Social media detox : plus heureux sans Facebook et Linkedin ?

D'anciens cadres de Facebook se sont donné comme mission d'évangéliser 55 000 écoliers américains sur l'addiction au réseau social. Si les réseaux sociaux sont néfastes aux jeunes Américains, pourquoi ne seraient-ils pas mauvais pour nous ? Et comment y remédier ?

Plusieurs émissions et articles récents convergent vers le même constat : les écrans et en particulier les réseaux sociaux rendent addict. Un article récent du Monde fait référence à Robert Lustig, un professeur de pédiatrie clinique, qui dans son dernier ouvrage indique que la consommation de réseaux sociaux, à l'instar de la consommation de sucre, rend accro car elle provoque une production de dopamine, l'hormone du plaisir. Dans un article de blog Facebook a d'ailleurs reconnu que l'usage des réseaux sociaux pouvait parfois conduire à des épisodes dépressifs.
Plaisir et bonheur expliqués par la science

Le plaisir est un sentiment de satisfaction éphémère ressenti lorsqu'une envie ou un besoin est assouvi. Qui plus est, le cerveau développe une certaine accoutumance au plaisir, si bien qu'il lui en faut toujours plus pour atteindre le même sentiment de récompense c'est ce qui crée l'addiction (alcool, drogue, pornographie, jeux vidéo, réseaux sociaux, etc.).

A contrario, le bonheur est un état durable de sérénité et de plénitude qui s'obtient notamment grâce à des interactions sociales fortes. Or, si nous avons tendance à confondre les deux, il s'agit bien de deux choses différentes. Le plaisir est plutôt solitaire quand le bonheur prend place dans un groupe de personnes. Le plaisir est lié au fait de prendre alors que le bonheur se donne. La raison est physiologique : le plaisir et le bonheur dépendent de deux hormones : la dopamine pour le plaisir et la sérotonine pour le bonheur. Robert Lustig va jusqu'à dire qu'une recherche effrénée du plaisir pourrait même inhiber le sentiment de plénitude et de contentement. 

Dit autrement, nous ne pouvons pas être heureux quand nous cherchons constamment à obtenir du plaisir, d'autant plus que l'on a tendance à confondre les deux. 

Des réseaux sociaux conçu pour donner du plaisir plus que du bonheur

Si on l'applique aux réseaux sociaux, plus vous obtenez des "likes" sur Facebook, Linkedin ou Instagram, moins vous obtenez ce que vous recherchez vraiment, à savoir le bonheur. A la place vous obtenez du plaisir. La sérotonine est en effet notamment synthétisée par les neurones miroirs (neurones de l'empathie) lors de l’échange de regards avec une personne, mais lors d'un échange sur un réseau social, en l'absence d'un interlocuteur physique, seule la dopamine est secrétée. 

Ce qui est terrible c'est que les réseaux sociaux comme Facebook ou Linkedin sont tellement étroitement liés à votre personnalité qu'ils vous poussent à construire un mur d'informations qui vous ressemble. En bref, la plupart des utilisateurs cherchent à obtenir une image positive en publiant les moments d'aboutissement (obtention d'un prix, compétition sportive, etc.) ou de bonheur (présence à une conférence, un concert ou un spectacle), non pour rendre jaloux leurs contacts mais pour partager un moment fort de leur vie avec eux. 

A l'opposé, les messages de détresse sociale ou de tristesse sont largement moins likés, probablement car le like se prête peu à ce type de contenu et parce qu'un smiley qui pleure n'est généralement pas approprié. Mais aussi car il n'est probablement pas souhaitable pour la grande majorité des utilisateurs d'associer du négatif à leur profil. Au final, c'est dans les moments où des personnes ont le plus besoin de likes qu'elles en obtiennent le moins...
 
Pourtant c'est généralement lorsque les amis se livrent sur leurs soucis qu'ils renforcent leur lien social, ce que les réseaux sociaux finalement permettent peu, car l'image que chacun renvoie reste souvent superficielle ou en tout cas peu concernante pour les autres.

Sevrage social

Une fois passée l'étape de prise de conscience et après avoir compris les fondements de cette addiction, il ne reste plus qu'à couper ses réseaux sociaux. Quand on parle de couper Facebook ou Linkedin dans mon entourage, tout le monde en rêve mais personne ne passe à l'acte. Pourquoi ? Car c'est trop violent. Facebook notamment est tellement étroitement lié à votre personne qu'il serait probablement aussi difficile de supprimer son compte que de jeter ses albums de photos de famille à la poubelle. Facebook propose une autre option qui consiste à désactiver temporairement son compte. La différence est de taille : l'action n'est pas irréversible et on peut à tout moment le réactiver en quelques clics. 

