De Cometh à Voodoo, le jeu vidéo français embrasse le Web3

De Cometh à Voodoo, le jeu vidéo français embrasse le Web3 Le secteur français du gaming s'ouvre aux NFT, qu'il s'agisse de studios natifs au Web3 ou d'éditeurs historiques.

Parmi les fers de lance du Web3 français, The Sandbox n'est pas le seul acteur à réconcilier jeu vidéo et blockchain, en dépit d'une vieille réticence des gamers, échaudés par ce qu'ils ont longtemps perçus comme une escroquerie. Comme l'illustrent deux soirées organisées respectivement ce 1er février par la Paris Blockchain Society et le 2 février par Pyratz Labs, autour de nouveaux studios comme Cometh, Starchain Gazer et Dogami mais aussi des grands noms comme Voodoo, ils sont de plus en plus nombreux sur le territoire français à vouloir intégrer des composantes de la technologie Web3 dans le jeu.

"Il n'y a pas plus belle propriété sur lnternet qu'à l'intérieur d'un jeu"

Auteur d'une levée de 10 millions d'euros en mai dernier, Cometh s'est fait un nom avec des produits déjà finis – une rareté dans le Web3 - comme son jeu de cartes tactique Cometh Battle, le premier à avoir été intégré au logiciel Ledger Live en janvier dernier. Pour le fondateur du studio, Jérôme de Tychey, le choix d'une infrastructure blockchain relevait de l'évidence, notamment pour les atouts que représente le support NFT dans une économie numérique. "Cela part d'une conviction très profonde au sein de l'équipe : il n'y a pas plus belle propriété sur Internet qu'à l'intérieur d'un jeu. Cette direction nous est native : il y a énormément d'utilitaires nés pour la blockchain. Quand on joue à Skyrim (jeu de console multiplateformes, sans blockchain, ndlr), lorsque tu dois échanger du fer contre du cuir, il faut trouver un marchand. Pour moi, aujourd'hui, avec la blockchain, le fer et le cuir sont des NFT échangeables de façon décentralisée. Et tout ce qui est créé et utilisé dans le jeu est associé au wallet de l'utilisateur, ce qui signifie que le joueur a un identifiant universel pour tous ses jeux", raconte l'ancien de Normales Sup, Consensys et Ledger.

"Le wallet permet de mieux connaître son audience"

Sans avoir besoin de données personnelles, le studio peut en effet connaître le comportement d'un joueur à travers son wallet, une façon de "mieux connaître son audience", selon Jérôme de Tychey, qui évoque également les fameuses royalties consécutives aux transactions des joueurs. "Les cartes sont obtenues par les joueurs qui gagnent et l'économie du jeu est basée sur le fait que les joueurs se les échangent", explique-t-il avant de reconnaître qu'avec "environ 3 500 joueurs actifs par mois actuellement, il faudra environ trois à quatre fois plus de joueurs pour que ce modèle soit viable".

Capture du jeu Cometh Battle. © Cometh

Avec une trentaine de personnes dans son effectif, le studio, toujours "en phase de R&D", n'est pas dans l'urgence : outre cette récente levée de fonds, Cometh distille également son savoir-faire avec la technologie blockchain auprès d'une douzaine d'autres clients du jeu vidéo ou du divertissement, comme le studio Darewise pour son  "Life Beyond", ou encore Lacoste.

Pour lancer Time Breachers, son jeu de stratégie 4x (pour exploration, expansion, exploitation et extermination), le studio Starchain Gazer a quant à lui d'abord étudié la concurrence "en faisant du reverse engineering", selon son fondateur Dan Biton, qui insiste sur le défaut le plus fréquent des jeux blockchain : "l'absence de jouabilité". Le jeu n'est encore qu'en phase de développement mais l'entreprise est déjà en passe de clôturer une première levée d'environ 1,5 million d'euros. Avec douze personnes dans l'équipe, dont le cofondateur Julien Lacroix, Jennifer Cacheux-Girling (ex-manager et productrice sur World of Warcraft et League of Legends), Sasha Duc (ex-Gameloft), Starchain Gazer a notamment trouvé du soutien dans l'écosystème Near Protocol, infrastructure blockchain dessinée pour l'interopérabilité, une fonction indispensable pour cette équipe qui aspire à "accueillir des joueurs qui ont des actifs sur différentes blockchains, comme Aptos ou Polygon".

