Comment éviter le piège de l'hyperconnectivité en entreprise

Comment éviter le piège de l'hyperconnectivité en entreprise Etre connecté en permanence grève la capacité de travail. Mais comment faire en sorte de limiter cette tendance ?

L'hyperconnectivité est le problème de la décennie. Suite à la généralisation du travail à distance, elle se traduit par un excès d'interaction par mail ou par chat ainsi qu'une saturation des réunions dans les agendas partagés. Le cabinet de conseil français Lecko a réalisé un sondage en lien avec Ipsos sur un panel de 1 000 personnes travaillant dans des entreprises de plus de 500 salariés. 58% d'entre elles estiment que les visioconférences peuvent être réduites ou supprimées. "On arrive à un plafonnement de la connectivité et une saturation des collaborateurs. Du point de vue des neurosciences, notre cerveau n'est pas conçu pour pratiquer le multitâche. Passer d'une information à l'autre est fatiguant et contreproductif", martèle Arnaud Rayrole, CEO de Lecko.

Autre enseignement des neurosciences : le besoin du cerveau de faire des pauses entre les visioconférences alors même que la tendance est plutôt à leur empiétement sur les temps de récupération nécessaires pour la régénération du cerveau. "Avant la généralisation du télétravail, on avait une délimitation naturelle du temps de travail qui était cadré par la présence au bureau. Aujourd'hui cette délimitation a disparu et la plage de travail s'est étendue. Du coup, vous êtes amené à recevoir des notifications de vos collègues à des heures où vous devriez être en plage de récupération", indique Arnaud Rayrole.

Pour Brigitte Biardeau, médecin du travail rattaché à l'ACMS (Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail), plusieurs astuces permettent de freiner l'hyperconnectivité. "Il s'agit notamment d'éviter de déjeuner devant son ordinateur, mais aussi de privilégier les échanges verbaux ou encore d'éteindre ses terminaux portables au moins 1h30 avant de se coucher", détaille-t-elle. Autres moyens évoqués : désactiver les notifications pendant les week-ends et les congés ou encore instaurer des moments sans téléphone. "Les salariés peuvent également faire valoir leur droit à la déconnection", ajoute Brigitte Biardeau. Et Arnaud Rayrole d'ajouter : "Tout l'enjeu est de savoir si l'entreprise est capable d'inventer une nouvelle organisation. Certaines sociétés privilégient par exemple des temps de connexion calqués sur les horaires traditionnels de présence au bureau."

Favoriser les pauses entre les réunions

Autre méthode recommandée par le cabinet Lecko : favoriser les pauses entre les réunions pour favoriser les temps de récupération. "On évitera de faire des heures ou des demi-heures pleines de meeting pour gagner quelques minutes qui seront allouées aux temps de transition. On essaiera d'être un peu plus concis. Ce qui permettra au salarié de gérer un point qui le tracasse ou de se préparer à la réunion suivante", poursuit Arnaud Rayrole. C'est au responsable de la réunion d'être respectueux du timing. Objectif : permettre au salarié de se concentrer sur les sujets essentiels à la réalisation de sa mission. "La démocratisation du télétravail et de la visioconférence incite le collaborateur à réaliser ses tâches en débordant sur son temps de travail ou en simultané des réunions", ajoute Arnaud Rayrole. "Et je ne parle pas des fausses bonnes fonctionnalités techniques qui proposent d'enregistrer une réunion en cas d'absence pour la revisioner en replay le soir."

"Les visioconférences doivent être organisées de manière spécifique sans accaparer du temps au plus grand nombre de manière incessante"

"La problématique de l'hyperconnectivité pose la question de savoir comment on se réunit, qui on invite, de quoi on va parler, que va-t-on décider", complète l'intéressé. "Les visioconférences doivent être organisées de manière spécifique sans accaparer du temps au plus grand nombre de manière incessante."

Ensuite vient le sujet des échanges en temps réel. Sur ce point, Lecko estime le nombre de communications par chat à 100 par jour en moyenne. Ce qui signifie que la majorité des salariés ne passe pas un quart d'heure sans être interrompu par ce canal. "Cela amène les salariés à mettre tout sur le même pied d'égalité en termes d'urgence. Du coup, on est en permanence interrompu et tout devient urgent. Ce qui nous amène là encore à nous orienter vers le multitâche alors qu'on n'est par définition pas performant dans ce domaine", pointe Arnaud Rayrole.

Selon le consultant, penser que l'IA générative représente une solution toute faite à la réunionite est un écueil. A l'issue des réunions, l'IA risque de résumer les discussions de manière approximative. Des réponses trop rapides peuvent conduire à des approximations voire des quiproquos et des erreurs d'interprétation. "Ceux qui vont l'utiliser en premier seront vraisemblablement les gagnants, mais ils noieront leurs collègues dans un surcroît d'informations", poursuit Arnaud Rayrole. "On risque d'entrer dans un cercle vicieux de multiples contenus que l'on fera synthétiser par une IA, avec à la clé de nouveaux messages à lire. Bref une IA mal utilisée risque de poser plus de problèmes qu'elle n'en résout", prévient Arnaud Rayrole. "L'IA n'est pas une solution, mais une nouvelle opportunité de s'interroger sur ses pratiques de travail en vue d'aboutir à un usage raisonné des nouvelles technologies."

Hiérarchiser les flux de travail

Pour finir, le principal défi réside dans la capacité à hiérarchiser les flux de travail par ordre de priorité et non par ordre de réception : les e-mails, les messages par chat, les notifications... Cela passera aussi par la création d'un espace de collaboration avec une information fédérée et personnalisée autour du ou des projets principaux du salarié. Le collaborateur viendra gérer en priorité cette donnée, avant les mails qu'il pourra traiter en 24 à 48 heures. Quant au chat, il est conseillé de désactiver les alertes sur les canaux non-prioritaires portant sur la veille par exemple, et de les conserver uniquement pour échanger avec son équipe.

Pour le médecin du travail Brigitte Biardeau, ces mesures devront s'accompagner de "la mise en place d'une solution de monitoring de la cyberdépendance, ainsi que l'organisation d'ateliers d'équipes pour revoir ensemble ces pratiques".