La semaine de 4 jours, le nouveau défi des DRH

Si la semaine de 4 jours, payée 5, n'est pas intégrée dans le projet de loi sur le plein emploi, il semble néanmoins plus que probable qu'elle s'immisce dans le dialogue social de la rentrée.

Contrairement aux précédentes mesures de réduction et d’aménagement du temps de travail, qui furent des solutions « défensives » (lutte contre la souffrance au travail, le chômage, adaptation au confinement contraint), travailler 4 jours par semaine se veut « offensif » car son but premier est de convenir d’un nouveau contrat social qui concilie amélioration de la qualité de vie au travail et de la performance.

Pourquoi la semaine de 4 jours va-t-elle devenir un sujet de fond ?

Si vous pouviez choisir entre travailler, à salaire égal : 

  • 35 heures par semaine sur 5 jours, soit 7 heures par jour,
  • 39 heures par semaine sur 5 jours, soit 7 heures 50 minutes par jour et bénéficier de 20 jours de réduction du temps de travail (JRTT) par an,
  • ou 35 heures par semaine sur 4 jours, soit 8 heures 50 minutes par jour et bénéficier de 47 jours de repos par an.

Que préféreriez-vous ? Peut-être faites-vous partie des 80% qui privilégient la 3ème option car vous accordez plus d’importance au temps libre qu’à l’argent ?[i] 

Si la perspective de travailler 182 jours par an séduit autant de personnes, c’est sans doute parce que ce rythme de travail semble mieux répondre à la quête d’un meilleur équilibre de vie que les JRTT et le télétravail.  De plus, contrairement au télétravail, qui ne concerne que 20% des emplois[ii], et aux JRTT, dont seulement 24% des salariés peuvent bénéficier[iii], travailler 4 jours par semaine peut potentiellement concerner 80% des salariés, ce qui se veut plus juste et équitable. Mais c’est très loin d’être le seul bénéfice.

Une augmentation de la productivité

L’une des principales sources d’inquiétude des organisations patronales (Medef, CPME et ANDRH) est fondée sur l’idée selon laquelle la semaine de 4 jours altèrerait la productivité. Qu’elles se rassurent car la majorité des témoignages démontrent le contraire. Une étude réalisée aux États-Unis et en Irlande menée de février à juillet 2022 sur 903 salariés et 33 entreprises fait ressortir une augmentation de 38% des bénéfices. Après être passé à 4 jours, Microsoft Japon annonce une progression de la productivité de 40%. Les nombreux retours d’expériences mettent en avant un effet positif sur la productivité, allant de son maintien à une augmentation de 25%, ce qui est particulièrement intéressant lorsque l’on sait que la productivité horaire a chuté de 3,6% en 3 ans en France. Ces incroyables résultats sont le fruit d’une mobilisation de l’ensemble des salariés dans la recherche de solutions innovantes, que ce soit en matière d’organisation (faire ensemble) ou de collaboration (être ensemble), pour atteindre un but commun : se reposer 47 jours de plus par an en contrepartie du maintien de la productivité.

Pouvoir réaliser en 4 jours ce qui l’était en 5 repose sur une démarche de mobilisation de l’intelligence collective. C’est pourquoi ces résultats sont rarement atteints lorsque la semaine de 4 jours est proposée comme une option individuelle. L’augmentation des bénéfices est également due à la baisse du taux d’absentéisme d’environ 65%, ce qui semble être de bon augure lorsque l’on sait qu’il a augmenté de 5,64% en France en 2022.

Une diminution du sentiment de fatigue, de stress et de l’absentéisme

L’autre argument avancé par une majorité du patronat repose sur l’idée que travailler plus longtemps par jour augmenterait la fatigue et le stress. Là encore, les résultats démontrent le contraire. Après 6 mois d’expérimentation de la semaine de 4 jours, de juin à décembre 2022, les 2.900 salariés des 61 entreprises britanniques déclarent être moins fatigués (71%) et moins stressés (39%).

