sur la base du volontariat, une partie de leur encadrement au
coaching, notamment pour accompagner leurs pairs dans l’optimisation de leurs
postures et pratiques managériales.
Pourquoi ne pas imaginer former et confier cette nouvelle responsabilité à des volontaires, sans se baser sur leurs statuts ou qualification, mais tout simplement sur ce que requiert ce nouvel exercice, à savoir, entre autre:
- de l'écoute- de l’empathie
- du soutien technique (comment rechercher de nouvelles opportunités) et affectif (marqué par le soutien, l’ouverture, la tolérance et la disponibilité)
Il n’est pas nécessaire d’être cadre pour aimer aider son prochain, non ?
Bien sur, certains opposeraient la méconnaissance de
l’entreprise mais qu’ils se rassurent, cette connaissance fera partie de la
formation d’animateur d’entretien professionnel. Et pour les plus sceptiques,
apprenez à faire confiance à des personnes qui n’ont pas de diplômes ou
d’expérience en la matière. Sachez détecter leur "petite flamme".
Pourquoi l’entretien professionnel est une opportunité ?
Si vous changez de regard, vous vous apercevrez que cet entretien, aussi contraignant soit-il (il ne faut pas en vouloir au législateur, son arme c’est la règle) est une réelle opportunité de consacrer du temps à des collaborateurs pour leur permettre de réfléchir à des solutions en matière d’épanouissement, de validation d'acquis d'expérience et d’évolution professionnelle que l’entretien annuel ne permettait pas.
Cet entretien n’a pas pour but de juger, mais
d’accompagner. Si vous sortez de la logique de compétences, il vous permettra même
de maintenir l’emploi en explorant de nouvelles opportunités. En France, on
raisonne encore comme au XXème siècle : 1 homme = 1 poste. Dans d’autres
pays (Suède, Allemagne…) on a compris depuis des années que ce mode de pensée
était plus que limitant. C’est pourquoi il existe de nombreux dispositifs
d’emplois partagés (évitons les débats sur la pensée libérale, ce n’est pas
notre propos), de participation à des projets transverses ou de mises à
dispositions temporaires totales ou partielles.
Entretien Professionnel ou entretien de responsabilisation ?
Avant de terminer cet article, un conseil. Si cet
entretien doit être animé par un représentant de l’entreprise dûment mandaté
(responsable hiérarchique direct, professionnel des ressources humaines,
manager non hiérarchique ou tout simple un salarié que cela intéresse), faite
en sorte que son rôle soit avant tout de responsabiliser la personne sur ses
choix.
Si l’entretien d’évaluation classique positionnait le
manager dans une posture de sachant (je t’évalue donc j’en sais autant que toi,
sinon comment pourrais-je apprécier ton travail ?), la posture de celle ou
celui qui conduira l’entretien professionnel doit être plus proche du coach que
du sachant car, de notre point de vue, vous devez vous prémunir de toute
obligation de résultat (même si le législateur va dans ce sens, mais c’est une
fois tous les 6 ans donc on n’ose pas imaginer qu’à notre époque un salarié ne
soit pas formé et augmenté au moins une fois tous les 6 ans).
Il appartient dorénavant à chaque entreprise de faire
de ce qui peut paraître comme une contrainte une réelle opportunité
d’accompagnement des salariés à se responsabiliser sur leurs épanouissements et
évolutions professionnelles.