Les stars du jeu mobile très investies

L'approche multi-chaînes est aussi celle choisie par Voodoo, la licorne française du jeu vidéo mobile, parmi les premiers éditeurs de jeux sur les stores avec six milliards de téléchargement et désormais bien positionné dans le Web3. Outre un investissement dans Polygon, cette sidechain d'Ethereum utilisée par Starbucks, Reddit et Adidas, l'entreprise prévoit une vente de jetons ­— au nombre limité —"pour la fin d'année 2023", annonce Yoni Lasry, directeur des investissements blockchain chez Voodoo. D'après ce dernier, "le Web3 fait sens pour Voodoo car il va nous permettre d'interconnecter nos jeux, une interopérabilité qui peut créer des expériences de jeu enrichies pour le joueur." Dans le cadre de sa stratégie Web3, l'éditeur prévoit également de "vendre des actifs intégrés, avec la possibilité pour le joueur de les échanger, les porter d'un jeu à l'autre ou les revendre". Enfin, Voodoo perçoit la blockchain comme une nouvelle couche sociale et un atout pour sa relation avec sa communauté de joueurs : "Le wallet est une sorte de carte de visite, qui affiche ce que vous possédez, où vous vous êtes rendus avec les POAP, etc… Il y a pas mal d'informations et les joueurs pourront interagir ensemble en fonction de ces actifs et nous pourrons en faire de même avec eux", poursuit Yoni Lasry.

"Le Web3 fait sens pour Voodoo car il nous permet d'interconnecter nos jeux"

Déjà acquéreur du studio de jeu blockchain Volt, Voodoo convoite d'autres startups du secteur et lance même publiquement un appel à candidature auprès des créateurs de jeu intéressés par le Web3. "Nous avons l'expertise pour les aider, tous les outils techniques, un SDK ainsi que du soutien, au niveau marketing par exemple", vante-t-il.  Un message de bienvenue qui, en coulisses, s'étendrait bien plus largement. Si Yoni Lasry ne confirme rien, des discussions sont en cours selon nos informations pour accueillir dans cet écosystème Voodoo des franchises de renom en termes de propriété intellectuelle.

Communiqué de Virtual Regatta pour la Route du Rhum 2022 - Destination Guadeloupe. © 52 Entertainment

Dans le jeu vidéo mobile, une autre marque bien connue des joueurs s'initie au Web3 : Virtual Regatta, le jeu officiel du Vendée Globe qui revendique plus d'un million de joueurs actifs, a développé un partenariat avec la blockchain hexagonale Ternoa pour intégrer des NFT au sein du jeu. "Nous nous sommes rendus compte que nos joueurs nourrissent un fort sentiment d'appartenance à leurs bateaux, il y a un côté émotionnel", nous explique Benoît Coupez, directeur général de 52 Entertainment, studio du jeu. "Nous voulions que nos joueurs puissent devenir les vrais propriétaires de leurs bateaux et qu'ils développent un historique." Avec les NFT dynamiques permis par le réseau Ternoa, ces bateaux seront évolutifs et disposeront de caractéristiques relatives à leurs parcours. "La fonctionnalité première de la blockchain qui nous intéresse, c'est l'unicité qu'elle offre à nos bateaux", poursuit Benoît Coupez, qui revendique une approche test-and-learn pour ce développement prévu dans le courant de ce premier semestre : "Virtual Regatta est un jeu en exploitation depuis des années, nous intégrons cette technologie pour lui offrir une nouvelle fonctionnalité mais ce n'est pas une fin en soi. La blockchain n'est pas notre business."

"Les NFT de Ternoa peuvent augmenter la durée de jeu des utilisateurs"

Pour le réseau Ternoa, ce projet incarne cependant une prise de choix, qui en appelle d'autres dans le secteur du jeu vidéo. C'est en effet cette blockchain qu'a choisie l'éditeur français de jeu vidéo mobile Tap Nation, dont le responsable blockchain nous assurait en octobre dernier vouloir "convertir au moins 1% de ses millions de joueurs mobile au Web3". Pour Clément Tequi, directeur général de Capsule Corps Lab, la startup à l'origine de cette blockchain, c'est un "avantage technologique" qui a séduit ces deux sociétés : "Nous proposons le NFT sous toutes les formes, soit avec des attributs très simples, soit avec des fonctions très avancées, comme la possibilité de les louer, les déléguer ou les fractionner. Nous avons créé un kit de développement qui permet au créateur de choisir directement parmi ces fonctions. Enfin, au sein même de Capsule Corps Lab, nous avons mis en place une cellule de conseil en stratégie en transformation NFT, nous accompagnons ces partenaires."

Outre ces collaborations avec Virtual Regatta et Tap Nation, Capsule Corps Labs collabore avec le jeu The Orbwars, une vitrine pour montrer les atouts technologiques de Ternoa mais aussi pour prouver que "les NFT peuvent augmenter la durée de jeu des utilisateurs", et donc son exposition à la publicité, le nerf de la guerre dans le jeu mobile.

Cette effervescence pour les NFT dans le jeu vidéo pourrait néanmoins être ternie par les boutiques d'applications propriétaires, en particulier l'App Store, puisqu'Apple prohibe dans ses conditions d'utilisation la possibilité pour les NFT de débloquer des fonctionnalités au sein d'une application, en plus d'une taxe de 30% sur leur achat. "C'est clairement un sujet et une difficulté que nous avons toujours à l'esprit," confie Clément Téqui, quand Yoni Lasry estime que "les stores ont aussi énormément contribué au succès de Voodoo et qu'il y aura une stratégie compatible avec ce qu'ils proposent".