Le trafic d'œuvres d'art a trop longtemps sali le monde de l'art et de la culture

Le démantèlement ces dernières semaines d'un vaste réseau illégal de trafic d'antiquités du Proche et du Moyen-Orient, impliquant des figures de l'archéologie et du monde muséal, nous a tous choqués. Nous devons apprendre de nos erreurs, modifier les conditions qui ont permis de tels abus, et préparer l'avenir du monde de l'art !

Plusieurs personnalités de l’archéologie et du commerce de l’art ont été arrêtées et placées en garde à vue dans le cadre d’une enquête ouverte dès 2018 par l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC). Une partie d’entre elles avait occupé des postes importants, notamment au Musée du Louvre, tandis que d’autres étaient des galeristes reconnus à Paris. Il nous faut, pour tenter de comprendre cette situation, revenir aux sources et aux lieux de création des œuvres concernées : le Proche et le Moyen-Orient. 

Un vaste trafic permis par la situation géopolitique au Moyen-Orient et l’économie du monde de l’art

Des centaines d’objets parfois très anciens sont concernés. Ils ont été volés et revendus pendant les années très instables des « Printemps Arabes ». C’est dans ces moments de tension que les pillards de musée ou des réseaux corrompus ont laissé partir des œuvres parfois uniques – un sarcophage égyptien notamment – vers d’autres régions du monde, avant de multiplier les reventes. 

De cette manière, les pillages et destructions réalisées par l’État Islamique durant son règne meurtrier sur une grande partie du Proche-Orient ont constitué un triste terreau à cette affaire. La nécessité de sauver des œuvres de l’instabilité politique, du fondamentalisme islamique ou des risques physiques de la guerre, a parfois justifié ces trafics et ces « voyages » d’œuvres entre pays. La protection des sites archéologiques uniques de notre planète doit donc être mieux assurée, et il convient pour cela de les considérer comme des zones stratégiques à défendre, au même titre que certaines bases pétrolières ou certaines frontières. L’action internationale des armées françaises les rend particulièrement pertinentes pour participer à ce type d’actions. Plus généralement, les Etats doivent vigoureusement mettre en œuvre la convention UNESCO de La Haye de 1956 visant justement à protéger le patrimoine en temps de conflits armés. 

Si la circulation légale d’œuvres n’est bien sûr pas une faute, celle des œuvres pillées l’est en revanche clairement et l’opportunisme cynique avec lequel celles-ci sont trafiquées est particulièrement désolant. L’appât du gain sans grand risque de répression en est évidemment la principale cause.

Des leçons à tirer rapidement

La pression économique, les enjeux financiers de l’univers des ventes de biens culturels et les achats d’œuvres par certains collectionneurs et musées constituent aussi une première raison évidente. La concurrence est rude, et la nécessité d’assurer une mise en valeur digne de chacune de ces œuvres pousse à certaines extrémités. Les gestes à accomplir pour les prochains mois me semblent tout d’abord passer une coopération plus forte avec les pays de production ou de découverte des œuvres, pour laquelle la France dispose d’une compétence scientifique indéniable. La France peut aussi encourager ses partenaires à promouvoir la Convention de l’UNESCO de 1970 sur la lutte contre le trafic illicite des biens culturels tout comme la convention UNIDROIT de 1995 qui a introduit la notion de diligence requise sur les provenances.

Les services de douanes et de police à travers le monde doivent être mieux formés à cette criminalité et ils peuvent y être aidés par une révision et un renforcement des bases de données partagées via les services spécialisés d’Interpol, tout comme par le développement plus affirmé des listes rouges du Conseil International des Musées (ICOM) pour partager ex ante les typologies de œuvres qui sont trafiquées et bloquer les mouvements d’œuvres suspects. Enfin, on peut réfléchir à la création d’un parquet national culturel sur le modèle du parquet national financier, spécialisé dans ces faits et disposant de juges formés en matière culturelle pour assurer un meilleur suivi des affaires, également en mesure de dissuader certains esprits convaincus de leur capacité à échapper à la justice.

A tous ceux qui admirent les trésors archéologiques et les splendeurs artistiques de notre histoire partout dans le monde, n’oublions jamais que notre passion nous impose une cohérence d’esprit et un immense respect. A l’aune de ses valeurs universalistes mais aussi de son rayonnement militaire, la France endosse une responsabilité particulière pour porter haut la protection de l’art à travers le monde.