Crise de l'engagement au sein des entreprises ? Et si vous faisiez intervenir les anciens militaires ?

30 000 militaires quittent chaque année l'institution à 30 ans en moyenne : ces profils représentent un vivier de leaders engageant pour les entreprises.

"Le recrutement est la préoccupation numéro 1 des chefs d'entreprise" (Patrick Martin - Vice-Président du Medef). Force est de constater que la maxime commerciale “il est plus difficile de garder un client fidèle que d’en gagner un nouveau” s'applique désormais également aux ressources humaines. Aujourd'hui, l'engagement des collaborateurs est devenu un véritable défi pour les entreprises et les armées font figure de précurseur.

Faisant face à un nombre de démissions au plus haut depuis 2008 et à l’apparition d’une nouvelle forme de désengagement, le “quiet quitting” (37% des actifs s’en disent proches), les entreprises cherchent à fidéliser leurs collaborateurs ou attirer des candidats et mettent en place des stratégies souvent basées sur des logiques de moyens : revalorisations salariales, possibilité de télétravail, services sur les lieux de travail (sport, conciergerie…).

Ces solutions appellent deux questionnements : celui de leur pérennité (jusqu'où pourra-t-on aller ?) et surtout celui de leur pertinence (est-ce vraiment la réponse attendue par les collaborateurs et candidats ?). Observer les méthodes utilisées par le monde militaire (400 000 collaborateurs et 30 000 recrutements par an) pour fidéliser et recruter peut apporter des éléments de réponse. On pourrait arguer que la notion d’engagement y est native au sein : le métier des armes ne ressemble à aucun autre (il existe d’ailleurs un statut particulier pour les militaires). Pour autant, de nombreuses méthodes mises en œuvre par les armées sont transposables à l’entreprise.

Accueillir dans une communauté 

Quelle que soit son armée d’appartenance et son niveau d’emploi, toute recrue débute par une incorporation. Ce temps revêt certes des aspects contingents (paquetage, aptitude …) mais il permet surtout de faire naître chez le nouveau venu un sentiment d’appartenance à une communauté. Pour cela, chaque armée déploie ses propres méthodes et rituels.

A titre d’illustration, citons l’Armée de Terre avec son Parcours Accueil Traditions qui contribue à l’intégration dans la communauté militaire au travers d’un parrainage et de temps forts adaptés aux profils (remises d’insignes, présentation au Chef de Corps, traditions du régiment …). Ainsi se crée l’esprit de corps, puissant élément d’engagement.

Placer le management de proximité au coeur du dispositif

Dans “Lost in Management”, François Dupuy décrit parfaitement une tendance au développement de la bureaucratie au sein des entreprises avec un “envahissement des processus”. Or, “l’encadrement de proximité détient les clés du succès : il faut le soutenir, le “valoriser”, lui donner les moyens d’exercer un pilotage effectif des opérations qui lui sont confiées”. Tout collaborateur adhère en effet avant tout à l’action de son manager car c’est celui qui donne du sens, en qui on a confiance. Mais, il faut donner à ce dernier les moyens de conduire son action.

Le monde militaire a parfaitement intégré cette condition de l’engagement et a toujours veillé à ce que le chef, au plus du terrain et de l’action, puisse conserver à son niveau la décision. Cela suppose de donner une légitimité forte au “manager de proximité” en décrivant les délégations accordées et de diffuser une forte culture de la subsidiarité (… à tous les niveaux et dans tous les domaines).

«Un ordre doit contenir tout ce qu’un subalterne ne peut décider, mais rien que cela» (Général Von Molkte) résume bien ce principe de fonctionnement.

Informer et faire participer

Une des conditions de la réussite d’une action militaire tient dans le partage de l’information entre les différents niveaux hiérarchiques. En consultant ses équipes, le chef développe sa compréhension de la réalité du terrain. En retour, il doit éclairer ses équipes sur les enjeux de l’action collective et sur les raisons qui ont éclairé ses choix. Il utilise pour cela des cadres d’ordres qui ne se contentent pas de décrire le “Comment” mais traite également du “Pourquoi” et du “Quoi”. Ainsi, chacun comprend le sens de l’action commune, peut se l’approprier et donc être pertinent dans l’action.

A l'appui de ce management “participatif”, le chef militaire passe en revue son unité chaque matin. Cette coutume du rassemblement, met en avant la nécessité d'une communication ”les yeux dans les yeux” que tous les collaborateurs méritent et dont les organisations ont grand besoin. Dans le même état d’esprit, le succès des PME “tech” israéliennes est en partie lié à leur agilité face aux problèmes grâce à une culture du retour d’expérience à 360° que leurs employés nationaux ont appris durant leur service militaire. La capacité à savoir continuellement prendre le pouls sur le terrain permet en effet de favoriser l’intelligence collective de l’entreprise.

Accompagner l’évolution professionnelle

Avec le Compte Personnel de Formation, tout salarié peut accéder à des formations qui permettent de développer des compétences et ainsi envisager d’évoluer dans l’entreprise ; pour autant, on observe souvent un déficit d’emploi des CPF. Quelles peuvent en être les raisons ? Un élément de réponse tient sans doute dans le terme “personnel” qui, d’une certaine manière, décorréle le bénéfice individuel de l’intérêt collectif.

La mise en formation est une responsabilité première du commandement et répond à une double logique : servir le groupe (qui a besoin de “collaborateurs” qualifiés) et accompagner le militaire dans sa progression professionnelle. La conjugaison des intérêts inscrit alors l’individu et le collectif dans une logique gagnant-gagnant durable et affermit l'adhésion. Le (bon) chef est d’ailleurs considéré comme le “premier DRH” : il s’implique et s’engage personnellement pour ses collaborateurs (c’est d’ailleurs inscrit dans le statut général des militaires1 ).

Rappelons également que les cadres militaires sont issus du “rang” pour moitié, ce qui signifie que l’on peut confier des responsabilités, dans une organisation complexe et exigeante, grâce à des mécanismes de promotions internes et de formation continue qui renforcent l’adhésion.

Engagez-les !

Certes, la notion d’engagement est au cœur du métier des armes et on pourrait penser que ce n’est pas un sujet. Pourtant, les militaires viennent de la société civile et sont en phase avec leur époque. Il faut donc à la fois tenir sur des fondamentaux et s’adapter aux évolutions sociétales pour impliquer totalement dans l’action la ressource humaine qui constitue leur première capacité opérationnelle.

Au regard du niveau d’adhésion des militaires à leur institution, le monde civil doit continuer à s’inspirer des bonnes pratiques des armées et ce comme, il le fait depuis plusieurs années au travers de conférences et d’ouvrages.

Pour preuve, une cinquantaine d’entreprises ont sollicité [Pépite.] dès sa création en 2021 pour recruter d’anciens militaires au sein de leurs équipes de management, et font depuis quelques semaines appel au vivier de militaires reconvertis du cabinet pour mentorés leurs jeunes encadrants.

30.000 militaires quittent chaque année l’institution à 30 ans en moyenne : ces profils représentent un vivier de leaders engageant pour les entreprises.

1 Article 6 : Il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème de caractère général qui parviendrait à sa
connaissance.

Tribune rédigée par Pascal Lebarbier, Directeur Associé, et Clément Têtu, Président Fondateur du cabinet RH [Pépite.],