Mon expérience

J'étais parti pour l'option de la désactivation si ce n'est que je suis administrateur de plusieurs pages et applications Facebook à titre professionnel et que je ne peux pas désactiver mon compte, tant que c'est le cas. 

J'ai donc opté pour une solution beaucoup plus douce : dans un premier temps j'ai arrêté de poster et de réagir pendant plusieurs semaines, cela m'a permis de prendre du recul sur ce que mes proches et contacts publiaient et cela m'a progressivement sevré du besoin d'obtenir des "likes" pour avoir ma dose de dopamine. En revanche, contre toute attente, je continuais toujours machinalement à ouvrir l'application Facebook ou Linkedin pour voir passer des posts dans mon fil d'actualité, sans vraiment en retirer de bénéfice à long terme. 

Je suis donc passé à l'étape suivante consistant à supprimer l'application Facebook. J'en ai également profité pour supprimer Linkedin, Instagram et Snapchat. Ainsi je peux toujours y accéder si besoin via mon navigateur, mais je n'ai plus cet accès facile à l'oisiveté de la contemplation de mon newsfeed depuis la page d'accueil de mon smartphone. Outre le fait de gagner de la place pour de nouvelles application sur mon écran d'accueil, j'ai surtout gagné des minutes de vie utiles supplémentaires chaque jour. J'ai en revanche gardé Twitter que j'utilise essentiellement à titre professionnel, donc d'une certaine façon je ne suis pas encore totalement allé au bout de ma démarche.

Les premiers jours, je me suis surpris à déverrouiller mon smartphone et à chercher à feuilleter mes applications sociales, comme un réflexe. Au final, le seul effort de devoir ouvrir un navigateur, taper l'adresse du réseau social est suffisant pour me dissuader de le faire, ce qui me prouve d'une certaine façon que je n'en ai pas réellement besoin. 

Les ingénieurs des réseaux sociaux étant rusés, à chaque fois que quelqu'un est poussé à interagir avec moi, faute de pouvoir m'envoyer une notification, c'est un email que je reçois. Je peux si cela est nécessaire aller voir de quoi il retourne et, le cas échéant, prévenir la personne en message privé que j'ai temporairement "fait un break". La démarche n'étonne finalement pas grand monde et a été globalement saluée par mes interlocuteurs, qui finissent par me dire qu'ils seraient bien tentés de faire de même.

Au final je n'ai toujours pas réinstallé mes applications sociales et je n'ai pas le sentiment de manquer grand chose. Suis-je plus heureux sans elles ? Honnêtement je le pense. J'ai en tout cas récupéré du temps pour faire des choses utiles comme lire, appeler ou envoyer des messages à mes proches. J'ai par ailleurs noté que j'étais plus présent en famille. Il m'arrivait par exemple de jeter un œil à une notification ou à mon fil d'actualité pendant que mes enfants se brossaient les dents ou faisaient leur devoir, leur donnant l'impression de n'être pas totalement avec eux, sachant que cela risquait de devenir un modèle pour eux dans les années à venir. 

Plaisir ou bonheur, un choix ?

Qui n'a pas vécu ce jour de l'an où à minuit tout le monde se jette sur son téléphone pour envoyer des SMS aux amis plutôt que de célébrer le moment avec ceux qui sont présents dans la pièce ? Comme si le plaisir avait toujours tendance à être prioritaire sur le bonheur... C'est en tout cas la grande leçon que je tire de cette expérience et j'encourage le plus grand nombre à l'expérimenter, d'autant plus qu'elle est simple à mettre en oeuvre, indolore et réversible ! Preuve d'une prise de conscience globale, les hashtags #socialdetox et #socialmediadetox commencent à fleurir avant le printemps. Enfin, au delà de la social detox en elle-même, c'est également l'occasion de se replonger sur ce qui est essentiel pour nous et nous rend plus heureux, cela m'a également permis de comprendre pourquoi le fait d'être courtois sur la route, d'aider une personne en difficulté dans la rue ou sourire à un inconnu procurait du plaisir, ou plus exactement du bonheur !