Ce bénéfice repose sur deux principaux facteurs. Le premier est la conséquence directe du « jour off ». Le fait d’être au repos une journée entière diminue la production de cortisol, l’hormone du stress. Le second est lié à la rupture plus franche entre le temps dédié à sa vie personnelle et professionnelle. Avoir la possibilité d’effectuer certaines activités personnelles (rendez-vous médicaux, formalités administratives…) un jour ouvré diminue le sentiment de culpabilité et surtout le risque de surcharge mentale. 

Ces effets ne peuvent s’obtenir lorsque l’on diminue la durée quotidienne en maintenant les 5 jours (à 32 ou 28 heures par exemple), ce que demandent certains partis politiques ou organisations syndicales car le stress du réveil, du trajet professionnel et de la journée de travail demeurent. Dernier point, et non des moindres, bénéficier de 47 jours de repos supplémentaires par an permettrait de vivre dans de meilleures conditions l’allongement de la durée de vie professionnelle.

Un renforcement de l’attractivité et de l’engagement

Proposer la semaine de 4 jours semble être, non seulement un facteur différenciant d’attractivité mais aussi de fidélisation. En effet, la quasi-totalité des entreprises qui offrent 47 jours de repos par an déclarent ne plus avoir de problème de recrutement. Par ailleurs, l’expérience menée au Royaume-Uni révèle une diminution de 57% du nombre de départs, ce qui est assez bienvenu compte tenu de l’augmentation du taux de démission et de turn-over ces dernières années (15% en 2022)[iv].

Un impact positif sur l’environnement

Selon une étude anglaise de 2021, passer à la semaine de 4 jours permettrait de réduire l’empreinte carbone annuelle au Royaume-Uni de 127 millions de tonnes d’ici 2025, soit une diminution de 21,3%. Microsoft Japon a déclaré avoir réduit de 23,1% la facture d’électricité après après être passé à 4 jours et LDLC a annoncé une économie d’énergie de l’ordre de 5% à 10%.

Une nouvelle forme de partage de la valeur

En réponse à l’inflation, MJ Conditionnement a adopté la semaine de 4 jours pour réduire sa consommation d’énergie. Ce choix, plébiscité par tous les salariés, a permis de faire une économie de 5.000 euros par an et les dirigeants ont décidé de redistribuer ce gain financier par l’attribution d’une prime d’environ 500 euros. Cette redistribution de la valeur pourrait bien être une réponse aux 48% des salariés qui ont déclaré, en 2022, que leur rétribution ne leur semblait pas être proportionnelle à leur contribution[v].

Par ailleurs, la semaine de 4 jours pourrait bien avoir un effet positif sur le pouvoir d’achat. C’est ce que déclare Pedro Gomes, professeur d’économie à Londres : « La semaine de 4 jours stimule l’économie des loisirs et pourrait entraîner une hausse des salaires grâce aux gains de productivité et à la baisse de l’absentéisme ».

La semaine de 4 jours, un projet d’innovation managériale avant tout

Voici la réponse qu’adressa Henry Ford aux inquiétudes et aux critiques du patronat américain suite à sa décision d’adopter la semaine de 5 jours en 1926 : « Si l’objectif fixé est de produire plus en 5 jours que ce que nous faisions en 6, alors le management trouvera le moyen de l’atteindre ». C’est exactement ainsi qu’il convient de raisonner pour la semaine de 4 jours.

S’il est légitime de rester sceptique malgré la présentation de tous ces bénéfices, cela ne doit pour autant pas être une raison de ne pas, au moins, essayer. Ne pas l’expérimenter c’est courir le risque que les concurrents le fassent et attirent vos talents. Vous l’aurez compris, la semaine de 4 jours n’est pas un énième projet de réduction du temps de travail mais une opportunité de réformer le management, de repenser la collaboration pour que tout le monde y gagne, entreprises et salariés. Et c’est tout naturellement vers la fonction ressources humaines que les dirigeants vont se tourner pour relever ce nouveau défi.

[i] Selon une enquête Ifop de 09/2022 61% des Français préfèrent avoir plus de temps libre que d’argent en 2022 alors qu’ils étaient 62% à préférer gagner plus d’argent qu’avoir plus de temps libre en 2008

[ii] Estimation de la Dares

[iii] Étude de l’OCDE

[iv] Données Insee

[v] Enquête Ifop 10/2022